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Premières réponses: Roselyne Dubowsky, Nicolas Roméas, Antonie Sitbon, Agnès Henry, Bernard Cohen

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Roselyne Dubowsky

 » Sauve toi, la vie t’appelle ».le titre à lui seul résume l’histoire de son auteur! Sa seconde naissance, celle dont il se souvient démarre le jour où il a été arrêté par des hommes armés qui entouraient son lit, venus le chercher pour l’envoyer à la mort………il avait 5ans! C’est un récit hors du commun où Boris Cyrulnik s’emploie à nous montrer comment il a pu reconstruire la mémoire d’une enfance en miettes, fracassée par la guerre qu’il était impossible d’évoquer au risque de se faire prendre pour un malade.un affabulateur……..son interprétation des situations est un outil précieux pour tous les traumatisés des guerres qui ne peuvent pas évoquer l’horreur de ce qu’ils ont vécu, refoulant, parfois remaniant les souvenirs pour ne pas déprimer….C’est un hymne à la vie absolument magnifique!!!!!A partir de sa propre histoire Boris Cyrulnik nous achemine vers « son concept de résilience »c’est à dire la capacité de l’enfant maltraité à pousser droit malgré l’adversité, et à refuser le statut de victime.Tout enfant blessé est contraint à la réussite s’il veut s’en sortir,il réussira d’autant mieux s’il a reçu des informations de tendresse d’amour d’attention dans les premiers mois de sa vie, ce sont les ressources internes qui constituent sa personnalité. Alors joueront les ressources externes, toutes les mains tendues, parents, amis, éducateurs, médecins…Tout au long de son récit, il évoque ses souvenirs la reconstruction de sa mémoire, tentant d’expliquer pas à pas la mise en place de sa théorie et comment il a fini par être psychiatre, il a dit un jour  » si je suis psychiatre, c’est évidemment à cause de mon enfance, il faut avoir un compte à régler pour faire ce métier ».

Nicolas Roméas,

Anatomie de la bataille de Giacomo Sartori (traduit de l’Italien) Anatomia della battaglia (Sironi, 2005), trad. francese Éditions Philippe Rey.

Un village de l’Italie du nord, dans le Trentin, où le fils revient vivre dans sa famille pour soutenir son père après des années d’errances « gauchistes » militantes et assiste aux ruminations émaillées d’éclairs de conscience du vieux soldat déclinant. Un texte magnifique, dur et subtil, étonnamment bien traduit de l’Italien, sur les dernières années dans les années cinquante d’un vieil homme qui fut fasciste mais qui était aussi un homme traversé de contradictions et d’humanité, le père de l’auteur, qui l’aimait.


Antonie Sitbon

Je viens de terminer un livre magnifique, qui nous fait voyager à travers la Méditérranée..
 » Celle qui arriva voilée  » de Catalina Moroselli – éditions perséePrésentation de l’éditeur
Elle avait surgi de nulle part, cette silhouette irréelle aux allures d’étoile naissante… Ses pas, rythmant une démarche de souveraine, caressaient le velours du temps et en accentuaient le mystère… Vers le môle désert, elle arriva voilée et superbement parée d’atours de légende. Qu’est-ce qui peut bien décider cette femme majestueuse à renoncer aux splendeurs florentines de la Renaissance, pétrie qu’elle est de ses idéaux de beauté et d’accomplissement de soi ? Et pourquoi choisir de s’égarer sur une île de bergers, face à la Toscane ? Quand et comment le retrouvera-t-elle, ce lieu perdu pointé du doigt par ses ancêtres ? Le coeur forgé à l’espérance, elle fera preuve d’une force obstinée et relèvera les défis de l’adversité entre Toscane, Sardaigne, Catalogne, Provence et Corse. Une force obstinée à aller de l’avant dans un monde sans merci où la misère défie l’opulence. C’est le moment où banquiers et marchands transforment la Méditerranée du XIVe siècle en un espace économique moderne, propulsant son Histoire à une échelle européenne. L’héroïne jette ainsi sur l’existence un regard d’autant plus généreux qu’il embrasse un vaste horizon. Sous l’égide de l’élégante et mystérieuse Mira la juive, et au furtif écho du Shofar, entre Orient et Occident, l’auteur propose une invitation à la tolérance.
Biographie de l’auteur
Avec une carrière d’avocat entre Ajaccio et Paris à son actif, Catalina Maroselli Matteoli est chercheur, ayant étendu sa sphère d’investigation à l’Euro Méditerranée.
Agnès Henry
une plongée dans la littérature asiatique et notamment, du Viet Nam.
« Terre des oublis » de Duong Thu Huong publié chez Sabine Wespieser.. un voyage dans le Viet Nam et dans cette culture où les gens sont tiraillés entre leurs sentiments et les traditions. Une lecture qui vous emporte.

