Exposition ALBUMS
DES HISTOIRES DESSINEES ENTRE ICI ET AILLEURS
Bande dessinée et immigration 1913-2013

L’exposition « Albums » qui se tient au palais de la Porte Dorée jusqu’au 27 Avril 2014 est une bonne nouvelle. La France  raciste, fermée à l’autre, incapable de prendre en compte les bienfaits du métissage et qui s’exprime aujourd’hui à travers médias et manifestations outrancières est une France parmi d’autres. Au Palais de la Porte Dorée, avant même que s’exprime le talent des auteurs de Bande Dessinée, c’est l’ouverture et l’intelligence aussi savante que populaire qui priment. Et cela change tout. Trop souvent dans ce pays, des personnes honorables qui défendent une cause honorable  ne réussissent à intéresser que ceux qui sont déjà convaincus. Dans le cas de l’immigration le problème est d’autant plus grave qu’un véritable fossé existe entre la réalité économique de l’immigration largement favorable au pays d’accueil et sa perception populaire qui pourrait bien constituer l’abcès de fixation d’un mal-être récurrent. En dialoguant avec les commissaires experts de la BD, les spécialistes de l’immigration et de l’histoire de l’art ont réussi à ré-ouvrir un champ d’information, de compréhension et de plaisir qui est celui d’un art populaire, c’est à dire un art éloigné de toute posture d’exclusion. Ce phénomène s’explique à un triple niveau :
-D’abord par l’histoire des auteurs, fils d’immigrés ou immigrés  eux-mêmes. Ainsi pour la première génération, René Goscinny originaire de Pologne,  Uderzo d’Italie, Georges Mac Manus américain , d’Irlande. Superman, le super héros a été créé par Jérôme Siegel  lithuanien d’origine  dont les parents ont fui les pogroms.
– A l’origine, la bande dessinée est un divertissement, les « funnies »  permettent de rire et prendre du bon temps. C’est dire que la BD est alors considérée comme une sous-culture, un art mineur vendu dans les kiosques et bureaux de tabac. Ainsi la bande dessinée et l’ immigration sont ouvertes l’une à l’autre, prêtes à s’aider réciproquement à devenir respectables .
– Le parti-pris de l’exposition est celui de l’esthétique et de la clarté dans l’information et le jeu. Les enfants et adolescents, nombreux à visiter cette exposition du Musée de l’histoire de l’immigration, ne sont pas de simples spectateurs, ils sont actifs, joyeux et concernés.
Trois séquences permettent d’entrer dans ce double univers de façon aussi pédagogique que dynamique :
«Bulles d’auteur» qui retrace les histoires et parcours des auteurs sur trois périodes.
Georges Mac Manus, Will Eisner,  José Munoz ( école argentine ) René Goscinny  en sont les pionniers.
Ce dernier ne doit pas seulement sa notoriété à Astérix ou à Lucky Luke. Pendant plusieurs années il a travaillé aux USA, où il a rencontré le créateur de « Mad ». A son retour en France, il crée le fameux magazine «Pilote»  fer de lance des jeunes auteurs de l’école française. Goscinny invente le métier de scénariste de BD.
La deuxième période, dans les années 8O, voit surgir des nouveaux talents comme Baru, Farid Boudjellal , Enki Bilal, la troisème, celle que nous vivons est celle de la planète nomade  avec Marjane Satrapi, Baloup, Pahé, Marguerite Abouet, Clément Ombrerie.
La deuxième séquence de l’expo «Sur la planche» donne à voir la matérialité de la BD son évolution par rapport  à l’époque, aux techniques et au traitement de ces sources.
A noter que plus de 5oo documents originaux émanant de 117 auteurs sont exposés dans le cadre de l’exposition.
La troisième séquence  » Travelling »  aborde le parcours des migrants du départ à l’arrivée dans une terre d’accueil pas forcément accueillante , sans oublier le voyage, souvent sur des embarcations de fortune et comportant tous les dangers auxquels sont exposés une population captive en butte au cynisme éhonté de passeurs malhonnêtes.

Dénommée «Comic strip» à l’origine, la bande dessinée, comme le montre l’exposition est devenue un art à part entière, se diversifiant à travers des genres issus de la littérature et du cinéma ( SF, auto-fiction, western, reportage, etc).
Les difficultés que connaît la planète et la chute des Twin Towers en avril 2001 en particulier, ont entraîné une prise de conscience. Des auteurs, comme Jo Sacco, ainsi que le souligne Hélène Bouillon, commissaire de l’exposition, ont pris acte de leur manque de connaissance de la société et de ses problèmes. Ils veulent donc être des reporters à part entière en phase avec le terrain et capables d’anticiper.
Aujourd’hui en France , même si quelques auteurs mettent en avant le thème de la solidarité, c’est d’abord la souffrance des immigrés, leur rejet, les discriminations qu’ils subissent qui sont mises en avant. Youmna Tohmé , enseignante, cite le narrateur de la petite histoire des colonies françaises  « Connaître leur histoire apprend à se connaître soi-même, car en vérité, je vous le dis, l’homme civilisé descend de l’immigré ».
Il n’y a pas d’âge pour s’informer des réalités du monde et se faire plaisir. L’exposition Albums, avec beaucoup de travail en amont et une grande simplicité en aval, réussit cette gageure magnifique. Comme quoi on peut être citoyen du monde sans pour autant rejeter les douceurs de la vie.  A suivre.

Palais de la Porte dorée, Musée de l’histoire de l’immigration
293 av Daumesnil, 75012Paris

photo Arielle Bernheim

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