Elias Sanbar est un historien, poète et essayiste palestinien né à Haïfa en 1947.Il a quinze mois lorsque sa famille s’installe au Liban après la proclamation de l’État d’Israël.En 1969, il poursuit ses études à Paris, enseigne ensuite le droit international à Paris VII, puis au Liban et aux États-Unis à l’université de Princeton.

En 1981 Elias Sanbar participe à Paris à la fondation de la Revue d’études palestiniennes. Participe aux négociations bilatérales à Washington, dirige de 1993 à 1996 la délégation palestinienne aux négociations sur les réfugiés et il est membre du Conseil national palestinien depuis 1988. Elias Sembar est aussi membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont débuté le 4 mars 2009.

Publications

  • Palestine 1948, l’expulsion, Les Livres de la Revue d’études palestiniennes, 1984
  • Les Palestiniens dans le siècle, Gallimard, 1994
  • Palestine, le pays à venir, L’Olivier, 1996
  • Le Bien des absents, Actes Sud, 2001.
  • Il a traduit l’œuvre de Mahmoud Darwich dont La Terre nous est étroite et autres poèmes (1966-1999), Gallimard, 2000
  • Le Lit de l’étrangère, Actes Sud, 2000
  • Palestiniens – La photographie d’une terre et de son peuple de 1839 à nos jours, Hazan, 2004
  • Figures du Palestinien – Identité des origines, identité de devenir Gallimard, 2004
  • Dictionnaire amoureux de la Palestine, Plon, 2010

INTERVIEW

François Bernheim

Elias Sanbar merci d’avoir écrit avec «le dictionnaire amoureux de la Palestine» un livre qui permet de mieux comprendre ce qui est en jeu à travers le conflit majeur qui déchire cette région du monde, mais surtout un ouvrage écrit avec une hauteur de vue qui fait de cette histoire particulière, une histoire universelle à un triple niveau. Le premier niveau d’universalité met en jeu  l’acceptation de l’autre. Ils ne sont pas nombreux ceux qui combattent pour une cause et qui sont capables d’admettre que l’autre n’est pas infondé à se battre pour ce qu’il considère, lui aussi, comme légitime.

Elias Sanbar

Détrompez vous, il y a beaucoup de gens qui pensent comme moi, mais pas beaucoup qui l’écrivent. Certains me demandent : mais est-ce que tu es représentatif ? Je suis représentatif d’un grand courant de la société, un courant populaire, pas seulement intellectuel, porteur d’hospitalité, d’une relation aux autres. Le grand problème ne tient pas tellement à l’autre israélien qu’aux actes de l’occupant. J’ai la conviction que si l’occupation cessait, une forme de normalité  pourrait advenir très rapidement. Beaucoup pensent …on a été martyrisés, il faudra des décennies pour que les sentiments conflictuels s’estompent. Je ne le crois pas du tout. Je l’ai constaté en 1994 au moment des premières élections législatives palestiniennes,  pendant deux à trois mois le calme a régné. Ensuite, il y a eu de nouveau des opérations militaires israéliennes et tout  s’est à nouveau effondré. Mais, nous nous sommes aperçu à quelle vitesse la normalité pouvait revenir.

FB

Comment pouvez faire la distinction entre Israël et les actes de l’occupant ?

ES

On ne tient pas compte du facteur temps qui pèse sur les deux populations. Le conflit est d’une durée interminable et toute la population d’Israël ne se tient pas sur une seule et même position.Les gens ne sont pas fous. Une majorité de la population israélienne est en situation d’autruche, elle en a assez,  elle ne veut rien savoir, elle veut seulement être protégée.Et c’est d’abord pour cette raison plus que par idéologie, qu’un très grand nombre a voté pour le gouvernement Natanyahou, Liberman.Une deuxième catégorie, certes minoritaire est pour la paix. Elle n’arrête pas de  tirer des signaux d’alarme. Une troisième catégorie a un poids très fort, non qu’elle soit nombreuse mais parce qu’elle est représentée au gouvernement et dans les colonies ( environ 500 000 personnes en Cisjordanie). C’est un noyau ultra dur . Il ne faut pas seulement parler globalement de l’occupant en renvoyant dos à dos les extrémistes des deux camps. Il faut faire un distinguo précis entre les trois niveaux de relation à l’occupation.