Bernard Cohen

S’enthousiasme pour Madame Solario.( Belles Lettres)il vient d’en écrire la préface sans compter un vibrant hommage dans Libération

Enquête Le livre «anonyme» ou presque a fasciné des générations de lecteurs. Nous avons remonté, cinquante ans après sa mort, la trace de Gladys Huntington, l’auteure de cet ouvrage mythique et sulfureux.

C’est une quête qui passe par New York, une ferme puritaine du Massachusetts, le lac de Côme, un palais vénitien, Florence, les cercles Quakers de Philadelphie au XIXe siècle, Paris, Londres et un village du West Sussex, dans un cottage tranquille, où reposent les papiers personnels d’une romancière aussi énigmatique et fascinante que son personnage, Madame Solario. Une remontée dans le temps où l’on croise le fondateur des Casques bleus onusiens, un architecte qui a conçu des palais pour le sultan de Brunei, un millionnaire de Pennsylvanie expatrié en Europe, deux sœurs également belles, également passionnées et qui choisiront toutes deux le suicide à trente ans d’intervalle, un éditeur prestigieux ami personnel de John Steinbeck, une ancienne maîtresse de Maxime Gorki, et à chaque fois cette énigme qui, en 1992, avait inspiré à la psychanalyste Nata Minor un livre, Qui a écrit Madame Solario ? Qui ? Gladys Huntington. Une femme ayant voulu l’anonymat mais aussi tentée par la célébrité. Une femme à laquelle les lauriers amers de la consécration littéraire ont été refusés au dernier moment, et qui décidera alors de ne plus vivre.

Arbre généalogique

J’ai lu Madame Solario quand j’avais 14 ans et c’est un livre qui m’a marqué à jamais. Qu’il ait été anonyme rajoutait sans doute au parfum de mystère dégagé par Nelly-Natalia-Ellen Solario, l’héroïne de ce roman situé en 1906 dans un palace de Cadenabbia – l’Hôtel Bellevue, qui existe toujours mais n’est plus ce qu’il était -, sur le lac de Côme. L’histoire, vue au début et à la fin par les yeux d’un jeune Anglais un peu naïf et très amoureux de la belle inconnue, Bernard Middleton, se déroule classiquement en trois parties, trois actes dans lesquels Madame Solario passe comme une apparition qui affole les hommes, stimule les femmes, et qui se termine tragiquement, mais pas pour cette «Belle dame sans merci» à la fois vulnérable et inatteignable. Un homme meurt, le Russe Kovanski. C’est un roman qui est arrivé en tête de la liste des best-sellers du New York Times dès sa parution en 1956, dont Marguerite Yourcenar avait toujours au moins deux exemplaires dans sa «bibliothèque de tête de lit», que Pat Covici, le légendaire éditeur à Viking Press – l’ami de Steinbeck – tenait en grande estime. Et là, en octobre 2009, je suis assis dans un confortable salon à Notting Hill, un havre de paix au centre de Londres, en face de Peter de Brant, le fils adoptif de Gladys et Constant Huntington, qui à 80 ans garde des yeux pétillants quand il dit avec un petit sourire : «Bernard Middleton, c’était moi…» Pour remonter la trace, il a fallu se servir de toutes les ressources de Google, éplucher des arbres généalogiques, interroger des agents littéraires des deux côtés de l’Atlantique, puisque pour les éditeurs Madame Solario reste «un anonyme».

