« Que viva la musica » d’Andrés Caicedo

 traduit par Bernard Cohen

Editions Belfond

Vous qui hésitez à chalouper entre vos identités multiples, vous qui avez hérité d’un corset d’acier et de plomb, vous à qui on a enseigné que l’histoire des humains n’est celle que du malheur humain, vous qui avez peur de prendre froid, de prendre chaud et surtout de ne pas être assez mort pour supporter cette vie, réjouissez vous, un ange, un homme -femme,  femme- homme , un enfant- charme d’une générosité inouïe vous invite à devenir musique, celle qui agite les hanches, les pieds, l’âme, le cœur et le corps, celle qui vous transperce, vous fait tomber au ciel, celle de l’ivresse, de la joie dévorante, de la jubilation.

Andrés Caicedo, poète, critique, écrivain s’est suicidé le 4 mars 1977 à Cali – Colombie. Il avait 25 ans et le premier exemplaire de son livre imprimé entre les mains. Il pensait que toute forme de tristesse doit être bannie de la vie. Il a  écrit sur plus de 200 pages le poème le plus jubilatoire le plus inattendu qu’il soit donné de lire,  à tout être humain sensible( sans forcément exclure les intellectuels trop intelligents pour comprendre la chose populaire).

Voyante extra-lucide il ne veut rien d’autre que tout. Maria del Carmen, « la Mona » ( la mignonne) « la Toute Vivante », « la Blondissime » est le personnage central de son roman , celle qui  du nord au sud , du rock and roll à la salsa , des drogues de toutes sortes à l’amour va littéralement danser sa vie. Pour Andrés, Maria est la co-auteure de son livre, c’est elle qui lui donne à écrire comme c’est elle qui mieux que tout homme sait se servir du sexe masculin.

La violence est partout celle des gringos, des gadjos, des bandes organisées, des cartels et Andrés écrit à ce moment très particulier des années 70 où l’on a pu croire que la liberté, que toutes libertés étaient possibles. Lui pressent qu’il ne s’agit que d’une parenthèse. Raison de plus pour refuser d’abimer l’enfant que tout être humain porte en lui. Andrés danse très mal,  Maria incarne la danse, la musique absolue.

« Musique qui me connaît, musique qui me stimule, m’évente ou m’abrite, le pacte est scellé : le suis celle qui te diffuse, qui ouvre tes portes et établis le pas, celle qui porte par les vallées la nouvelle de ta fusion et de ton anormale allégresse, la messagère aux pieds ailés, celle qui ne se repose jamais, celle de la terrible mission, recueilles moi dans tes bras quand vient l’heure des faiblesses, caches moi, trouve moi une refuge jusqu’à ce que je me rétablisse, apportes moi des rythmes neufs pour ma convalescence… »

Comme Andrés, Maria ne parle pas très bien anglais et ne comprend pas les paroles du groupe le plus rock de l’époque, les Rolling Stones. Andrés sait que Brian Jones en est l’âme il pressent qu’il sera un jour écarté, voire suicidé. Maria est une énergie vivante, elle danse, fait l’amour se drogue  avec une innocence, une grâce et une cruauté qui est celle de l’enfance de la vie. Et voilà qu’arrive la Salsa tropicale, sale, ébouriffée, grandiose, populaire et rebelle; c’est une révélation, Maria n’existera plus que pour être musique par toutes les pores de sa peau. Andrés Caicedo  aurait –il inventé un personnage à la hauteur de sa propre impossibilité à agiter son corps ? La réponse expliquant qu’il y a là un phénomène de compensation est sans intérêt. La réalité est beaucoup extraordinaire. Toi lectrice, lecteur, que tu ais des béquilles ou non, que tu sois debout, couché,assis, tu vas déjà pouvoir danser avec les yeux. Le livre d’Andrés ne raconte pas seulement la musique, la danse, son livre est salsa-euphorie du lecteur. On pourrait imaginer que Marcel Proust a pris dans ses bras Jean Genet ou Pasolini pour ouvrir la porte à une fiesta d’enfer bourrée de chansons populaires. Cette musique là réunit tout ce qui a été séparé, fragmenté, écrasé, cette musique là épouse le mouvement infini qui va de l’intimité avec soi  à la prise en compte de l’amplitude géante du monde.

Par quel miracle « Que viva la musica » a-t-il pu arriver jusqu’à nous en France ?

Ce livre impossible à traduire a trouvé en Bernard Cohen un co-coauteur. Il tord la langue française la fracasse, « la salse », lui propose des rencontres insolites avec l’espagnol, l’anglais et les néologismes les plus savoureux. La beauté est seulement là pour l’éternité. Le cadeau fait par Andrés à  ses lecteurs de langue hispanique a trouvé ici son messager. Le bonheur de lecture est total et il fait aussi réfléchir. Est-ce vraiment la langue française qui est académique ? N’a –t-on pas plutôt ici la preuve que la pratique française de l’entre -soi , que la connivence des puissants qui accompagne le mépris pour le « populaire » rend un bien mauvais service à la littérature. Hola Gadgi et Gadjos, le moment est venu d’enlacer vos rêves les plus fous. « Armes toi de tes rêves pour garder ta lucidité »

François Bernheim

Andrés Caicedo

 

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