À l’heure de la mondialisation à sens unique et de la libéralisation sauvage de l’économie ; où l’Afrique fait face à un besoin toujours grandissant et pressant d’intégrer ses peuples à tous les niveaux ; politique, économique, social, culturel, que comptent, où doivent faire les africains de leurs langues ?

 

Faudrait-il qu’ils les abandonnent au profit d’autres langues de plus grande envergure. Tel le Français, l’Anglais, l’Espagnol, le Portugais, où la langue de bois, et pourquoi pas le Chinois pendant qu’on y est ?

Si tel devrait être le cas.  Quelles sont les conséquences qui risquent d’en découler sur le plan identitaire culturel, et psycholinguistique ?

Surtout si l’on sait que la culture est l’âme d’un peuple et que la langue est le support de cette culture par excellence. Mais si au contraire ils optent de les rendre vivantes ; c’est à dire de faire leurs promotions, quels procédés doivent-il utiliser pour leurs mettre au diapason des nécessités contemporaines, au plan scientifique surtout.

Faudrait – il qu’ils fassent la promotion de toutes les langes sans exclusion.

Dans ce cas ne risque-t-on pas de verser dans un ethnicisme bloquant et un chauvinisme d’un autre âge susceptible à la longue de faire perdre à l’action sa vigueur et son sens véritable, qui n’est rien d’autre que l’émergence d’un univers lettré.

Et s’il fallait procéder par tri ; à partir de quels critères le ferait-on ?

Ne risque-t-on pas de réveiller de vieux démons d’un certain égocentrisme ethnique et donner raison ainsi à ceux qui vaudraient que l’unité des peuples africains ne puissent être scellés qu’à partir de langues occidentales.

Et même si par ailleurs les peuples acceptent de bon aloi que leurs langues ne fassent l’objet d’aucune promotion et que celles-ci tombent dans l’oubli, quel plaidoyer feraient-ils devant l’histoire pour justifier cet énorme préjudice causé à l’humanité à travers son patrimoine immatériel ?

Ou faudrait –il faire la promotion de toutes les langues quel que soient, leur poids démographique et leur portée géographique. Pour ensuite en choisir quelques-unes selon les critères mentionnés ci-dessus pour en faire des langues de dimension continentale ?

 

Cette méthode ne renferme- t-elle pas des relents d’hégémonie de certains groupes vis à vis des autres ?

Et par ailleurs est-il vraiment possible de réaliser quelque chose de vraiment sérieux et d’efficiente relative à la réglementation de l’usage formel des langues africaines sans remettre en question l’existence des frontières héritées de la colonisation ?

 

Les colons n’étaient pas tous hostiles à l’usage des langues africaines.

Ils y en ont même qui ont encouragé leur introduction dans le système éducatif colonial. Même si malgré leur différente et parfois divergente raison ils étaient unanimes à ne leur reconnaître aucune aptitude hautement intellectuelle et scientifique.

 

Maurice Delafosse par exemple disait :

De quoi s’agit –il ? De faire pénétrer dans de jeunes esprits des idées nouvelles mais simples, ou plus exactement de les apprendre à enchaîner des idées qu’ils possèdent déjà. Pour cela la meilleure langue vernaculaire sera non le Français langue étrangère, mais l’idiome qui est le plus familier des élèves-  celui dans lequel ils sont habitués à parler depuis le jour où ils ont su parler celui que des siècles d’atavisme ont fait à l’image et au calibre de leur cerveau

 

George Hardy

Dès qu’un indigène sait lire une langue européenne, il lit tout ce qui lui tombe sous la main, journal, tract politiques et ouvrages philosophiques qu’il croit comprendre et qui dépasse de loin sa culture. Cette nourriture à laquelle il n’est pas préparé lui dérange l’esprit et la langue européenne devient un facteur de désordre.

 

Si l’attitude des colons blancs à l’égard des Africains et de leurs langues peut être considérée comme raciste et condescendante; quelle étiquette coller à ces grands leaders africains qui ont toujours prôné leur fierté d’être noir et qui se sont même farouchement opposés à l’occupation coloniale, mais qui avaient une attitude discrétionnaire à l’égard des langues de leur terroir, du moins en ce qui concerne l’enseignement religieux.

 

Et l’église catholique à qui on doit le premier ouvrage en langue africaine (wolof) en caractère latin, quelles ont étés ses réelles motivation ?

  • Y- avait – il un intérêt linguistique ?
  • Ou voyait-elle tout simplement dans la langue wolof un passage obligé pour atteindre l’âme des indigènes et les sauver ainsi des géhennes de l’enfer ?