Pompon de l’extrapolation

Que Gladys ait été l’auteure de ce livre entouré d’une aura scandaleuse – car nous apprenons très vite dans le roman que l’héroïne a été forcée de coucher avec son beau-père, puis nous découvrons qu’elle entretient une passion incestueuse avec son frère, lequel débarque abruptement dans ce petit cercle de vacanciers cosmopolites et fortunés – a été en réalité, et ce pendant cinquante ans, un secret sans en être un. Dès l’été 1956, Nancy Spain, une journaliste et écrivaine britannique que Gladys fréquentait à Londres, a laissé échapper la nouvelle parmi ses proches, à commencer par le chroniqueur mondain et critique littéraire du New York Times, Stuart Preston.

A la parution du livre, une étrange et silencieuse bataille s’engage entre ceux «qui savent» et ceux qui entendent préserver l’anonymat, ou qui sont trop crédules pour aller chercher plus loin. Le pompon de l’extrapolation oiseuse revient sans doute au critique du quotidien australien The Age qui écrit le 26 janvier 1957 : «L’auteur est probablement un homme, Anglais et âgé d’environ 75 ans.» Or, c’est une femme pas très heureuse dans son ménage avec un digne éditeur chez Putnam, issue d’une riche et excentrique famille américaine, et si elle a 69 ans à la sortie de Madame Solario, c’est un livre qu’elle a entrepris trois décennies auparavant avant de mettre à l’écart le manuscrit, comme elle le fera avec un autre projet romanesque, intitulé The Ladies’ Mile, du nom de ce quartier historique de New York où les femmes de la bonne société de jadis allaient faire leurs courses.

Peur de l’échec

Outre son mari, elle ne fait lire le manuscrit (écrit au crayon dans des cahiers d’écolier à reliure noire) qu’à son amie et protégée, Moura Budberg, une Russe de Lettonie considérée comme «agente triple» dans la guerre froide, que Maxime Gorki avait tellement aimée qu’il la fera venir à Moscou juste avant sa mort et dont Nina Berberova écrira la biographie.

Quand la traduction française paraît en 1957 – parmi les neuf versions non-anglaises de Madame Solario, et celle à laquelle Gladys tenait le plus, au point de venir à Paris travailler plusieurs jours dans sa chambre de l’hôtel Lotti avec la traductrice, Renée Villoteau -, le préfacier, Marcel Brion, du Monde, caresse l’idée d’un jeu littéraire qui consisterait à essayer de deviner qui l’a écrit. D’autres l’ont fait avant lui, comme ce journaliste américain pariant sur une «Françoise Sagan [qui a publié Bonjour Tristesse trois ans plus tôt, ndlr] mâtinée d’Henry James». «Gladys avait choisi l’anonymat parce qu’elle redoutait l’échec, l’humiliation publique», dit, à New York, Brian Urquhart, ancien secrétaire général adjoint de l’ONU, brillant diplomate qui a aidé à la constitution de la force des Casques bleus et par ailleurs ex-époux de la fille unique des Huntington, Alfreda, et père des trois petits-enfants de Gladys, «mais quand le livre a été un tel succès, elle aurait voulu goûter son instant de gloire».

Commentaire sibyllin

D’où ces pages poignantes du journal qu’elle tenait dans de petits carnets reliés en cuir rouge, puis vert, de 1928 à sa mort en 1959, et que sa petite fille, Katharine Urquhart-Ono, est allée chercher dans des cartons poussiéreux conservés dans sa grange d’Amberley, en pleine campagne du Sussex. Le 31 janvier 1957 : «Donc, le livre n’est pas complètement mort !» écrit-elle en apprenant qu’une journaliste de Life Magazine, Ruth Lyman, accompagnée du talentueux photographe Mark Kaufman – qui deviendra plus tard le chef du service photo de Playboy -, vont venir l’interviewer dans la belle maison que son père, Alfred Parrish, lui a laissée à Amberley, à une heure et demie de route au sud de Londres.

