Photo Arielle Bernheim

L’espoir, cette tragédie » de Shalom Auslander. Editions Belfond

traduit de l’américain par Bernard Cohen

En librairie à partir du 10 janvier

En décembre 2012, «Mardi ça fait désordre » a rencontré Slalom Auslander, de passage à Paris à l’occasion de la sortie de son dernier livre «L’espoir, cette tragédie ». L’homme est aussi avenant et authentique que totalement perdu dans un monde de terreur. Sur la couverture américaine de son livre, figure une biche aux abois. Une visite sur le site de l’auteur (www.shalomauslander.com ) confirme le propos. Nous pénétrons dans une chambre d’isolation dont la porte est entrouverte. Etre à l’intérieur ou à l’extérieur de la prison ne change rien. Peut être est-t-on plus confortable à l’intérieur souligne tout de même S. Auslander. Le ton est donné. La religion, les mères juives pourrissent le monde. On  les dénoncera d’autant plus violemment que l’on ne peut pas vivre sans elles. « Je préfère être mort que perdu affirme le fils du héros du livre. Alors il ne reste plus qu’à hurler, rire, blasphémer et  pourquoi pas  écrire. Les incurables optimistes qui ont voulu changer le monde comme  Staline ou Hitler «ont fait de notre planète un cauchemar.  Les pessimistes n’installent pas de chambre à gaz ». Bannissons tout espoir d’un monde meilleur et accrochons-nous à la catastrophe culturellement la plus proche de nous. Ainsi nous fermerons la porte à tout changement susceptible de faire reculer les limites du pire. La mort n’est un problème que parce la folie humaine a postulé qu’il pouvait y avoir une vie avant cette issue fatale. Le monde de Shalom Auslander est celui de la putréfaction. Il imagine que dans la maison où vit un certain Kugel, alias monsieur K, s’est réfugiée Anne Frank. C’est aujourd’hui une vieille femme puante  et moche qui écrit un livre interminable et sûrement calamiteux. Pourquoi est-elle là ?  D’après l’auteur, elle a l’insigne mérite de faire un bras d’honneur à sa propre mère : Anne Frank n’est pas plus morte que ceux qui se font un devoir de revivre à chaque seconde, la catastrophe finale. Mais avoir une mère juive est encore plus catastrophique que l’holocauste car elle n’offre aucune chance de survie. Il ne reste aux enfants juifs américains qu’à porter le poids écrasant d’une culpabilité étrangère à leur histoire. Heureusement l’écrivain n’avoue être angoissé et coupable que lorsqu’il qu’il est éveillé. D’aucuns jugent ses écrits provocants et scandaleux. On ne voit pas pourquoi. Se demander par exemple, si la wifi fonctionne lors d’un génocide, est pour le moins insolite mais cette ironie est d’abord un outil d’auto-destruction. Il est intéressant de noter que ce profond désarroi des juifs orthodoxes américains rejoint un fatalisme contemporain qui n’a pas toujours des racines religieuses. La littérature d’Auslander se développe dans un contexte idéologique  où le mal et le bien sont devenus strictement équivalents. L’auteur ne rentre aucunement dans un schéma politique formaté, mais son écriture est le porte-drapeau d’une impossibilité à réinventer le monde comme à le transcender. Il est à ce titre aux antipodes d’un Franz Kafka remettant en question la loi du père.

Dans l’équation que propose Shalom Auslander, les victimes, faute de mieux, sont prêtes à transmettre  indéfiniment la malédiction qui les frappe. L’ailleurs comme l’autre n’existent plus. De deux choses l’une, soit il faut se tirer une balle dans la tête sur le champ, soit avoir l’audace d’affirmer que les enfants européens des juifs martyrisés ont beaucoup plus de chance que leurs homologues américains. Ils ont eux, une véritable histoire qui les autorise à pleurer leurs morts et à découvrir que l’ambivalence  entre le bien et le mal est le lot de chacun. Ce qui ne signifie pas, ce qui ne signifiera jamais, que tout équivaut à tout. Shalom Auslander a du talent et cela ne lui rend pas la vie plus agréable. Il est malheureusement en phase et avec une époque calamiteuse  qui depuis les années 80 fabrique avec notre seul aveuglement, un désastre généralisé, qu’il est de bon ton d’appeler destin. Se battre à chaque seconde  contre une barbarie économique et financière -sans bourreaux apparents-  est infiniment complexe et difficile. Malgré son enfermement affiché, Shalom (1) donne à penser. Voilà qu’il le veuille ou non, une bonne nouvelle.

François Bernheim

(1)  En hébreu, on utilise le terme shalom pour saluer l’autre, pour lui souhaiter la bienvenue.

 

 

 


 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Site web

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.