… Un livre d’un auteur polonais, colombien, azerbaïdjanais trône sur votre table de chevet. Le roman vous passionne. Vous rendez grâce à un auteur magnifique, sans doute un génie. Comme bon nombre de lecteurs vous oubliez que Joyce, Milosz, Caïcedo et bien d’autres n’arrivent pas chez vous dans leur version originale. Entre votre lecture et l’auteur s’interpose une femme ou un homme dont la spécificité sera de créer une passerelle entre deux univers culturels, deux sociétés, parfois même entre deux périodes historiques. Les traducteurs sont à ce titre de véritables aventuriers, des funambules à haut risque, des auteurs en second, assez puissants pour recréer l’oeuvre d’un auteur étranger, assez humbles et modestes pour accepter ne pas exister aux yeux du grand public. Paradoxe du traducteur, plus son génie est grand plus il sera absent. On condescend à parler de lui quand tel livre a été si mal traduit qu’une nouvelle traduction conforme à l’esprit du temps et adoubée par les spécialistes est proposée au public. Ainsi le patron de la Série Noire, Marcel Duhamel recommandait aux traducteurs d’éliminer tout ce qui pouvait relever du domaine psychologique. Aujourd’hui le fameux n°1000 de la Série noire, »1275 âmes » de Jim Thomson a été réédité dans la collection Rivages noirs avec quelques pages en plus….

Le traducteur est un héros kafkaïen, c’est à dire un anonyme, une sorte de Don Quichotte des lettres,  » le dernier, le véritable chevalier errant de la littérature » comme l’attestent Carlo Fruttero et Franco Lucentini cités par Pierre Assouline.

Peut-on alors considérer la non reconnaissance des traducteurs comme un fait structurel les vouant définitivement à l’anonymat?                        Non, non et non s’insurgent les libraires passionnés de Gif sur Yvette, commune de moins de 21000 habitants, située en Vallée de Chevreuse. Ainsi en 2013, commence l’histoire merveilleuse du festival VO/ VF. L’intelligence, la volonté et la créativité de Pierre Morize, d’Hélène Pourquié de la librairie Liragif avec Sylvie Melchiori ont réussi  à vaincre tous les obstacles. Avec eux, la ville de Gif, accompagnée de prestigieux partenaires publics  et privés et surtout d’une merveilleuse équipe de bénévoles. En 2018, 3000 amoureux des livres ont honoré cette manifestation. En 2O19 du 4 au 6 Octobre, aussi intense qu’ouvert à tous, le festival VO/VF a irradié le centre- ville de Gif. L’écrivain voyageur Jean Christophe Rufin en fut la parrain malicieux. D’abord médecin dédié à l’action humanitaire, diplomate, JCR  est à la tête d’une oeuvre considérable. Il reçoit le prix Goncourt en 2001 pour » Rouge Brésil ». Etaient également à l’honneur du dernier cru, la traductrice Rosie Pinhas -Delpuech. Née à Istanbul, elle étudie la philosophie et la littérature en France puis enseignera à l’université de Tel-Aviv. De retour à Paris, elle écrit, traduit les auteurs israéliens et turcs. Elle dirige la collection « Lettres hébraïques » aux éditions Actes Sud. Anne-Marie Métailié à l’occasion des 40 ans de sa maison d’édition a également été mise en avant. 1200 titres ont été édités issus de 400 auteurs, soit vingt collections pour cent pays concernés.

Ces trois personnalités, avec des profils bien différents, ont en commun une même exigence alliée à la plus grande simplicité. Leur ouverture d’esprit est celle de ce festival. Ainsi VO/VF, manifestation sans équivalent en France, fait que pendant trois jours une ville de modeste importance devient la capitale mondiale de toutes les littératures : les oeuvres de fiction, les essais, la poésie, les romans graphiques, les romans policiers, la science-fiction tiennent le haut du pavé à travers ateliers pour adultes et enfants, débats, spectacles, concerts. Du 4 au 6 Octobre la planète dans la diversité de ses cultures et préoccupations est à l’honneur à Gif sur Yvette. VO/ VF 2019 a créé le premier prix de traduction Langues’O. Le prix a été attribué à Maud Mabillard pour sa traduction de  » Zouleika ouvre les yeux » de Gouzel Lakhine- éditions Noir sur Blanc.