Peu après, c’est toute une équipe de Paris Match qui débarque mais, le 23 février, elle note dans son journal : «Stock [son éditeur français] m’écrit pour me dire qu’ils ne veulent PAS l’article de Paris Match. Ils veulent le mystère qui planait autour de ce livre [en français dans le journal] Et d’ajouter, elle qui guettait fébrilement les numéros du journal français : «Je suis contente qu’ils ne l’aient pas encore publié.» Tout se passe comme si, à son désir initial d’anonymat inspiré par sa timidité d’auteure – et par la présence intimidante de son mari, Constant qui, en tant qu’éditeur respecté, a lu le manuscrit en 1955 mais n’aura que ce commentaire sibyllin noté avec une pointe de désespoir par Gladys : «C’est unique, c’est Frankenstein !» – venait se surajouter la stratégie commerciale des maisons d’édition : la mention «Anonyme» fait vendre, surtout quand il s’agit d’un roman traitant d’«une société gourmée brièvement envahie d’une amoralité subtile et de passions sexuelles prohibées», ainsi que le proclame encore pompeusement la jaquette de l’édition 1978 de Penguin…

«Olivia» et «Histoire d’O»

A la même époque, il y a deux autres cas de femmes talentueuses, autant et même plus intégrées aux milieux littéraires, qui choisissent l’anonymat sans pour autant brouiller complètement les pistes et toujours avec le désir latent de se révéler au monde. C’est d’abord celui de Dorothy Bussy, la traductrice en anglais – et amante frustrée – d’André Gide, qui publie en 1949 Olivia sous le pseudonyme d’Olivia, une histoire d’amours lesbiennes dans un pensionnat qui sera un énorme succès de librairie et dont elle ne dissimule aucunement la maternité, puisqu’elle écrit aussitôt à Gide, lequel avait édicté qu’elle ne serait jamais capable de concevoir un roman publiable, qu’elle est en train de travailler à la traduction française de son livre avec rien moins que Roger Martin du Gard. Ensuite, il y a, en 1954, le beaucoup plus «explicite» – comme on dirait aujourd’hui – Histoire d’O, d’Anne Desclos alias Dominique Aury alias Pauline Réage, une experte de l’anonymat et des jeux de miroir pseudonymiques qui ne revendiquera publiquement son œuvre qu’en 1994, peu avant sa mort, mais que l’écrivain italien Giancarlo Marmori avait formellement identifiée dans l’Espresso dès 1969…

Des trois, Gladys Huntington est sans doute la plus complexe, la plus déchirée entre son statut social très conventionnel et la pulsion d’écrire qui l’a déjà conduite à publier un roman en 1934 – Carfrae’s Comedy, mystérieusement disparu du moindre bouquiniste de la planète -, puis, dans les années 50, deux courtes nouvelles dans leNew Yorker, dont le chef de la section littéraire, William Maxwell, qui lui a été présenté par son gendre Brian Urquhart, ne cessera de l’encourager à cultiver son talent. Curieusement, la première de ces «short stories», My Mother Dancing, s’attache à un jeune garçon torturé par un amour plus que filial pour sa mère, aussi imprévisible et fascinante que Madame Solario – il semblerait que l’inspiration de ce personnage féminin ait été dans les deux cas la sœur aînée de Gladys, Cora -, tandis que la seconde, A Tiresome Accident, dépeint les excentricités d’une famille de la haute aristocratie italienne dans laquelle il n’est pas difficile de reconnaître les Emo Capodilista, dont Cora a épousé l’un des rejetons, Corrado.

