Cette truelle très usée fut cette de Luigi Cavanna, le père de François. Ce n’est pas une relique. J’en ai hérité.Une truelle pour bâtir une nouvelle vie et devenir un personnage d’un roman. « je m’en suis servi à mon tour comme d’une chose allant de soit. Elle est de la variété « briqueteuse » (par opposition à la truelle « lisseuse » des cimetiers). Elle a perdu, par l’usure du travail, une bonne partie de sa longueur. Si la virole est mangée de rouille, c’est dû à mon manque de soin. Papa ne l’eût pas toléré. J’ ai aussi – et je m’en sers !- sa pioche, ses pelles, la grande ronde à gâcher et la carrée pour vider la brouette, sans oublier le cure-pelle taillé dans une cuillère à soupe aplatie à la masse, objets hautement symboliques et, pour moi, infiniment précieux. Les immigrants des vallées de l’Apennin, rudes montagnards élevés à la dure, retrouvaient dans les outils du maçon, du terrassier et du charpentier la rusticité bien poigne des instruments agricoles. »

 L’histoire de Luigi Cavanna Par son fils, François Cavanna

 

Luigi Cavanna est né en 1880 dans d’une famille d’ouvriers agricoles en Italie. Il arrive en France en 1912, à la recherche d’un travail. Il est embauché comme maçon sur différents chantiers et s’installe à Nogent-sur-Marne, à la périphérie de Paris. Luigi repart en 1915. Originaire du village de Bettola comme Lazare Ponticelli le dernier poilu en France, il est mobilisé par l’armée italienne, alliée de la France. « Pour tuer le temps au fond de la tranchée, les fantassins bricolaient, utilisant des matériaux de fortune. C’est ainsi que Luigi a taillé et cousu un portefeuille dans un morceau de drap gris-vert d’uniforme italien. On peut y voir ses initiales, L.C., brodées par lui-même. » Dès la fin du conflit, il revient à Nogent-sur-Marne. Il se marie avec Marguerite Charvin une employée de maison originaire de la Nièvre. Le 22 février 1923 naît un fils, François. Devenu écrivain et dessinateur humoristique, François Cavanna a publié en 1978 Les Ritals. Ce qui devait être un livre autobiographique et une saga sur les Italiens devient le récit de l’itinéraire migratoire de son père : « J’étais parti pour raconter les Ritals,je crois qu’en fin de compte j’ai surtout raconté papa. » Voici comment il raconte dans ce livre le départ pour la France de son père : « Bettola dort, lové autour de sa place immense, la Piazza Colombo, au beau milieu de laquelle une orgueilleuse statue rappelle au monde que le Découvreur naquit ici. La tour familiale est toujours debout, mais il n’y a plus un Colombo au pays. Le nom s’est éteint. Un garçon d’une vingtaine d’années, petit mais trapu, écarquille des yeux effarés d’un bleu lumineux sur le quai de la gare de Piacenza, c’est là qu’on prend le train pour la France. C’est la première fois qu’il vient en ville. Il est descendu de Bettola, à pied, ses affaires tassées dans un sac qui lui pend à l’épaule. Sous le bras, dans un torchon propre, il porte des provisions pour manger dans le train : un gros morceau de polenta de maïs accompagné d’un petit fromage très sec. Il se serre contre son compagnon de voyage, le Tounion, tant il a peur de se perdre dans cette foule bruyante, affairé, si à l’aise. Il a mal aux pieds, les godillots qu’il vient d’acheter d’occasion – ses premières chaussures – lui scient la peau, c’est un de ces vendeurs à la sauvette qui les lui a refilés, en le persuadant que prendre le train pieds nus ne serait pas convenable, qu’on le refoulerait à la frontière. Ce jeune gars s’appelle Luigi, Luigi Cavanna. Il ne sait pas que son ancêtre, celui qui fonda la lignée, avait pour nom Kavanagh, qu’il venait d’une île embrumée nommée Irlande et qu’il avait découvert l’Amérique au côté du grand Cristoforo. Il ne sait pas non plus qu’il est un descendant du Découvreur, et, à vrai dire, il s’en soucie peu. Il sait tout juste que le bonhomme de la statue de la grand’place est un certain Colombo, et pourquoi pas ? Il est illettré total et n’a pour l’instant qu’un souci : que quelqu’un lui lise les noms des gares par où il passera, afin de ne pas manquer Paris. Ce jeune gars devait devenir mon père. » Installé en France depuis presque vingt ans, Luigi risque dans les années 1930 d’être renvoyé en Italie, ce qui le pousse à demander sa naturalisation. Marguerite, pourtant française, a perdu sa nationalité d’origine lors de son mariage avec Luigi. Elle la retrouve grâce à cette naturalisation obtenue en 1939. Leur vie s’est écoulée à Nogent-sur-Marne, dans le quartier italien, où François Cavanna a passé son enfance.

 

 Les « petites Italies » en France

 

L’immigration italienne est la plus ancienne et la plus massive que la France ait connue. En 2008, environ quatre millions de Français ont des origines italiennes. L’une de ses spécificités est de s’organiser par communauté, se regroupant dans le travail et par quartiers. Des « petites Italies » se sont ainsi constituées dans les grandes villes (Paris, Lyon, Marseille, Nice et Grenoble) et sur l’ensemble du territoire, en Haute et Basse Normandie, Haut et Bas-Rhin, Rhône, Isère, Moselle, Île-de- France (en particulier Nogent-sur- Marne et Argenteuil), Nord-Pas-de-Calais, Bouches du- Rhône, Savoie et Haute-Savoie, Lot-et-Garonne, Var, Alpes-Maritimes et Corse. Dans ces deux dernières régions, l’immigration italienne a été favorisée non seulement par la proximité géographique, mais aussi par affinité ethnique et linguistique avec leurs habitants.

 

 

 

 

 

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