Le succès du festival ne tient pas seulement à ce qu’il est le seul en France à lever un coin du voile sur le formidable travail des traducteurs. A l’évidence le métier, l’expertise des traducteurs ne pourrait concerner qu’un public spécialisé. Hors ici, à l’aube de 2020 chacun à travers toutes les facettes d’un programme éclectique, est en mesure de comprendre que l’enjeu de VO/ VF se situe à un niveau où  les traducteurs deviennent les fers de lance de notre ouverture à l’autre, dans le respect de la diversité de chacun. Traduire est faire entrer l’étranger dans la langue nationale dit Rosie Pinhas Delpuech.

Traduire c’est inventer toutes les passerelles possibles entre des cultures assez fortes pour ne pas avoir peur de s’ouvrir à un apport extérieur. A l’inverse des clichés qui trainent un peu partout, on sera d’autant plus soi -même que l’on aura ouvert la porte à l’autre. Plus que jamais la rencontre, le frottement des imaginaires s’avère d’une nécessité incontournable. Le traducteur est un éclaireur. Mettre en avant ces chevaliers de l’impossible comme le fait VO/VF nous rappelle opportunément que notre histoire est faite par nous. La haine, la détestation de l’étranger sont le fruit de l’ignorance et de sa manipulation.

Mais n’oublions pas que la littérature n’a  pas seulement vocation à propager des valeurs humanistes. Avant toutes choses, elle cultive notre aptitude à éprouver de belles émotions, à être irrigué par le plaisir du sens et de la musique des mots. A ce titre également, les traducteurs ont droit à toute notre reconnaissance.

François Bernheim

 

 

 

 

 

 

 

Un livre d’un auteur polonais, colombien, azerbaïdjanais trône sur votre table de chevet. Le roman vous passionne. Vous rendez grâce à un auteur magnifique, sans doute un génie. Comme bon nombre de lecteurs vous oubliez que Joyce, Milosz, Caïcedo et bien d’autres n’arrivent pas  entre vos mains dans leur version originale. Entre votre lecture et l’auteur s’interpose une femme ou un homme dont la spécificité sera de créer une passerelle entre deux univers culturels, deux sociétés, parfois même entre deux périodes historiques. Les traducteurs sont à ce titre de véritables aventuriers, des funambules à haut risque, des auteurs en second assez puissants pour recréer l’oeuvre d’un auteur étranger, assez humbles et modestes pour accepter ne pas exister aux yeux du grand public. Paradoxe du traducteur, plus son génie est grand plus il sera absent. On condescend à parler de lui quand tel livre a été si mal traduit qu’une nouvelle traduction conforme à l’esprit du temps et adoubée par les spécialistes est proposée au public. Ainsi le patron de la Série Noire, Marcel Duhamel recommandait aux traducteurs d’éliminer tout ce qui pouvait relever du domaine psychologique. Aujourd’hui le fameux n°1000 de la Série noire, »1275 âmes » de Jim Thomson a été réédité dans la collection Rivages noirs avec quelques pages en plus….

Le traducteur est un héros kafkaïen, c’est à dire un anonyme, une sorte de Don Quichotte des lettres,  » le dernier, le véritable chevalier errant de la littérature » comme l’attestent Carlo Fruttero et Franco Lucentini cités par Pierre Assouline.