 

Les premières générations d’intellectuels africains formés à l’occident n’ont pas été insensibles à la question. En 1937 déjà de retour au pays pour les besoins de ses vacances, Senghor avait tenu une conférence à la chambre de commerce de Dakar dont le thème portait sur l’enseignement des/et dans les langues locales. Il dira que les populations lui ont rétorqué : « te voilà revenu nanti d’une agrégation, tu es devenu un affranchi et tu veux que nos enfants restent des indigènes »

 

Néanmoins la génération d’après, les Abdoulaye WADE, Assane Sylla, David DIOP (pour ne citer que ceux-là) se sont mis à confectionner des matériels didactiques et autres documents à partir des langues africaines, depuis la France où ils poursuivaient leurs études.

Mais le plus illustre parmi cette génération, est sans conteste l’éminent Pr Cheikh Anta DIOP.

Si on peut alors attribuer la paternité du combat pour la promotion des langues africaines au Président Senghor c’est à lui immanquablement qu’on doit décerner le palme de l’excellence.

 

Impossible de parler de la problématique des langues africaines sans se référer à lui, sans visiter et revisiter ses thèses en la matière.

Combat pour une plus juste utilisation des langues locales et combat pour l’accès des colonies à la souveraineté internationale, avaient été tout au long de la période coloniale, indissociable.

Même si sur ce point aussi les motifs n’ont pas toujours été les mêmes.

Si des gens comme Cchiekh Anta Diop percevaient à travers les langues un moyen eschatologique pour une Afrique libre, unie et prospère, d’autres (les marxistes) y voyaient tout simplement un passage obligé pour faire triompher leurs idéologies, venues d’ailleurs, au sein des masses et conquérir ainsi le pouvoir.

Mais l’un et l’autre camp ont vite fait de déchanter, car à l’heure des indépendances les premiers gouvernants africains ont à l’unanimité opté la langue du colonisateur comme langue officielle. Les raisons avancées étaient entre autres:

 

« Son caractère international, sa capacité de véhiculer le savoir scientifique et le modernisme et surtout son rôle de ciment de l’unité nationale ». Comme pour donner raison au héraut ubiquiste de l’existentialisme Jean Paul Sartre ; qui disait : « Le drame nègre, c’est de vouloir rejeter notre tutelle, tout en voulant garder notre langue. Même absents, nous sommes présents jusque dans les conciliabules les plus secrets ; le colon est l’éternel médiateur. »

Écoutons en outre ce que disait l’éminent membre de l’académie

Française le poète Président Léopold SENGHOR « Dans le choix des langues, la question n’est pas de savoir si la langue sera autochtone ou pas, mais il s’agit de choisir une langue pour ses vertus propres, ses vertus d’éducation

De ce point de vue la langue de gentillesse et d’honnêteté qu’est le français s’impose. Je ne reviendrai pas sur les vertus d’ordre et de qualité qui ont fait du français pendant trois siècles une langue universelle, singulièrement la langue de la science et de la diplomatie, elles sont connues. Le français est apte aussi bien à véhiculer les sentiments les plus nobles, les plus forts, que les plus troubles, aussi bien le soleil de l’esprit, que le soleil abyssal de l’inconscient. Remplacer le français comme langue officielle et langue d’enseignement n’est ni souhaitable, ni possible, si du moins nous ne voulons pas être en retard au RV de l’an 2000 ».

Est-ce une triste et dure réalité à laquelle il n’y a pas moyen objectif de se dérober ? Où est-ce ; des affabulations d’un poète Chef Suprême des Armées du Sénégal en délire ; et par conséquent un humiliant affront auquel le lavage incombe toujours aux africains ?

Quoi qu’il en soit les peuples africains applaudissent et continueront à applaudir les discours des ‘’Pères’’ de leur nation sans y comprendre mot parce que prononcés dans une langue qui leurs est étrangère ?

 

Les militants pour la promotion des langues africaines ne baissèrent pas pour autant bras et armes,au risque de leur liberté, et de grands préjudices en qui concerne leurs activités.

Le contentieux qui avait opposé le Président poète au cinéaste Sembene Ousmane, en est si besoin en était, une parfaite illustration.

Pour avoir géminé le D compris dans le titre de son film « Ceddo »

Sembene vit tout simplement son film interdit d’écran pendant deux ans parce que pour SENGHOR « Ceddo » ne devait s’écrire qu’avec un seul D. Était-ce une mesure déguisée pour ne pas encourir le courroux des hommes religieux, car le film est archi-anti Islamique, où comme le disait Sembene lui-même « DU FASCISME LINGUISTIQUE » où encore comme l’a avancé récemment dans Jeune Afrique le Premier Ministre d’alors Abdou Diouf « le film va à l’encontre des intérêts français ».

