Voici le 1er Article de la série des articles  de la série « le journalisme qui résiste au temps » écrit par JC Guillebaud pour Sud Ouest Dimanche,Cette aventure forcément aléatoire nous enthousiasme. Saluons le courage des professionnels qui ont l’audace de se confronter à ce qu’ils ont produit dans le passé. Bien entendu nous ne pouvons qu’être interpellés par des articles qui développent un point de vue ou une vision du monde qui aujourd’hui encore, nous concernent pleinement.

Paris-Province / JC. Guillebaud/SOD/02.04.06

Objet : sod/jcguillebaud/paris-pro

Au fond de l’inquiétude

Cette période de troubles, de manifestations, de violences sociales, il faudrait tenter de l’analyser avec plus de distance. On ne peut tout réduire à la politique à courte vue, au tintamarre médiatique, aux clameurs vaguement hypocrites de la presse étrangère qui, une fois encore, se dit stupéfaite par le cas français. Il faudrait replacer tout cela dans le contexte d’une inquiétude beaucoup plus générale, et qui rôde un peu partout en Occident. Cette inquiétude n’est pas liée aux seules raisons économiques ou sociales. Elle est plus profonde.

Devant nos sociétés défaites, au bord de ce vide vertigineux du quotidien, devant ce social en charpie, un mot vient à l’esprit – et sur toutes les lèvres – qu’il faut prendre avec des pincettes : reconstruction. Il deviendra peu à peu le thème obligé de tout discours politique. Famille, équilibres urbains, vie culturelle, gestion du loisir, sexualité : il s’agirait de rebâtir maintenant ce qui fut jeté à terre, de « reconstruire » ce qui est en ruine.

Après trente années de belles luttes émancipatrices, après mille et un petits combats libertaires, l’implosion menace pour de bon. L’implosion, c’est-à- dire la vraie jungle et la cruelle solitude, quand ce n’est pas la barbarie du non-sens. Le temps est donc venu du grand retour, de la redécouverte, de la restauration des codes sociaux et des solidarités collectives. Nous sentons tous confusément que quelque chose doit être, patiemment, « retricoté ».

Dans la rhétorique qui habite ce début de siècle, un seul détail fait problème : le préfixe « re ». Il participe confusément de la nostalgie et suggère l’idée d’une reconstruction « à l’identique », c’est-à-dire d’une restauration. On serait allé trop loin, en somme, dans la permissivité individualiste et il serait urgent de rebrousser chemin. Retour au paterfamilias ? A la chasteté ? Au village ? Cette crispation nostalgique est à la mode mais elle pèche par étourderie. Pourquoi ? Parce qu’on ne recompose jamais – sauf par la contrainte et le moralisme bêta – ce qui est dissous.

En réalité, les décennies qui s’annoncent laissent entrevoir une quête à « front renversé ». Ce n’est plus l’émancipation volontaire qui mobilise, c’est au contraire la révolte contre l’exclusion subie. Ce n’est plus du « temps libre » qu’on revendique, mais c’est un emploi, c’est-à-dire du travail. Ce n’est pas l’ordre morale ou le conformisme « bourgeois » qui étouffe, c’est la dérision triomphante, le cynisme à tout crin. Ce n’est plus l’embrigadement social qui attente à la liberté, c’est l’émiettement général qui désespère. Ce n’est plus l’appartenance communautaire qui incarcère la liberté, c’est le réenracinement tribal, familial ou ethnique qui constitue la tentation du

moment.
Alors ? Ce n’est sûrement pas vers l’arrière qu’il faut tourner son regard,

c’est devant. Ce ne sont pas des replis frileux qui s’annoncent mais des « inventions » qu’il s’agira d’accoucher. La famille en crise, définitivement changée dans ses fondements, ne serait-ce que par les conquêtes du génie génétique, ne sera pas restaurée mais réinventée. Les participations culturelles, politiques, sociales ne seront plus jamais celles d’hier, à l’heure du tout médiatique et des messageries mondialisées. La culture urbaine, elle- même, devra prendre en compte un espace différemment – et dangereusement cloisonné.

Rien qui ne ressemble, qui n’invite à « revenir », qui ne parle sérieusement à l’imparfait. Sauf sur un point, peut-être : l’inégalité ou la précarité qui en est la nouvelle expression. Le bon vieux souci de justice sociale ne fut-il pas le grand oubli des quinze dernières années ? Il le fut. Et cet « oubli », cette inattention, donnent tout leur sens aux colères d’aujourd’hui qu’on aurait bien tort de ne pas prendre au sérieux..

 

Prochain article à paraitre le Vendredi 29 Mai.

Un portrait de Riss écrit en Avril 2006 par Céline Vuillet et illustré par Cabu

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