Peut-on alors considérer la non reconnaissance des traducteurs comme un fait structurel les vouant définitivement à l’anonymat?                        Non, non et non s’insurgent les libraires passionnés littérature de Gif sur Yvette, commune de moins de 21000 habitants, située en Vallée de Chevreuse. Ainsi en 2013, commence l’histoire merveilleuse du festival VO/ VF. L’intelligence, la volonté et la créativité de Pierre Morize, d’Hélène Pourquié de la librairie Liragif avec Sylvie Melchiori ont réussi  à vaincre tous les obstacles. Avec eux la ville de Gif, accompagnée de prestigieux partenaires publics  et privés et surtout d’une merveilleuse équipe de bénévoles. En 2018, 3000 amoureux des livres ont honoré cette manifestation. En 2O19 du 4 au 6 Octobre, aussi intense qu’ouvert à tous, le festival VO/VF a irradié le centre- ville de Gif. L’écrivain voyageur Jean Christophe Rufin en fut la parrain malicieux. D’abord médecin dédié à l’action humanitaire, diplomate, JCR  est à la tête d’une oeuvre considérable. Il reçoit le prix Goncourt en 2001 pour » Rouge Brésil ». Etaient également à l’honneur du dernier cru, la traductrice Rosie Pinhas -Delpuech. Née à Istanbul, elle étudie la philosophie et la littérature en France puis enseignera à l’université de Tel-Aviv. De retour à Paris, elle écrit, traduit les auteurs israéliens et turcs. Elle dirige la collection « Lettres hébraïques » aux éditions Actes Sud. Anne-Marie Métailié à l’occasion des 40 ans de sa maison d’édition a également été mise en avant. 1200 titres ont été édités issus de 400 auteurs, soit vingt collections pour cent pays concernés.

Ces trois personnalités, avec des profils bien différents, ont en commun une même exigence alliée à la plus grande simplicité. Leur ouverture d’esprit est celle de ce festival. Ainsi VO/VF manifestation sans équivalent en France fait que pendant trois jours une ville de modeste importance devient la capitale mondiale de toutes les littératures : les oeuvres de fiction, les essais, la poésie, les romans graphiques, les romans policiers, la science-fiction tiennent le haut du pavé à travers ateliers pour adultes et enfants, débats, spectacles, concerts. Du 4 au 6 Octobre la planète dans la diversité de ses cultures et préoccupations est à l’honneur à Gif sur Yvette. VO/ VF 2019 a créé le premier prix de traduction Langues’O. Le prix a été attribué à Maud Mabillard pour sa traduction de  » Zouleika ouvre les yeux » de Gouzel Lakhine- éditions Noir sur Blanc.

Le succès du festival ne tient pas seulement à ce qu’il est le seul en France à lever un coin du voile sur le formidable travail des traducteurs. A l’évidence le métier, l’expertise des traducteurs ne pourrait concerner qu’un public spécialisé. Hors ici, à l’aube de 2020 chacun à travers toutes les facettes d’un programme éclectique, est en mesure de comprendre que l’enjeu de VO/ VF se situe à un niveau où  les traducteurs deviennent les fers de lance de notre ouverture à l’autre  dans le respect de la diversité de chacun. Traduire est faire entrer l’étranger dans la langue nationale dit Rosie Pinhas Delpuech.

Traduire c’est inventer toutes les passerelles possibles entre des cultures assez fortes pour ne pas avoir peur de s’ouvrir à un apport extérieur. A l’inverse des clichés qui trainent un peu partout, on sera d’autant plus soi -même que l’on aura ouvert la porte à l’autre. Plus que jamais la rencontre, le frottement des imaginaires s’avère d’une nécessité incontournable. Le traducteur est un éclaireur. Mettre en avant ces chevaliers de l’impossible comme le fait VO/VF nous rappelle opportunément que notre histoire est faite par nous. La haine, la détestation de l’étranger sont le fruit de l’ignorance et de sa manipulation.

Mais n’oublions pas que la littérature n’a  pas seulement vocation à propager des valeurs humanistes. Avant toutes choses, elle cultive notre aptitude à éprouver de belles émotions, à être irrigué par le plaisir du sens et de la musique des mots. A ce titre également, les traducteurs ont droit à toute notre reconnaissance.

François Bernheim

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