Marie Hélène Massé —

 

« D’abord, je vais raconter le hold-up que nos parents ont commis. Ensuite les meurtres qui se sont produits plus tard. » Canada,  de l’Américain Richard Ford, commence très fort. Ce début dit tout. Il n’y a pas de suspense dans ce vaste roman écrit à petites touches. Juste la recherche minutieuse, rétrospective, de tous ces micro-évènements qui peuvent faire basculer les vies banales.

Dell est un adolescent quand arrive cet incroyable événement, le braquage d’une banque commis par ses parents. Il en est le narrateur. Tout au long des pages du roman, il va rechercher scrupuleusement, obsessionnellement, comment des gens que rien ne prédisposait à finir dans un pénitencier passent du statut de citoyens honnêtes à celui de malfaiteurs recherchés par la police. Comment ses parents, gens très ordinaires, ont pu glisser d’un quotidien sans déviance à l’acte extravagant qui fait exploser la famille. Bev Parsons, le père est un ancien de l’Air Force, un sympathique Sudiste aux larges épaules qui va de boulots en combines avec le sourire. Neeva la mère est une petite binoclarde renfrognée « et son teint pâlot de rat de bibliothèque lui donnait l’air fragile, elle qui ne l’était pas. » On ne peut pas imaginer un couple plus mal assorti. Pourquoi ils sont restés ensemble est l’une de questions que se pose Dell. Selon toute apparence, c’est à cause des enfants, Dell et sa sœur jumelle Berner. Et pourquoi ont-ils franchi le pas qui sépare les braves gens du Montana des criminels armés qu’ils sont soudain devenus ?

 

C’est le premier passage que scrute le narrateur, un passage presque invisible, sans évènements marquants. Mais après l’arrestation de ses parents qui les conduit rapidement en prison et fait exploser la famille, il y a le passage de la frontière entre les Etats-Unis et le Canada. Une frontière invisible, puisqu’elle n’est délimitée ni par un fleuve, ni par une chaîne de montagnes,  seulement par les barrières douanières qui séparent le Nord des USA  du Saskatchewan. Là, dans le refuge qu’une amie de sa mère lui a procuré, il fait la connaissance d’un étrange personnage, Arthur Reminger, tour à tour hautain et charmeur. Il y aura comme dénouement à cette relation le meurtre de deux hommes dont Dell va se retrouver le complice involontaire puisqu’il aide à enterrer les corps. Là encore, une frontière est franchie. Alors comme Dell, on pourra se demander encore et encore ce qu’est une vie. Une histoire singulière ? Une place définie pour chacun, dont on ne peut s’écarter ?

 

Plus tard, beaucoup plus tard, Dell enseigne la littérature. Sa « métaphore centrale est toujours le franchissement d’une frontière ; l’adaptation, le passage progressif d’un mode de vie inopérant à un autre, fonctionnel celui-là. Il s’agit aussi parfois d’une frontière, qui, franchie ne se repasse pas. » Et puis, comme le sous-entend Ruskin, on parvient parfois à assembler « des éléments disparates pour les intégrer en un tout ou le bien ait sa place. On essaie, tous tant que nous sommes. On essaie. »

 

 

 

Canada  de Richard Ford                                                                              

Editions de l’Olivier

 

 

 

 

 

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