Cet épisode de la fameuse gémination dans Ceddo fut précédé par l’expérience du journal KADDU le premier journal édité en langues nationales, toujours sous l’initiative de Sembene le ceddo. En fait KADDU (la parole), était plus un creuset d’idées exprimées dans les langues locales par des intellectuels de gauche en mal de cause, qu’un journal.

Aujourd’hui l’aventure Kaddu se prolonge en une véritable entreprise viable et fiable à travers les Editions Papyrus dédiés exclusivement à l’édition d’œuvres écrites en langues africaines, et d’un journal mensuel qui parait en Wolof et en Pulaar.

 

La pressante demande des populations à être informées et formées et l’évidente incapacité des langues étrangères à poser les fondements d’un développement durable donneront un droit de cité aux langues locales dont le triomphe fut la création d’un ministère chargé des langues nationales et un décret obligeant l’inclusion d’un volet d’alphabétisation dans tous les projets de développement.

Si cet acte en soi est une étape d’une importance incommensurable à tous les niveaux : culturel, identitaire, sanitaire, économique etc.….

Il n’en demeure pas moins qu’il est loin de régler la problématique de l’usage formel des langues locales. Parce que n’étant pas sous tendue par une politique linguistique véritable. Par politique linguistique nous entendons : Toute action des décideurs politiques et administratifs en vue de la réglementation effective et efficiente de l’utilisation des langues en présence sur les territoires nationaux.

Un tel concept de politique linguistique qui ne se limitera pas uniquement à l’éducation bien qu’elle constituera toujours son laboratoire et son baromètre, mais qui embrassera toutes les activités de la vie humaines allant des sciences exactes les plus complexes, au parler quotidien, en passant par la métaphysique, la science politique, l’information etc…..

 

C’est alors en ce moment, et en ce moment seulement que la problématique des langues locales se posera à nous avec sa complexité et sa plus grande acuité.

 

On aura alors à parler de la multiplicité des langues qui peut être source de balkanisation et de repli sur soi voir même de discorde et de tension.

 

Dès lors il sera question de se prononcer sur les voies et moyens à prendre pour transcender les barrières linguistiques au niveau national et continental

 

Ce concept de politique linguistique tout en posant les problèmes de fond aura en même temps à régler un autre non moins crucial qui est « le gap » qui existe entre nos langues et celles dites vivantes à tous les niveaux mais surtout au niveau des TIC.

 

En termes de politique linguistique, les cas de la grande ile (Madagascar) et de L’Afrique du Sud deviennent très intéressants, et méritent une attention particulière.

 

Un petit détour dans la région des grands lacs nous permettra de faire l’état des lieux du virage opéré par le Rwanda en passant du statut de pays francophone à celui de pays anglophone sans aucune forme de procès.

 

Ailleurs, en dehors de l’Afrique, le cas du Japon est assez intéressant pour mériter qu’on s’y attarde un tout petit peu. Parait-il que depuis le début des années 90 ce pays est en stagnation économique, du fait notamment de son insularité, mais surtout de la barrière de sa langue qui accentue d’avantage son isolement

 

 

Mais comme le disait H Segbo « S’il est vrai que le développement d’un pays ne saurait être l’œuvre d’une poignée d’individus prétendue élite, s’il est vrai que le développement est une dynamique du plus grand nombre, l’enseignement des langues nationales demeure un impératif » Quelle part les organismes mis en place par des africains pour le développement de l’Afrique avaient réservé où réservent aux langues du terroir ; je veux nommer :

La défunte OUA et maintenant l’UA

 

Mais aussi L’ONU, à travers L’UNESCO, et les autres organismes internationaux mis en place par les anciennes puissances coloniales ; le Commonwealth et l’OIF quelle part réservent-ils aux langues africaines ?

Mustafaa SAITQUE

Poète – Réalisateur

 

Mustafaa SAITQUE est un poète et réalisateur sénégalais, semi autodidacte parce qu’ayant arrêté ses études en classe de troisième, il n’a aucun diplôme, mais plutôt des publications et des films documentaires à son actif. Notamment « le Nobel vingt ans après – de Mandela à Malala / Théâtre paru aux éditions Edilivre », et « En attendant le troisième prophète » un documentaire sur le cinéma africain. Actuellement il est en train de réaliser un autre dont voici le lien du teaser https://vimeo.com/313574289. Ce texte sur la question des langues africaines était à la base prévu pour le commentaire du film qu’il prévoit de faire sur le sujet.

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