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Il n’est pas

Un homme tronc

Il n’est pas toujours là où il semble présent

Il ne se méfie pas de ses émotions

Il n’est pas intelligent pour que les autres soient des cons

Il n’a forcément bon goût

Il n’aime ni le pouvoir, ni ceux qui l’exercent

Il n’aime pas, ne pas se mettre en danger

Il n’est pas à priori une femme.

 

 

Alors qui est-il ?

 

– Un champ de blé mûr ondoyant sous une légère brise au lever du soleil

 

– Un cratère de volcan transitoirement assagi afin que lui et ses amis puissent y passer la nuit avant d’assister au lever du soleil.

 

-Un grand canyon où il chevaucherait aux côtés des indiens en révolte.

 

– Un grec ancien, citoyen d’Europe, d’Amérique et d’autres continents connus ou inconnus

 

– Un homme sachant que ceux qui ne sont jamais ailleurs ont fort peu de chances d’être ici.

 

– Un frère par la pensée de Rabbi Nahman qui a écrit :

« Ne demandes jamais ton chemin à personne, sinon tu ne pourras jamais t’égarer »

– Un visage d’homme parmi d’autres visages d’hommes et de femmes ayant un prénom, un nom, des expériences de vie à partager.

– Une passerelle posée entre les rêveurs, artistes, aventuriers qui l’habitent et les hommes de raison, intellectuels qui ont aussi planté leur tente dans ses entrailles.

 

– Il est aussi Gilles Tiberghien.

 

 

Amorce succincte d’état civil

(d’après Wikipédia)

 

Il est né en 1953. Philosophe et professeur d’esthétique, Gilles A. Tiberghien enseigne à l’université de Paris Panthéon-Sorbonne et d l’Institut d’architecture de Genève. Il est membre du comité de rédaction des Cahiers du Musée d’Art Moderne et des Carnets du Paysage. Il a dirigé la collection Arts et esthétique aux éditions Carré, Hoëbeke et Desclée de Brouwer.Il est l’auteur de divers ouvrages consacrés à l’art dans le paysage, parmi lesquels Land Art (Éditions Carré, 1993), Nature, art, paysage (Actes Sud/École nationale supérieure du paysage, 2001) et Notes sur la nature, la cabane et quelques autres choses (Éditions Le Félin, 2005)

 

 Il est d’abord un cancre

Qu’est-ce qu’un cancre ?

 

– Celui qui s’assied au fond de la classe bien au chaud contre le radiateur ?

– Celui que les autres (parents, élèves, professeurs ) jugent nul ?

-Celui qui accepte parce qu’il ne peut pas faire autrement le jugement des autres ?

– Celui qui redouble deux classes et presque une troisième.

– Un rêveur impénitent, un distrait, assez malin pour se dissimuler au regard des autres,dans une cabane aussi réelle qu’imaginaire?

 

Et en plus il doute…

Fils d’un industriel du textile. Il vit les premières années de sa vie dans une grande maison proche de la forêt aux Etats Unis. Ses parents ne sont guère abordables, mais il a une complice de jeux, sa soeur. La forêt le fascine. A six ans, à son grand regret il revient en France. Adolescent il écrit à sa mère et à sa grand-mère des lettres pleines de poésie. Dans l’une d’elle il parle des couleurs scarlatine du couchant.

Les deux femmes se moquent de lui. Il affirme qu’il a emprunté l’expression à Chateaubriand. Impossible la Scarlatine est une maladie pas une couleur, jamais un auteur qui se respecte ne commettrait une erreur aussi grossière. Une fois de plus on le renvoie à son statut de cancre. Une dizaine d’années plus tard il retrouve par hasard la citation de Chateaubriand. Il croit pouvoir sortir du purgatoire. Il téléphone à sa mère. Elle ne souvient pas. Elle n’avait pas accordé la moindre importance à l’épisode. Incompréhension, désespoir. Il lui faudra encore un certain temps avant de comprendre qu’on ne refait pas plus ses parents qu’on ne refait l’histoire. Depuis il est convaincu que l’on peut choisir ses parents. Ainsi, son professeur de français et philosophie, Francis Lafosse qui acceptera de dialoguer avec lui, heureux d’échanger avec un esprit aussi vif. Il l’accouchera . Gilles prendra confiance en lui et osera enfin s’affirmer tel qu’il est.

