Depuis 1997, Florence Noiville, romancière, essayiste et critique littéraire publie dans le Monde des livres  des portraits d’auteurs majeurs.Aujourd’hui 23 visages d’écrivains d’outre-manche sont réunis par ses soins dans un livre édité chez Gallimard. So British ! en est le titre.Avec cet ouvrage, il se pourrait bien que Florence Noiville invente un nouveau genre voire un nouveau métier, celui de « visagiste littéraire ».Qu’est-ce qu’un visagiste littéraire ? je n’en sais rien mais j’apprécie que l’auteur nous donne page après page à en découvrir la spécificité.Des cheveux au menton, qu’est-ce qui différencie un visage d’écrivain(e),  de celui d’un autre homme ou d’une autre femme ? A priori rien. Le visage d’un écrivain serait-il alors dessiné par sa vie, ses rencontres sa culture, les arts qu’il affectionne ? Peut-être. Derrière le masque physique et social, l’écriture serait-elle sa seule vérité ? Certes  elle est au cœur de l’œuvre mais le critique littéraire n’a pas vocation à se substituer à l’auteur. Alors ?

Alors Florence Noiville qui n’a pas de passeport britannique  mais qui a très certainement capté l’essentiel de l’âme british, invente. Non seulement ses portraits sont aussi dessinés qu’écrits, mais elle témoigne d’une liberté telle que les mots et le trait jouent sans l’ombre du moindre préjugé à s’interpeller, s’écouter en conviant au rendez vous, tout ce qui dans l’univers de l’écrivain, de l’héroïne à la religion en passant par la peinture, la politique, etc, peut faire sens.La visagiste est si présente à l’autre, qu’elle n’éprouve à aucun moment le besoin de se mettre en avant. Son écoute est autant dans l’économie du trait que dans le creux de l’ouverture ou l’excès de l’obsession. Comme John le Carré qui prend ses personnages en filature, Florence Noiville construit un chemin qui va mener à la porte de l’énigme. Elle dit tout ce qu’elle ne dit pas pour que le silence puisse faire son travail, c’est à dire nous mener à l’endroit précis de la transgression, là où le romancier fait du lecteur le complice du crime d’écriture, là où « les grands écrivains inventent le monde » dit  A. S Byatt.

 

 Le projet de Florence Noiville est aussi simple que son travail est complexe, elle n’a qu’un but : donner envie à son lecteur de découvrir l’œuvre.

« Tous cherchent à cerner l’émotion première, angoisse, déchirement, frustration, colère, fantasme… ?- qui constitue la force motrice de tout processus créatif »

Alors l’auteur de « So British !» va façonner un ressort assez puissant pour que le lecteur  veuille à tout prix trouver la clef de l’énigme. L’entreprise est audacieuse, car à la fin de chaque portrait, chacun est tenté de quitter le livre de Florence pour faire irruption dans un des romans dont elle lui a donné la référence.

Mais justement ce qui fait la valeur de ce livre est aussi la prise de risque assumée par l’écrivaine. Cette dernière a assez de passion littéraire pour faire preuve d’un total détachement. Come le dit Hanif Kureiski «  Ce qui compte ce sont les paysages intérieurs » « l ‘écriture est liée à l’amour » avoue le provoquant Martins Amis,

parce qu’en vérité avance Julian Barnes « nous sommes des animaux affamés de fiction ».

 

 Qu’apporte l’édition groupée de ces 23 visages ?

D’abord une confirmation. Chacun de ces portraits qu’il soit imprimé sur une feuille de papier journal ou sur le papier respectable d’un livre, existe fortement.

Mais l’intérêt du livre va au delà. Tous ces écrivains qu’ils soient anglais, irlandais pakistanais, d’origine japonaise comme Kazuo Ishiguro, suisse comme Alain de Botton, sont « So british ». Qu’est-ce à dire ? David Lodge nous met sur la voie en avouant qu’il est affreusement conventionnel. Aucun de ces écrivains ne semble répugner à s’abriter derrière les conventions. Elles  présentent un double avantage :

– elles rassurent un lecteur qui a besoin de repères connus pour entrer dans un univers inconnu.

  elles préservent la liberté de l’écrivain invité à  laisser libre-cours à sa fantaisie..

Ainsi l’athée Tariq Ali va pouvoir devenir un spécialiste éclairé de la religion musulmane et dynamiter bon nombre de clichés que les médias ne se privent pas de répandre. Alain de Botton pourra partir en guerre contre tous les responsables politiques qui n’ont pas compris que le peuple a plus besoin de beauté que d’argent, John le Carré dénoncer la mondialisation -formule édulcorée de l’exploitation du plus faible par le plus fort-, Howard Jacobson aller à rebrousse poil du sentiment commun qui associe plus volontiers la littérature aux pleurs, qu’aux rires, etc.

Ces 23 écrivains partagent avec Florence Noiville l’idée qu’il vaut mieux « ne pas juger, garder en tête la vraie valeur des choses, s’en sortir par l’humour ».

A l’intérieur de cette littérature hybride, syncrétique, interculturelle comme le dit encore l’auteur, on retrouve quelques constantes « l’art de la concision, le plaisir du sourire en coin, cette manière de dire peu pour exprimer beaucoup ou encore ce refus quasi congénital de toute forme d’intellectualisme ».

So British !, à travers ses différents visages est un hymne à la littérature, à la poésie du monde ordinaire, une invitation subtile à cultiver sa propre folie et à respecter celle des autres, avec élégance, cela va de soi…

 

François Bernheim

 

 Florence Noiville So British !

23 visages d’Outre- Manche

Editions Gallimard

 

 

 

 

 

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