Marseille 73″ de Dominique Manotti est déjà un polar haletant assez noir pour autoriser une nuit blanche. 11 ans après les accords d’Evian signant la fin de la guerre d’Algérie, Malek Khider 16 ans est assassiné. Le tireur à bord d’une Mercedes prend la fuite en tout impunité. Pour les policiers et le magistrat chargés de l’enquête il ne peut s’agir que d’un règlement de compte. On notera au passage qu’en 1973, une cinquantaine d’émigrés d’origine arabe et principalement venant d’Algérie sont assassinés dont 20 à Marseille.
Le contexte politique de cette période, largement occulté est aujourd’hui oublié. Les terroristes de l’OAS ont été amnistiés, une partie de la police de Marseille et plus largement de la région Paca, est infiltrée en liaison officieuse avec une association de rapatriés intégrant des membres d’extrême droite liés au milieu du grand banditisme. Les rapatriés d’Algérie à Marseille et dans le Var sont très nombreux, mais pas désirés, pas loin de 200. 000. Au contexte local déjà assez lourd s’ajoute le contexte économico-politique national.
La fin des 30 glorieuses s’annonce. Période où l’apport de travailleurs maghrébins avait étésollicité tant par l’état que par le patronat. La circulaire Marcellin – Fontanet de l’automne 72 en exigeant et contrat de travail en bonne et due forme et logement décent pour l’obtention d’un permis de séjour, transforme des travailleurs au noir en clandestins. La catégorie hors sol des travailleurs sans papiers est née. Le pays qui avait toléré les bidons-ville insalubres et les logements indignes a audace de s’appuyer sur son incurie pour ouvrir la chasse à l’immigré. Au même moment et ce n’est pas fortuit, Ordre nouveau l’organisation d’extrême droite lance une campagne contre l’immigration sauvage. En Septembre 74 le Président Pompidou déclare » La France est profondément anti raciste, tout ce qui s’apparente au racisme nous l’exécrons » Il apparait donc clairement que les assassinats commis n’ont pas seulement un auteur, mais que du sommet de l’état jusqu’aux policiers ripoux, on a grand ouvert un boulevard au racisme français et à ses débordements délictueux et criminels. Lâcheté, ou machiavélisme, la porte est ouverte au racisme et ce d’autant que les syndicats à priori de gauche, ne voient dans l’immigré, qu’un pion servant les desseins du grand capital.
Face au poids de ces forces mobilisées tant pour occulter la nature des crimes commis que pour propager une idéologie justifiant l’injustifiable, L’assassinat de Malek a toutes chances de passer aux oubliettes. Et bien non. Contre toute attente les travailleurs immigrés se mobilisent, font grève, appuyés par les réseaux d’extrême gauche, des associations pro-arabes, la Cimade. Les médias d’habitude aux ordres sont obligés d’ouvrir leurs colonnes et sur place le commissaire Daquin un ex-parisien, son équipe de la criminelle, plus ou moins en froid avec la sûreté nationale infiltrée, mènent une enquête rigoureuse appuyée par l’avocat de la victime et ses frères qui participent à la traque. Il n’y aurait donc de fatalité que pour ceux qui préfèrent se coucher plutôt que de mener le combat. Le formidable roman de Dominique Manotti se situe au creux d’une contradiction que l’auteur met en avant. Dans le cadre de la fiction justice a été rendue, Tout va bien. Mais, pas si bien que cela. Cette même fiction analyse en toute rigueur les racines historiques d’un racisme français, fleuron d’une idéologie d’extrême droite en pleine croissance. Ainsi « Marseille 73 » ne manque pas d’interroger notre présent. Si cette idéologie a aujourd’hui le vent en poupe c’est sans doute parce que les gouvernements qui se sont succédés depuis les années 70 ont quasiment tous cédé à la raison économique et cru qu’en adoptant les thèmes nationalistes , il endigueraient la vague montante. En bonne logique il n’en a rien été, bien au contraire.
L’abîme entre la réalité de l’apport émigré au redressement du pays et la négation dont ces travailleurs ont été l’objet est sidérante. Si le polar haletant réussit aussi à nous faire rendre une mémoire et ce faisant à vous poser des questions cela tient autant à l’intelligence de l’auteur qu’à son engagement. Les armes fusil, revolver ne font qu’achever le travail, derrière eux il y a le glissement progressif des mots. Il n’y a pas de crime à supprimer ceux dont a nié l’existence.
« – Tuer un arabe, ce n’est pas commettre un crime?
– Nous sommes en guerre (1) Je n’ai pas tué par plaisir, j’ai fait mon devoir de citoyen, comme quelques autres. Nous sommes envahis par la marée musulmane, notre nation est en danger de mort par submersion. Et l’état ne fait rien. Il faut bien que les citoyens agissent à sa place Nous en tuons quelques-uns pour provoquer « la remigration » de tous les autres. Nous remplissons une mission de service public par substitution. Je suis fier de ce que j’ai fait »
Le mépris colonial et néo-colonial des bien- pensants de droite comme de gauche est visé. Loin de tout misérabilisme l’histoire démontre qu’accepter que l’on touche à un cheveu de quiconque est suicidaire.
Au nom de quoi une vie vaudrait plus cher qu’une autre?
De fait, ce sont en premier les démocrates qui sont en cause, ce sont eux qui ouvrent la porte au fascisme, c’est donc à eux de la fermer. Le polar de Dominique Manotti est total. Il instruit sans jamais faire la leçon. A nous de mener l’enquête sur nos vies, notre capacité d’accueil et nos rejets. A nous de nous régaler sans oublier d’avancer, d’ouvrir. Décidément Marseille qui porte haut et fort sa part d’ombre comme ses compromissions et petites oeuvres est « la bonne mère » de notre humanité dans sa beauté et ses violences.
François Bernheim
Marseille 73
de Dominique Manotti
Equinoxe – éditions les Arènes
(1) A propos d’un autre virus que le racisme, le président Macron n’a pas manqué de nous faire savoir que nous nous étions en guerre . Travaillons plutôt pour la paix et le bien être de tous.