 

Un funambule dans tous les sens

Il est d’accord pour faire entrer Karl Marx dans sa maison, à condition qu’il soit accompagné de Novalis. La spéculation intellectuelle le motive fortement mais il rejette la formalisation conceptuelle enfermant le réel dans un schéma simplificateur. Il préfère partir de l’expérience vécue, des sensations éprouvées pour aboutir à l’idée.

La curiosité insatiable qu’il manifeste vis à vis des gens, de la planète, du sport, du bricolage, de l’art, des idées, risque-t-elle de le mener à la dispersion ? Oui. Et c’est dans ce risque, cette tension qu’il trouve son chemin. Il ne part pas en voyage pour fuir ou vérifier que le monde est bien conforme à l’idée qu’il s’en fait. Quand il part il sait ce qu’il emmène dans ses bagages et accepte de confronter ce qu’il a, ce qu’il est à ce qu’il rencontre.« Le voyage c’est aussi ça, comme s’il y avait des éléments en nous qui étaient lyophilisés et qui s’ouvraient avec beaucoup de lumière et de soleil »

Pire, il organise sciemment sa propre distraction : lire un livre qui n’a rien à voir avec le lieu qu’il explore, aller voir un film de série C qui lui procure une grande émotion. Cette façon de faire lui permet de revisiter l’objet de son étude avec d’autres yeux, d’ajouter la part de rêve nécessaire pour que la réalité prenne toute sa dimension. Son mouvement lui permet de pénétrer dans les entre-deux, d’être dans la bordure, la marge inexplorée et de tirer avec bonheur dans les coins. Ainsi il découvre que le polar loin d’être une littérature de gare développe une intelligence du réel avec une liberté que n’a pas la littérature reconnue comme telle ; surveillée étroitement par les gardiens du temple. Si la route est aussi un lieu, Le Land Art est pour Gilles au cœur de sa démarche esthétique. « J’ai trouvé dans le Land art tout ce qui m’intéressait , à la fois la géographie, la carte, la littérature, l’art, les voyages, les paysages, tout » Il est également un retour « au vert paradis de son enfance » toute investie de l’imaginaire de l’ouest américain. Il vit l’art comme une aventure, une expérience où l’on prend « le risque d’interroger son propre gouffre »

 

Amitié (1) communauté

Etre amis aujourd’hui, relève de l’ordre privé. Il en allait tout autrement dans la Grèce antique. L’amitié est alors le ciment qui donne sa force à la communauté. Il ne peut donc y avoir d’action politique que dans le respect de chacun et de tous « La joie est la fin de toute communauté amicale, la joie partagée qui nous donne le désir de nous surpasser. Pour être bien avec soi même, il faut vivre heureux avec les autres. Tout comme le partage avec eux suppose l’expérience profonde et radicale de notre insurmontable solitude ». Dans la société moderne quand un homme prend le pouvoir, trop souvent l’action publique qu’il mène devient secondaire par rapport aux bénéfices symboliques qu’il en retire.

Gilles rêve d’une communauté politique où l’engagement de chacun contribue à la puissance de tous. Sans doute « les méchants » sont-ils incapables d’amitié. Ils préfèrent les choses aux amis, qu’ils traitent comme des choses.

Il en a assez d’être au balcon en position d’observateur. Peut être faut-il avant tout rester modeste, se réunir localement entre gens qui se connaissent et s’estiment.

 

Vivre dans un quartier de Paris

Gilles habite avec sa compagne et ses enfants le Marais depuis plus de vingt ans. Ici il connaît, parle avec tout le monde, développe une intimité avec des individus dont il est loin de tout savoir. Il a bien connu les vieux juifs ashkénazes du quartier. Cette culture a quasiment disparu comme s’est petit à petit évanoui, le Paris populaire. Ici le bling bling, la marchandise ont de plus en plus pignon sur rue, alors Gilles encore une fois se déplace. Il habite toujours au même endroit mais rejoint sa cabane – bureau dans le XVIII , là où l’Afrique redonne du sang neuf à la ville. Il n’y va pas souvent, mais il sait qu’il peut y trouver refuge.

