A priori lire un livre au moment où il sort, ou deux mois et demi plus tard ne devrait pas influer sur le regard que l’on pose sur son contenu.

Sauf que depuis que le livre de Raphael Glucksmann, « les enfants du vide »est paru deux évènements majeurs interfèrent avec notre lecture.

Le premier, aussi remarquable qu’il soit, est totalement imputable à la pertinence du propos de l’auteur : Près de 200.000 lecteurs ont acheté ce livre. C’est dire à quel point la quête de sens, le besoin de disposer d’outils de compréhension et d’action est pressant dans une société où les responsables politiques se trouvent plus à la traîne de ceux qui les ont élus que devant.

Le deuxième évènement qui lui secoue la France  entière depuis plus d’un mois est le mouvement quasi-insurrectionnel des gilets jaunes, soutenu par une grande majorité de français, osons le dire par le peuple de ce pays.

Voilà donc un livre qui rencontre avec force son public : les enfants du vide, n’ont plus le privilège de pouvoir s’abriter derrière un parti, un syndicat, une idéologie ou une arrogance de caste. C’est en partant en toute authenticité de cette faiblesse que Raphael Glucksmann tente de trouver un chemin qui pourrait nous aider à devenir des acteurs de nos vies plutôt que des consommateurs effrénés.

Le premier réflexe d’un homme appartenant aux générations d’avant, je dois l’avouer, a été de se dire : certes l’auteur critique l’individualisme ambiant, très bien mais quid du rapport de forces, quid de la lutte des classes, quid de la prise de pouvoir…

Nous, les intellectuels de gauche prétentieux devrions un jour prochain être comptables de nos échecs comme de nos alibis. Ce livre pourrait bien nous y aider.

 » Pour les enfants du vide, la quête d’une vie digne et libre exige de retisser du lien plutôt que de briser des chaines »

Cette phrase est lourde de sens. Nous vivons dans une société tellement atomisée, nous sommes tellement séparés les uns des autres, que le discours critique est devenu abscond.

Il ne convainc que ceux qui sont déjà convaincus et pire dans l’état de manipulation médiatique que nous subissons, les mots que nous utilisons pour dénoncer l’exploitation, la colonisation des esprits deviennent un facteur supplémentaire d’humiliation. Alors qu’un Donald Trump, grossier, menteur, cynique, en promettant à chacun d’appartenir au camp des vainqueurs rallie à sa cause tous ceux qui en fait en  sont les victimes.

Avant de pouvoir penser ensemble, il est indispensable de tenter de vivre ensemble.

Retisser du lien passe non par l’analyse, le discours mais par l’empathie, la solidarité de fait.

Retisser du lien s’inscrit dans un territoire, dans le local, à condition de ne pas le mythifier.

Un individu est pluriel et en mouvement. Il sera d’autant plus enraciné qu’il fera tous les va et vient nécessaires entre son lieu de vie, sa région, son pays et le monde. Un individu n’est pas seulement une personne privée. Pour préserver l’intime il faut aussi se  réapproprier le collectif, il faut redevenir citoyen avec autant de droits que de devoirs, c’est à dire de limites.

Raphael Glucksmann a -il dans ce dernier ouvrage anticipé sur le cours des évènements à savoir le mouvement des gilets jaunes? au pied de la lettre non. Mais le décryptage qu’il opère, éclaire de façon significative ce que nous vivons aujourd’hui.

Ainsi il fait état d’un texte brillant écrit dans la revue Esprit en 2O11 par un jeune énarque qui dénonce la crispation césariste du pouvoir et défend la démocratie sociale comme les corps intermédiaires. « Faire du débat fiscal un débat technique….. c’est déjà prendre un biais idéologique en décidant que l’impôt n’est pas politique et n’a rien à voir avec un contrat social, une volonté d’être dans la cité » Ainsi Emmanuel Macron 2011 est le premier pourfendeur D’Emmanuel Macron 2017/2018. L’arrogance, le mépris sont là, dans le discours, comme dans les faits. A l’heure de l’horizontalité des réseaux sociaux, à un moment de la liberté de dire est sans limite, l’impossibilité d’agir que subit le peuple face à l’explosion des inégalités devient d’une violence évidente, donc insupportable.

« Devons-nous donc pour sortir de la société de solitude qui nous mène à l’abîme déclencher un conflit armé? »

La réponse est là sous nos yeux. Face à l’insurrection le monarque vertical est sorti de son silence. A l’approche des fêtes de Noël il a fait quelques concessions économiques, jugées insuffisantes, mais jamais au grand jamais il n’a voulu accorder le moindre signe de reconnaissance aux invisibles, à ceux que personne ne représente, témoignant ainsi de l’aveuglement des élites françaises. Français encore un effort pour devenir citoyens. Partager le pouvoir, le contrôler n’est pas qu’une partie de plaisir. Le livre de Raphael Glucksmann témoigne d’une belle lucidité. Le temps est venu de proposer des solutions permettant au peuple citoyen de reprendre réellement le contrôle de son devenir. Que se soit l’extrême droite qui se soit emparé de ce thème en dit long sur l’atonie de la gauche.

Mais dans la rue, comme dans ce livre il semble bien que le temps du réveil politique ait sonné. Le changement, la transformation des rapports sociaux est le fruit  d’un travail quotidien  tant dans la sphère économique que culturelle et politique. C’est la vivacité de ce projet  collectif qui conditionne la pertinence de la prise de pouvoir.

A nous citoyens de réinvestir la place publique, d’exiger que les intérêts privés ne gangrènent pas la république. Le chemin sera long, nous devons aussi lutter contre nous même, nos addictions, nos complaisances, nos postures, pas seulement par devoir moral, mais plutôt pour retrouver quelque chose qui serait de l’ordre de la joie de vivre ensemble sur une planète qui ne serait plus vouée à sa perte, à notre perte. L’audace pourrait nous apprendre que l’écologie et la dignité des travailleurs peuvent aller de pair.

 

François Bernheim

 

Les enfants du vide

de Raphael Glucksmann

Allary Editions

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