Thématique de l’inceste

Le sujet est certes explosif sur le plan personnel – les deux branches de la famille, américaine et italienne, se sont brouillées autour d’une propriété achetée à Florence par le père des deux sœurs avant-guerre -, mais ce n’est pas seulement pour cette raison que Gladys aurait aimé publier la nouvelle anonymement, ainsi que le prouve une lettre de William Maxwell que Peter de Brant m’a montrée, dans laquelle il l’enjoint de s’inventer un pseudonyme, au pire, parce qu’«Anon. won’t do» («Anonyme, ça n’ira pas chez nous»). Etre publiée mais rester cachée, c’est l’une des contradictions centrales d’une femme qui était certainement en avance sur son temps et accumulait les paradoxes. Gladys est née à Philadelphie le 13 décembre 1887 dans une famille prospère et attachée aux valeurs de la secte protestante des Quakers. Son arrière-grand-père paternel, Joseph Parrish, a œuvré en faveur des esclaves noirs cherchant à échapper aux plantations, mais elle se sentira aussi toujours «du Sud», comme elle le reconnaît dans un texte inédit auquel j’ai eu accès, attachée à la tradition sudiste américaine de la famille de sa mère, les Jennings et les Broadwood.

Très jeune, elle passe de plus en plus de temps en Europe, villégiature à Cadenabbia où son père loue une magnifique villa, mais elle gardera une nostalgie de l’Amérique que Madame Solario exprime elle-même à certains passages du livre. Il s’agit de fréquenter le «grand monde», d’être acceptée par la crème de la bonne société anglaise – Kate Parrish ne sera pas peu fière d’avoir présenté sa fille aînée à la reine Victoria, et plus tard la fille de Gladys, Alfreda, sera parmi les «débutantes» reçues par la reine Elizabeth -, un petit monde à la dent dure qui l’intimidera particulièrement lorsqu’elle se sentira prête à publier Madame Solario.

Mais un petit monde qu’elle veut aussi bousculer avec cette thématique de l’inceste, qui d’après tous mes recoupements ne renvoie à aucun antécédent personnel («C’était des Quakers et des Episcopaliens convaincus, tout de même !» m’a dit un proche de la famille), mais intervient comme un symbole de l’enfermement familial, une parabole extrême à propos du pouvoir exorbitant des hommes sur les femmes que Gladys, comme Dorothy, comme Anne-Dominique-Pauline, à la fois accepte et commence à contester dans le secret de son écriture.

«Elle était à la fois très traditionaliste et non-conformiste», dit d’elle sa petite-fille Katharine, en me faisant visiter la petite église anglo-normande d’Amberley où Gladys, Cora, leurs parents, et Alfreda reposent côte à côte dans un cimetière à l’anglaise, tout simple et solennel sous des arbres centenaires. Elle a eu des liaisons amoureuses – notamment avec un certain Mario, de la haute société florentine, dont elle a conservé religieusement les lettres – mais elle a épousé, tard, un descendant de l’une des grandes familles puritaines de Nouvelle-Angleterre, guetté par la surdité et avec lequel elle fait chambre à part.

«Notre monde s’écroule»

La lecture de son journal montre que la jeune femme mondaine, qui dans ses carnets gardait surtout trace de ses déjeuners en ville et de ses parties de tennis ou de bridge, est profondément affectée par le début de la Seconde Guerre mondiale. «Notre monde s’écroule», écrit-elle brièvement mais éloquemment le 10 mai 1940. Cinq mois plus tard, un accident de bicyclette dans la campagne anglaise : elle se fracture la hanche et boitera jusqu’à la fin de sa vie.

Les tragédies privées s’accumulent. Sa cousine la plus proche, Mimi Story, atteinte d’une maladie incurable, lui confie les deux enfants qu’elle a eus avec un officier russe flambeur et coureur de jupons, l’incontestable modèle du Kovanski de Madame Solario. Le garçon, Peter, est celui qu’elle questionnera plus tard pour modeler son personnage de Bernard Middleton («Elle voulait savoir comment un jeune Anglais mâle voyait la vie», me racontera-t-il) et deviendra un architecte prisé par les notables de la Péninsule arabique dans les années 70.

