Marie de Hennezel est psychologue et psychothérapeute.A l’écoute des personnes âgées et en fin de vie elle n’a cessé de se consacrer au respect de leur dignité et à leur bien être. Aujourd’hui elle pousse un coup de gueule salutaire. Son refus de l’instrumentalisation du décès de personnes âgées mérite réflexion et débat. Avec son aimable autorisation nous reproduisons sur ce blog la tribune libre mise en ligne sur Libération.fr le 13/ 02/2017

En ce début d’année, sévit une épidémie de grippe sévère. Dans une maison de retraite de Lyon, 13 personnes âgées de plus de 90 ans sont mortes de la grippe et voilà que le ministère de la Santé «communique» à grand bruit sur cet événement qu’il qualifie d’«exceptionnel», diligente une enquête de l’Inspection générale des affaires sociales (l’Igas), jetant par voie de conséquence l’opprobre sur une institution et son personnel, soupçonnés de n’avoir pas pris toutes les mesures de précaution nécessaires, même si en fin de compte ce rapport ne révèle rien de significatif.

La disproportion entre cette réaction de Marisol Touraine et la réalité pose question. Si la ministre veut se servir de cet événement pour appuyer sa campagne en faveur de la vaccination, je déplore qu’elle n’ait pas eu conscience du mal fondé de sa démarche, ni des conséquences de son action qui culpabilise à tort un personnel, auquel notre société confie les âgés dont les familles ne veulent ou ne peuvent plus s’occuper, et dont le dévouement est bien peu valorisé.

Mal fondée en effet, une réaction qui dramatise une situation somme toute assez normale. On sait que le vaccin de la grippe n’est efficace qu’à 60%, on sait qu’on ne peut pas l’imposer. On sait que la loi Clayes-Leonetti reconnaît à la personne le droit de refuser un traitement susceptible de prolonger une vie dont elle ne veut plus. Alors pourquoi tout ce bruit pour 13 personnes sur 101 résidents qui succombent à la grippe ?

Incohérence
Je trouve par ailleurs incohérent qu’une femme politique qui n’a cessé de plaider en faveur d’une légalisation de l’aide active à mourir (euthanasie ou suicide assisté), semble laisser penser qu’il est plus grave de mourir de la grippe que d’une injection létale (si elle était autorisée un jour). Ignore-t-on au ministère de la Santé qu’une façon naturelle de mourir pour une personne très âgée, fragile, et lassée de vivre parce qu’elle a fait son temps, est précisément de mourir de la grippe en hiver, ou d’une pneumonie ? De quoi a-t-on le droit de mourir, aujourd’hui, quand on a dépassé 90 ans ?

La prise en charge de nos aînés implique évidemment de prendre soin d’eux et de les soigner. Leur proposer d’être vaccinés de la grippe fait partie des modalités de prévention raisonnables. Mais si elles refusent – ce qui a été le cas de 3 personnes parmi les 13 décédées de la grippe dans l’Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) de Lyon – faut-il les forcer ? Ne peut-on admettre que des personnes très âgées désirent consciemment ou inconsciemment mourir ?

On m’a rapporté si souvent, ces dernières années, les propos de ceux qui réclament en sourdine la mort, cessent de s’alimenter, parce que la vie tout simplement commence à les quitter. Ne peut-on penser que le système immunitaire de ceux-ci s’est affaibli au point que, vaccinés ou pas, leur corps peut enfin être délivré ?

Ces confidences m’ont convaincue de l’importance d’écouter nos âgés, de capter les signes qu’ils nous donnent, au lieu d’appliquer sans âme les consignes imposées par l’administration.

A l’écoute
Si nous étions plus à l’écoute de ce que nous disent les très vieux, si nous ne nous offusquions pas qu’une épidémie de grippe en emporte quelques-uns, nous ne serions pas politiquement obsédés par le vote d’une loi qui leur permette un jour d’être délivrés par un geste de mort.

Enfin, j’appelle de mes vœux qu’un prochain ministère de la Santé ne se préoccupe pas seulement de la vaccination de tous ses âgés, mais sache prendre la mesure du chantier énorme qui reste à réaliser pour que les Ehpad soient des lieux où la dignité de la vie soit préservée, où les personnels soient formés à l’écoute et au tact, où les douleurs soient soulagées, les derniers instants accompagnés et où la mort ne soit pas une disparition mais un moment sacré, le dernier, d’une vie.

Marie de Hennezel Psychologue, psychothérapeute

derniers ouvrages publiés :

Croire aux forces de l’esprit François Mitterandune quête spirituelle – Fayard 2016

Sex & Sixty un avenir pour l’intimité amoureuse – Robert Laffont 2015

Photo Arielle Bernheim

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