Antonie Sitbon (Photo Arielle Bernheim)

Au loin, elle aperçoit une plaine immense aussi blanche, aussi pure que la neige qui ne connaîtrait ni l’homme, ni l’animal, ni le cauchemar de la vie désordre. Ses jambes s’animent, prêtes à dévorer l’espace, ses yeux s’illuminent. C’est là qu’elle veut aller. Elle traversera des torrents, des précipices, grimpera au sommet de montagnes abruptes. Sur ses lèvres le sourire charmant de celle qui sait  que  ses rêves les plus fous seront toujours au rendez-vous. Après une marche de douze heures, les animaux les plus vaillants de la jungle vacillent  sur leurs pattes ,elle continue… il ne reste plus que trois mètres à franchir… plus que deux, plus qu’un… enfin elle y est. Son rire fait soudain dissidence, franchement elle n’a rien à faire ici… pas plus qu’elle n’apprécie la solitude, pas plus qu’elle ne goûte d’être accompagnée trop longtemps par un homme. Blonds ou bruns, ils savent si bien, si vite devenir ennuyeux ! Elle aime peindre, faire de la sculpture, des arts martiaux, de la danse, de la gym, de musique, lancer ou relancer des artistes, elle semble aussi douée pour toutes ces activités que peu ou pas consciente de son talent. D’ailleurs aujourd’hui, elle ne fait rien de tout cela.

Est-elle surchargée de travail ? Oui sans doute…mais il y quelques mois, c’était le vide. le  travail en fuite et l’envie de faire aussi.  Sans projet  porteur, le temps devient  lourd et peu fréquentable. Elle aime travailler, vivre dans une tension créatrice qui la propulse toujours en avant.

Quand on  en fait beaucoup, on peut encore en faire plus et encore plus et puis un jour décider avec bonheur de ne plus rien faire. Ce jour là est un jour dédié à la méditation .  C’est elle qui l’a décidé.

Hier, elle a subi pour la 1ère fois l’inactivité et l’incertitude qui l’accompagne . A la maison son père, intellectuel et bourgeois plutôt inhibé ne parle pas à ses enfants. Aux questions que l’un des trois pose, il répond invariablement : «  voyez plutôt cela avec votre mère. » La mère d’origine espagnole pense que les filles sont faites pour rester à la maison. Antonie a 18 ans. Elle est très douée pour la danse. Pas question de la laisser se dévergonder dans une activité bonne pour les putains. Il est temps de la marier. Sa mère trouve un dentiste qui pourrait faire l’affaire. Antonie crie au secours. Sa sœur ainée l’entend. Elle va trouver leur père qui pour une fois acceptera d’intervenir. Elle quitte enfin la maison pour aller vivre chez sa sœur. Sa mère  voyant que personne n’a besoin d’elle part vivre sa vie pendant deux ans avec un amant. Antonie  savoure sa liberté. De temps en temps elle prend un petit boulot mais pas plus. Elle est trop jolie pour ne pas vivre en bande, égérie de fils de famille bien élevés qui deviendront des médecins ou des avocats, des gens bien sous tous rapports. Ces hommes là sont rassurants, mais peut être trop.

Les garçons un peu voyous ou tourmentés à la Mickey Rourke ne manquent pas de charme, ils ont ce je ne sais quoi de sulfureux qui électrise l’âme.  Au bout de trois ans de cohabitation, la sœur d’Antonie pense qu’il est temps qu’elle assume pleinement sa liberté. Pas de problème, Antonie s’adapte. Elle travaille dans une petite agence de publicité médicale, rédige des flyers, avec esprit. Son boss pense qu’elle a beaucoup trop de talent pour l’abimer dans le médical, il téléphone à un de ses amis directeur général d’Europe 1. Celui-ci reçoit très vite Antonie et l’engage encore plus vite. Rien ne semble impossible à ces individus qui partagent leur temps entre l’antenne et la publicité. Les années 80 disent que l’avenir est encore devant nous . Rire ensemble, rime alors avec travailler beaucoup, innover. La prise en compte  du risque  se fond dans une élégance et une  légèreté en  affinité  avec  la pudeur de chacun.

Vive d’esprit, bien dans son corps, Antonie est appréciée, elle se construit. Son professionnalisme  se nourrit de ses fêlures, elle avance à travers ses rencontres,  le père de Chloé et d’autres. Sa fille chérie  aura, au fil des années le privilège de vivre au plus près des coups de cœur de sa mère. Elle pense y avoir gagné en  découvrant à chaque fois des individus attachants. Antonie a aussi beaucoup d’amis. Quelques uns sont homos raffinés, sportifs et très solitaires… Elle est en mouvement, elle ne s’accorde que peu  de crédit mais fait son miel de toutes ces amitiés. Après Europe 1, elle devient une sorte de manitou du son chez Publicis. Ici, elle a des moyens à la hauteur de ses exigences. Elle sait autant écouter que bâtir des solutions en phase avec le problème à résoudre. Antonie est toujours en mouvement, pas seulement parce qu’elle a besoin d’agir, mais parce que la qualité de ce qu’elle apporte est sans tabou. Et puis Publicis est aussi un panier de crabes ; Les marges bénéficiaires sont aussi  tendues que les incompétents au sommet nombreux. Elle paiera bêtement les pots cassés à leur place. Depuis la machine se dérègle. Le projet  pour qui elle soulèvera des montagnes demain ne frappe pas encore à la porte. Elle n’a peur de rien… enfin presque rien. Qui est-elle ? un tourbillon où le masculin et le féminin jouent à égalité ?

Une femme profondément de gauche, donc assez altruiste pour se sentir coupée en deux ?

Pied, hanche, tête, quand elle a mal, c’est de ce côté-là qu’elle souffre. Elle dit que ce n’est pas du côté de l’intellect qu’elle brille. Face aux gens cultivés, elle se sent toute petite. Mais pourquoi l’intelligence de la vie sortirait-elle uniquement de l’université ?

Les hommes plus jeunes qu’elle remplissent sa vie. Les hommes plus vieux savent aussi lui parler à l’oreille.

Sa chimie croit-elle n’est pas simple. Mais pourquoi ceux qui nous apportent beaucoup n’auraient pas aussi besoin, pour continuer la route, qu’on leur apporte autant ?  Si l’on veut que l’existence continue à aimer l’insolence des aventurières, il faut prendre conscience  que ces femmes qui acceptent  le temps d’un vertige, d’être aussi des  petites filles,  font un très beau cadeau à tous ceux qui croisent leur chemin.

François Bernheim

Une réflexion au sujet de « Elle danse au dessus des nuages… »

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