FB

Quand Yasser Arafat disait que la Palestine est juive,chrétienne et musulmane allait-il aussi dans le sens de l’acceptation de l’autre ?

ES

Ce qu’il disait était beaucoup plus fort que le fait d’accepter la différence des autres.

Il disait la réalité de la Palestine. Il l’intégrait dans une triple revendication identitaire.

Le deuxième niveau d’universalité serait celui de la découverte du monde.

Présents dans de nombreux pays, parcourant la planète les exilés palestiniens

bien au-delà de leur cause, étudient, travaillent à l’intelligence du monde.

Cela est une constante de l’exil. Cela n’est pas propre aux palestiniens de vouloir transformer un exil forcé en un exil volontaire. Ceux qui font un choix différent, ont les plus grandes excuses. Quand on vit dans la misère économique, dans la répression, dans un camp, comme une majorité de palestiniens, on ne peut se payer le luxe d’aller à la découverte du monde. A contrario, ceux qui refusent d’être placés de force à un endroit, ceux qui ont ce sursaut, peuvent se dire qu’en parcourant la planète, en s’ouvrant au monde , ils vont récupérer leur monde. Mais au départ, en suivant cette démarche on a un sentiment de culpabilité, de reniement, voire de trahison, comme si vous aviez lâché votre cause. Mais en fait, il n’en est rien. En allant vers l’humanisme, vous découvrez le fond de votre propre cause, la force de votre humanité. Vous retrouvez votre monde. Cette façon de voir a une grande importance pour la diaspora palestinienne, même si la grande majorité des palestiniens n’a pas eu la possibilité d’aller à la découverte du monde.

FB

Y- a –t – il là une source de conflit interne entre les palestiniens du dedans et du dehors ?

ES

Non il y a là une source de conflit intime. Toute cette population qui n’est pas en mesure de parcourir le monde dit qu’agissant ainsi, ils parlent de nous qui n’avons pas eu les moyens de sortir du pays. C’est très émouvant, on a toujours été accueillis par des manifestations de fierté. Ils disent, finalement ils parlent de nous. Au cours de ce voyage, nous n’avons cessé de dire qui nous étions et ce que nous voulions.

FB

Le troisième niveau d’universalité est celui du combat contre soi –même. Vous combattez de toutes vos forces pour la création d’un état et vous redoutez qu’une fois créé, il puisse, comme tant d’autres, ne pas agir pour le bien commun. Comme le dit Mamoud Darwich «que l’idée est grande et que l’état petit…»

ES

D’abord quand vous avez découvert le monde, les pays deviennent très étroits.Ensuite, si vous rêvez de mettre sur pied un état démocratique, vous ne pouvez vous leurrer, Il ne suffit  pas de le proclamer. La démocratie n’est jamais acquise. L’avènement de l’état ne garantit pas la démocratie. Dans la conquête, le danger est toujours là. La liberté est un défi, un combat permanent. La proclamation de l’état est un début, pas un aboutissement. L’état  palestinien ne sera pas différent des autres. Longtemps on a eu tendance à croire que nous étions différents des autres, comme si nous étions vaccinés contre les horreurs et les déviations, mais c’est une illusion. Je dois dire, à titre personnel, que ma génération qui a parcouru le monde sans perdre son monde, se sent à l’étroit dans les états, quelqu’ils soient. Ce n’est pas une question de superficie, de kilomètres carrés. Le jour où notre état existera, je n’aurai plus de drapeau. Parce que ce combat pour la liberté aura abouti, je passerai à autre chose, je deviendrai citoyen du monde.

FB

On vous a accusé de vouloir jeter les Israeliens à la mer ?

ES

Ce sont les palestiniens, la population côtière qui a été jetée à la mer. C’est ce qui est arrivé à ma famille. Nous avons enfin des photos à l’appui. On nous a accusé d’avoir jeté les autres à la mer, alors que nos vêtements n’étaient pas encore secs. Nous sortions de l’eau. On a en 1948 effacé notre nom. En l’espace de 2 semaines votre pays n’existe plus dans aucun manuel de géographie. Je ne sais pas si des gens peuvent imaginer ce que c’est. En fait les palestiniens ont été accusé de ce qu’ils avaient subi. Ce qui s’est passé en 1948 est très différent de ce qui s’est passé en 1967 où les palestiniens dans leur grande majorité ont subi une occupation classique. La plupart sont resté chez eux.