Des rencontres

Il n’a pas eu l’occasion de prendre un verre avec Hegel Leibnitz mais il les a connu dans la profondeur de leur pensée. Il aurait pu rencontrer Sartre, Deleuze mais la célébrité rend l’approche des individus plus compliquée. Pour lui aucune activité n’est supérieure à une autre. Ce qui compte c’est la vie et les histoires qu’elle tisse. Un individu qui s’intéresse à quelque chose, chaussures, plomberie ou n’importe quoi d’autre est un individu intéressant. Ainsi un éducateur qu’il a connu il y a trente ans, collectionneur de voitures, génial en mécanique. Il avait un charisme, une vitalité incroyables et un grand respect des gamins dont il s’occupait. Ou encore Alexandre Von Wuthenau un aristocrate prussien connu au Mexique « Il avait été lié au Bauhaus et a tout abandonné quand les nazis ont pris le pouvoir. Architecte il a construit des maisons extraordinaires. Il travaillait beaucoup avec les indiens… Il était drôle, imaginatif … à la fois populaire et aristocrate, très engagé pour l’écologie »

Il se souvient aussi avec émotion d’un homme ami de son père qui plantait des arbres.

A travers les livres il s’est trouvé des héros qui l’enchantent, ainsi l’explorateur du XIX siècle Richard Burton, Georges Orwell, Bernard Traven, Ambrose Bierce, etc .

 

L’autre Gilles

Gille Tiberghien aime beaucoup Gilles Clément. Ils sont amis.

« J’ai découvert quelqu’un qui a une grande liberté vis à vis du regard social, des contraintes, vis à vis de beaucoup de conditionnements dans lesquels beaucoup de gens de notre métier sont pris. Il a une véritable sincérité. Rare. Une justesse, un engagement. J’envie cet engagement qui est basé sur une compétence et qu’il a étendu au monde de l’humain. Il a une prise »

De l’autre à l’un

J’ai demandé à Gilles Clément (voir le jardinier planétaire sur ce même blog) de me donner le nom d’une personne formidable dont je pourrais faire le portrait. Il a répondu : Gilles Tiberghien.

« Gilles est un philosophe, ce qui n’est pas une mince affaire. Il aborde les problèmes dans leur étendue et leur profondeur mais il est aussi capable de les placer dans l’ espace délicat de la dérision : il a de l’humour .Gilles est un ami , ce qui n’est pas une mince affaire .Les amis sont rares . Ils n’ont pas besoin de comprendre pour compatir, par avance ils sont complices, cela leur donne le pouvoir de dire sans blesser ce qui va et ce qui ne va pas.

Gilles est un ami de l’art et là il s’agit d’un machin énorme qui me dépasse un peu. Mais j’attache une importance extrême à l’art dans la mesure où j’attribue à cette fonction magique de la société humaine le pouvoir de faire changer les choses . Alors évidement ceux qui savent parler de l’art, le comprendre et le donner à comprendre ont droit à tout mon respect et mon admiration »

Gilles Clément

 

 Sur une route voyageuse

Gilles Tiberghien est en mouvement, à l’écoute des sensations d’un monde qui ne cesse d’évoluer. Plutôt que de nier l’aléatoire, la fragilité des relations humaines, il ouvre grand les portes «  Tant que l’on est en vie, on cherche le sens que l’on produit en même temps……J’ai envie que les gens imaginent le monde, j’ai envie de l’imaginer avec eux. On ne peut pas imaginer le monde tout seul… avec des artistes, d’autres personnes, n’importe qui, à n’importe quel niveau, pourvu qu’il y ait la joie »

Sur la ligne de crête des savoirs et des sensations, les artistes philosophes, parmi d’autres humains, créent « des ressources pour le futur » de la communauté.

Utile.

François Bernheim

 

Photos Arielle Bernheim

 

 

  • Sous la plume de G T l’amitié devient « amitier » acte entendu comme un engagement, une épreuve, un échange et une perte. Editions Desclée de Brouwer. 2002

 

 

 

 

 

 

 

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