La réalité est une prison. Une prison bien particulière. Y sont enfermés deux types de populations en apparence, fort dissemblables :

– Les délinquants et criminels primaires.

 

– Les tenants de l’ordre établi ou ce qui revient à peu près au même, tous ceux qui se croient obligés d’agir sans jamais commettre la moindre incartade.

 

A y regarder de plus près ces deux groupes d’individus ont en commun un manque  d’imagination, de culture et d’audace qui les amène à réifier leur vie personnelle et celle de leurs proches. Ceux que l’on pourrait appeler les « hors la loi » sont reconnus comme tels par les gens respectables. Ils sont les porte-parole d’une réalité au rabais aussi triste que désagréable. A l’inverse les gens bien, eux sans l’aide d’architectes et de gardiens sont  capables de s’enfermer eux même dans leur propre prison. Leur vie refuse délibérément de s’inscrire dans une quelconque forme de fiction.

 

Est-ce bien cela que nous raconte «  Comme des amours »le dernier livre de Javier Marias ?

 

Pas exactement. Mais les quelques lignes qui précèdent sont inspirées de sa lecture.

 

Javier Marias est comme Marcel Proust un grand paysan doublé d’un esthète. Ces êtres sèment des mots encore tout chauds, pour ne pas dire brûlants sur des terres qui peuvent les rejeter, les faire exploser, les caresser, les sculpter et même les emmener très loin de leur port d’attache. C’est ainsi qu’à l’inverse du pâtissier quémandant  les applaudissements au moment où il sort du four un gâteau en forme de chef d’œuvre  achevé, Javier Marias nous fait pénétrer  dans ce dédale  de routes plus ou moins tortueuses et accidentées et jamais finies, d’où émergent nos pensées. Ici, on les voit aller et venir, suivre maintes circonvolutions avant d’arriver à une forme assez solide pour pouvoir procéder à  des échanges.

 

Maria Dolz, Jeune éditrice de romans, également appointée pour connaître les caprices de ces gens que l’on appelle romanciers, prend tous les matins son petit déjeuner dans la même cafétéria. Là, sans engager la conversation avec eux, elle fait connaissance d’un couple. L’homme comme la femme sont si amoureux que leur relation illumine la journée de tous ceux qui les regardent et en particulier la sienne .

 

Un jour ils ne sont pas là. Les jours suivants non plus. Elle apprend que l’homme a été assassiné « par erreur » par un voiturier voulant punir l’homme qui avait mis ses deux filles sur le trottoir. Quelques mois plus tard Luisa  sera de retour. Maria parle à Luisa, elle sera invitée chez elle, fera connaissance du meilleur ami de Miguel, deviendra son amante, sachant qu’il brûle d’amour pour Luisa. Cette dernière au plus profond de son malheur est bien sûr incapable de s’en apercevoir. Un jour après une rituelle partie de jambes en l’air d’après-midi, Maria surprend une conversation qui n’aurait jamais du lui arriver aux oreilles. Son amant est le commanditaire du crime. Il a tout organisé, pour se trouver à l’abri de toute investigation. Il n’a qu’un mobile son amour pour Luisa. Retour à la réalité ?

 

Proust va-t-il revêtir les habits de Conan Doyle ? Et bien non. Ce que l’on appelle prosaïquement la réalité est seulement une piste parmi d’autres. Il se pourrait que Diaz Varela, l’ami très cher, ait agi à la demande de Miguel Desvern, trop malade pour supporter de vivre plus longtemps. Il se pourrait aussi que cette version des faits ne soit que pur mensonge. Le temps va passer, Luisa pourrait rouvrir les yeux et son cœur. Cette éventualité est à un moment donné aberration, à un autre elle  l’est moins, ou elle ne l’est plus. Mystère des cœurs, des représentations mentales et de leur cheminement.

 

Sur la pointe des pieds, Marias nous fait pénétrer au cœur de ce chaudron où les sentiments, les pensées, en fonction de mille variables peuvent se transformer. Emerveillés autant que charmés, nous comprenons alors que nos vies sont des vraies fictions. Nous sommes des millions, pour ne pas dire des milliards d’auteurs du quotidien, non assumés. Il fallait bien nous trouver en prise avec « la réalité » d’un roman pour découvrir que tout reste possible.

 

François Bernheim

 

 

 

Comme les amours de Javier Marias

 

Editions Gallimard

 

 

 

 

 

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