00000825Le prochain livre de Suzanne Hetzel paraitra en Février  prochain aux Editions Analogues ( Arles)Il est l’aboutissement et le chemin multiple d’une démarche tant esthétique  que de rencontres, d’accidents venant nourrir  le travail d’une artiste en mouvement.

 

 » Sept saisons en Camargue s’appuie sur des rencontres avec des personnes qui habitent ce territoire pour aboutir à la production de photographies, de collectes de récits et d’objets, enrichies de documents d’archives et de photographies anciennes.

L’ensemble des éléments sera réuni sous forme d’installation à l’occasion de l’exposition au Palais de Archevêché d’Arles en février prochain. Cette publication – une forme de cahier – réunit des observations personnelles, des histoires rapportées par des personnes rencontrées, des pensées ou même des conversations de marché. Il y est question de la gestion des eaux des salins, de la photographie, d’un boucher chevalin, de la Montagne des Cordes, des liens avec Venise, de Ernst Jünger, de Toni Grand, de la tauromachie, et de bien d’autres choses toutes aussi attachées au territoire de la Camargue.beau72

 

SHetzel-cover-320x457Sept saisons en Camargue ont été nécessaires pour voir, écrire et entendre des personnes, des histoires et des choses indissociables de cet espace. Jugeant l’organisation chronologique des notes et des images trop centrée sur ma présence, j’ai regardé du côté de la cosmologie chinoise traditionnelle pour une classification en cinq éléments : eau, bois, terre, métal et feu. Néanmoins, il m’a semblé indispensable en ce pays de vent de considérer l’air comme un élément à part entière comme l’ont fait les philosophes grecs. Mais que faire du Far West, de la bête du Vaccarès ou d’un tremblement d’ailes de libellule ?

Dans la difficulté d’associer toutes les présences à des éléments, j’ai emprunté à la vision indienne la notion de vide, qui est associée à l’éther et à l’espace. À chaque élément sa saison, sa couleur et ses relais.Ailes

 

Le graphisme du livre sera réalisé par le graphiste Vincent Perrottet : http://vincentperrottet.com/

Analogues, maison d’édition pour l‘art contemporain en est l’éditeur.

La sortie est prévue pour le mois de février, il accompagnera l’exposition au Palais de l’Archevêché à Arles du 27 février au 29 mars 2016.

 

Le lien pour souscrire au projet : http://www.analogues.fr/?p=8111

Le lien pour mieux connaitre mon travail artistique : www.documentsdartistes.org/hetzel

 

Poisson

 

QUELQUES PENSÉES PRÉALABLES A MON TRAVAIL DE PHOTOGRAPHIE EN CAMARGUE :

 

Kaki mis à sécher

Sur les écrans de papier

Ombres folles du crépuscule

 

Haïku de Naitô Jôsô, 1662-1704, originaire d’Owari, Japon

 

 

Pendant un temps, je rassemblais mon travail de photographies et d’écriture en Camargue en pensant aux Denkbilder de Walter Benjamin.

Les Denkbilder (Images de pensée) réunissent des observations, des analyses, des descriptions, des appréciations de voyages, voire des transcriptions de rêves du philosophe berlinois Walter Benjamin. Ces articles écrits entre 1925 et 1935 brouillent les catégories conventionnelles de la littérature de l’époque.

Ils nous conduisent au cœur de la pensée philosophique de l’auteur : le proche et le lointain, le geste qui prélève des fragments chargés d’histoire et d’expériences, notre devoir de les actualiser, l’urgence de connaître le nom des choses, l’importance des gens sans nom dans l’écriture de l’histoire et la conviction que « les choses anciennes nous regardent ». Ou encore la considération de Benjamin pour le collectionneur et la collection comme tentative de contenir le flux immense de notre mémoire, et qui souligne notre responsabilité quant à la relation entre le passé, notre présent et un futur.

 

Près de 100 ans plus tard, l’écriture précise et inclassable de Walter Benjamin a largement trouvé écho chez des sociologues, des urbanistes, des artistes et chez les écrivains eux-mêmes.

Mon travail artistique porte lui aussi l’héritage des Images de pensée : construit à partir d’observations, de rencontres, de recherches d’archives, de récits tout comme d’objets trouvés ou collectés. Ensuite, par une mise en relation des éléments exposés – une mise en tension – le spectateur est invité à la re-lecture d’un lieu, d’un territoire et de son histoire.

 

 

Comment s’écarter de la pléthore de photographies de paysage composées essentiellement de ciel / d’horizon / de mer / de sable, ponctuées de chevaux / de taureaux / de flamants roses ? Comment ne pas reproduire une étendue que l’image en est venue à assimiler à un décor : vide en attente d’un sujet ?

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Pour commencer : être présente à la Camargue. Marcher, parler avec les personnes qui l’habitent et qui la connaissent, s’exposer au vent, observer les animaux, cuisiner son riz, glaner son histoire. Mais aussi garder consciencieusement une place pour l’inconnu, pour l’impensable, pour les présences par lesquelles les lieux viennent à nous. La question des images en a rapidement appelé une autre plus profonde : ai-je affaire à un paysage ou à un pays ?

Si mon désir était de créer un écart avec les images répandues et de ne pas considérer ce delta à partir de ma personne comme centre, je devais alors dévisager la Camargue comme un pays. Est-ce qu’elle en est un ?

 

Au début de l’été 2014, je fais l’heureuse acquisition du livre Vivre de paysage de l’écrivain et sinologue François Jullien. Son essai propose de s’éloigner des notions de point de vue, de panorama et généralement du paysage comme spectacle visuel dont on dit « C’est beau ! » ou « C’est sublime ! »

L’écart qu’il nous propose conduit à une approche toute autre où le lieu est source de vitalité, de mise en tension capable d’éveiller en nous des sentiments, de nous transporter au delà du visible et du pensable et de nous transformer. « Car il n’y a plus là un coin du monde, mais apparaît soudain, dans son tout, ce qui fait monde : s’y révèle ce par quoi il y a monde. »

 

On dit souvent de la Camargue qu’elle est ”le bout du monde“. N’est-ce pas là une façon de voir le monde tel un sentier avec une entrée et une sortie, tout à l’image de notre existence avec une naissance et une mort ? Est-ce que ce ”bout“ du monde se trouverait isolé de tout ce qui le précède ou encore de ce qui vient au delà ?

La réflexion sur la notion du pays, sa capacité de nous mettre en tension et en mouvement me conduit à rejeter l’idée que la Camargue serait un bout du monde, un Far West comme on le dit parfois, immense et sans sujet. La plupart des images de paysage représentent notre propre limite à concevoir celui-ci comme le monde visible.

Je cherche à décentrer le point de vue vers le paysage : à le recevoir plutôt qu’à le regarder. Par son absence de monumentalité, cet espace possède aussi la puissance de mouvoir quelque chose en nous.

 

 

Ici, il m’est nécessaire de retrouver les textes de Walter Benjamin pour éclairer le mot image dont il fait souvent usage et qui se trouve aussi dans le titre Denkbilder. En allemand le mot Bild (image) vient du verbe bilden (faire émerger, se former) et porte en lui l’émergence d’un mouvement, voire d‘un changement. L’image ainsi envisagée, loin d’être la coupe dans un tout, porte en elle une force formatrice, l’amorce d’un mouvement. L’image, tout comme la marche ou le dire, n’est pas un but dans la pensée benjaminienne, mais une réalisation.

 

Les notes et les photographies réalisées pendant deux ans sont autant de présences de ce pays mouvant.

 

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