Par Marie Hélène Massé _

 Voici une belle histoire, celle de la régénération d’un quartier abandonné de Johannesburg. Et pour la raconter c’est une urbaniste française, Alice Cabaret, qui, de passage à Paris, nous fait partager la renaissance de Maboneng Precinct. Mais d’abord, plantons le décor.

 

 1991, fin de l’Apartheid en Afrique du Sud. En 1994, Nelson Mandela est prix Nobel de la Paix. Vu d’ici, on applaudit. A Johannesburg, Joburg comme on l’appelle, la réalité est tout à fait différente. On n’efface pas facilement les blessures qu’un régime politique très dur, pratiquant une ségrégation raciale et sociale extrême a infligé à la grande majorité de sa population non blanche. Les riches délaissent la ville, abandonnent des quartiers entiers et s’isolent dans des banlieues ghetto, entourées de hauts murs, n’en sortant que pour aller en voiture dans les malls, des centres commerciaux ultra-sécurisés. On vit entre soi. On s’ennuie énormément. Les enfants vont dans des écoles pour blancs.

 

Dans les rues désertées de Johannesburg, place aux gangs, à la crasse, à la violence, aux trafics en tous genres. La ville devient un désert urbain livré à tous les dangers. Mieux vaut ne pas y traîner.

 

D’ailleurs la plupart des jeunes aisés de moins de 25 ans n’y ont  jamais mis les pieds.

 

Et les mines d’or qui bordent au sud la ville fantôme sont épuisées. C’est pour leur fournir une main d’œuvre à bas prix qu’a été créée Soweto dont la population survit souvent dans des conditions précaires bien qu’une bourgeoisie noire commence à émerger.

 

Voici donc idéalement réunies toutes les conditions d’un désastre urbain et humain.

 

2008, Jonathan Liebman revient d’Angleterre où il est allé terminer ses études. Là il a vu l’inimaginable : des villes où des gens se côtoient, font leurs courses, se parlent même, se déplacent librement, vont au spectacle, éprouvent le plaisir simple de marcher dans la rue. De jour comme de nuit. Dès son retour, il décide de réinvestir Johannesburg. Il repère un quartier entier d’immeubles abandonnés et non squattés et commence par l’un des buildings. Il  y fait venir des gens connus. Immédiatement  il décide de faire la part belle à l’art, en pleine effervescence dans le pays. L’artiste William Kentridge y installe son atelier et fait venir d’autres artistes. L’idée de Maboneng Precinct est lancée. Tout de suite, on ouvre un cinéma, on réhabilite les locaux en lofts, ateliers, galeries, studios, appartements en privilégiant la mixité sociale et raciale. C’est un succès immédiat. A tel point que dès 2011, le projet comprend la réhabilitation de 37 immeubles. C’est là qu’Alice Cabaret apparaît. Elle est stagiaire à l’Agence Française de Développement de Johannesburg et spécialiste après ses études à Science Po de stratégie territoriale et urbaine. Elle rencontre Jonathan Lieberman et lui propose une étude du quartier. Là elle lui soumet une idée qui le séduit : Maboneng Precinct va se doter d’une ligne de bus, le Mabobo, qui rayonne partout dans la ville. Elle est engagée, et en 2 ans, passe de stagiaire à Strategic Operations Manager.

 

«Ca a été très dur de faire tomber les barrières, explique-t-elle, de changer les perceptions. Maintenant, ça y est, nous sommes devenus « Heritage District ». 45 000 m2 ont été réhabilités et on continue sur les mêmes propositions urbaines : marcher dans la rue, y prendre son café. Ce qui a eu un grand impact, c’est le marché tous les dimanche sur Arts On Main. C’est un vrai moteur.» Des produits frais, de l’artisanat, des gens qui se sourient, qui échangent et qui parlent.

 

Main Street Life, un 2e building vient d’être achevé. Comme l’art doit garder toute son importance et démontrer qu’il n’est pas réservé aux élites, il montre une exposition à chaque étage, et comprend un petit hôtel de 14 chambres réalisées par des artistes. Il y a également des lofts, des studios. Autre exception pour Johannesburg, les boutiques sont en rez-de-chaussée. Et les gardes, baptisés « Ambassadors » ne sont pas armés. Pourtant le quartier a le taux de braquages le moins élevé de Johannesburg.

 

Cette réussite extraordinaire a même attiré Columbia University de New York, qui vient d’ouvrir sur les lieux un bureau de recherche urbaine.

 

Alors où est l’ombre au tableau ?

 

« C’est un projet très complexe, un véritable challenge, souligne Alice. Nous développons 9 nouveaux immeubles financés par des investisseurs privés, des institutions et des banques. Il faut faire des trottoirs, des égouts, planter des arbres. Pourtant la Ville s’en désintéresse. Johannesburg ce n’est pas comme Londres ou New York. Il y a un contexte de paresse intellectuelle, des soupçons de corruption. Et puis… nous voulons éviter la gentryfication. »

 

Oui ! Que Maboneng Precinct reste une belle utopie, malgré sa réussite. Changer le monde est toujours un bon projet.

 

 

 

www.mabonengprecinct.com

 

Plusieurs des artistes de Maboneng Precinct sont exposés actuellement à la Maison Rouge

 

10 bd de la Bastille

 

Exposition My Joburg, la scène artistique de Johannesburg jusqu’au 22 septembre 2013

 

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