Cora, anorexique, se suicide juste après avoir été guérie par des médecins en Suisse. «La joie se mue en chagrin», écrit Gladys peu après la publication tant attendue de son roman, car le destin semble s’acharner autour d’elle : la nounou de ses petits-enfants, qui avait été aussi celle de sa fille, est foudroyée par une crise cardiaque en descendant de l’avion qui, comme chaque année, les amenait d’Amérique pour des vacances dans le Sussex, puis c’est la mort soudaine de deux de ses amies de longue date, Stephanie de Neufville et la comédienne Ruth Draper.«Terriblement déprimée»,note toujours plus souvent Gladys dans son journal. Fin 1958, une touche optimiste : «Lettre d’André Bay [directeur littéraire de Stock], à propos du succès [du livre] à Paris : un rêve !»

David Selznik, le légendaire producteur d’Autant en emporte le vent, acquiert les droits cinématographiques, mais il meurt en 1965, et malgré l’existence d’un scénario écrit à partir du livre par Arnold Wesker, en 1968, le projet se perdra dans les sables mouvants hollywoodiens. Et quel étrange triomphe, alors qu’elle se retrouve prisonnière de son anonymat !

Respect des conventions

Comprenant l’impossibilité du dilemme, Gladys Huntington avait demandé à Constant de dire à Nancy Spain, qui la pressait de révéler qu’elle était l’auteure de Madame Solario, qu’il fallait lui accorder «encore une semaine ou deux de secret», mais entre-temps la sensation causée par le livre s’est déjà estompée, surtout en Angleterre où son éditeur, Heinemann, ne le pousse qu’à contrecœur. Et son espoir d’être capable de se réatteler à l’écriture de The Ladies’ Mile tourne court.

Le 24 avril 1959, la dernière entrée indique simplement : «Amberley.» Une semaine plus tard, elle met fin à ses jours. Par respect des conventions, son acte de décès indique que la mort a été naturelle. Le suicide est-il un trait familial chez les Parrish ? Dans la famille, on raconte qu’Alfred, «nabab imprévisible, un jour roulant sur l’or, le lendemain sans un sou», comme le décrit Brian Urquhart, aurait soupiré : «Je crois que je vais mourir» sur son lit de mort et que sa femme, la très altière Kate née Jennings, aurait rétorqué : «C’est ce que vous avez toujours souhaité, mon cher.»

Comme une autre grande dame de la littérature anglo-saxonne, Vita Sackville-West, Gladys Huntington a été «writer and gardener» – «écrivain et jardinier», selon l’inscription sur la pierre tombale de Vita -, choyant tendrement les arbres et les plantes de son jardin du Sussex. Mais la stèle de Gladys, plus conventionnelle, la présente seulement comme «épouse de Constant Huntington et fille d’Alfred Parrish».

Dans les années 1980, ses petits-enfants et légataires, Thomas, Katharine et Robert, ont autorisé les éditeurs de Madame Solario à attribuer publiquement le livre à leur grand-mère. Pourtant, si la mention «attribuée à Gladys Parrish Huntington» a commencé à apparaître sur des sites internet de libraires et sur l’édition 1986 chez Penguin, il reste à faire connaître aux nouvelles générations ce roman fascinant sous le nom d’une auteure qui fut anonyme par nécessité plus que par volonté.

Désormais que le mystère est définitivement éclairci – et tant pis pour la thèse joliment envisagée par la psychanalyste Nata Minor selon laquelle l’auteur aurait été Winston Churchill ou sa femme -, on attend une réédition anglaise, italienne, française et autres de «Madame Solario, de Gladys Huntington». Et dans notre village global où les arrière-petits-enfants de Gladys parlent anglais, japonais, allemand et hébreu, pourquoi pas une sortie mondiale ?


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