Lorsque que l’on vous demande qui vous êtes, vous dites que vous êtes palestinien, on vous répond que ça n’existe pas, ça n’a jamais existé et ça n’existera pas. Cette politique a façonné l’esprit des palestiniens qui ont vécu ces évènements. Les palestiniens de 1948 se trouvent confrontés à un trou noir.

FB

La faiblesse des moyens utilisés par les palestiniens lors  la 1ère infatida n’a-t-elle pas contribué à leur donner un commencement d’existence?

ES

Si nous avions utilisé autre chose que des pierres, cela aurait contribué à donner le sentiment au monde d’assister à une confrontation d’égal à égal. La force de l’intifada c’est qu’elle a été une forme de soulèvement de la société civile et non d’une armée contre une armée, là les gens auraient dit que la meilleure gagne. L’erreur de la 2ème intifada -l’erreur grave- cela a été d’utiliser des armes à feu. La 1ère, paradoxalement a mis hors jeu le dispositif armé israélien. Petit à petit ces armes extrêmement meurtrières sont devenues inefficaces. C’était une expérience unique de renversement d’image dans l’histoire palestinienne. Là le rapport de force est paradoxalement inversé. Les arabes représentaient Goliath par rapport au petit David israélien. Et brusquement, David est devenu palestinien. Sur le plan éthique nous sommes infiniment plus forts que ceux qui nous oppriment.

FB

Vous avez eu une relation unique avec Marmoud Darwich?

ES

J’ai essayé de la façon la plus honnête de porter son œuvre d’une langue à une autre et non pas d’être sa voix. Nous étions un petit groupe d’amis extrêmement unis, entre nous la parole était en permanente circulation. Il y avait une forme d’harmonie. Nous étions en écho….

FB

Il y a dans votre région du monde une relation entre poésie et politique que l’on ne retrouve pas ici.

ES

Ma conviction est que la poésie est la forme supérieure de la politique. La poésie qui compte  va au fondement de l’humain. Je le constate de plus en plus, la très grande poésie est l’art d’opérer une contraction du temps, c’est ça qui rend le poète visionnaire, il n’a pas le don de prophétie, mais l’avenir est déjà là dans son présent . Quel politicien ne rêverait pas d’avoir ce don. Ici en France, un homme comme de Gaulle avait cette dimension.Les grands poètes sont toujours dans l’essence des choses.J’ai la plus grande admiration pour un poète comme René Char qui a été simultanément dans la réalité et dans la résistance et dans l’immensité de sa poésie. Jean Pierre Vernant et Jérome Lindon qui ont été des amis, avaient cette hauteur de vue. Ce qui très étrange ,c’est que la France a eu au siècle dernier de très grands poètes, des poètes exceptionnels comme Aragon, Apollinaire, René Char, Pierre-Jean Jouve et tout d’un coup la notion de plaisir est bannie. Il y a une sorte de mutation. La poésie ne chante plus, on entre dans le champ expérimental, dans une expression prépondérante du mental. Le plaisir  devient  une tare. Alors que par ailleurs , je ne m’imaginais pas l’ampleur de la diffusion de Darwich en France. Quand il faisait ici un récital il y avait foule et pas seulement des arabes ou des gens proches de cette culture. Il faut aussi savoir qu’ici la collection poésie de Gallimard est d’un volume plus important que la série noire. Les poètes ont une responsabilité vis-à-vis du public. Dans la poésie arabe contemporaine on trouve aussi un courant expérimental, hors du plaisir et en retrait du public. Ce n’est pas que le public ne les suit pas. C’est qu’il ne les entend pas. Ce n’est pas la modernité qui est en cause, Darwich a constamment renouvelé les formes de sa poésie. Mallarmé soit disant hermétique était entendu.Certaines traductions de Darwich ont voulu assujétir sa poésie à sa cause, c’était un enfermement. Certains s’imaginent que nous pensons à chaque instant à la Palestine et au conflit avec Israël , bien sûr que non. Il y a là une assignation à résidence. Nous sommes des gens comme les autres, nous aimons rire . Nous ne sommes toujours dans une tragédie abstraite Nous sommes vivants.

FB

Michel Butel est aussi un de vos amis?

ES

Oui et tout le monde regrette cette expression unique qu’a été l’Autre Journal.

FB

Et Daniel Timsit*?

ES

C’était aussi un très cher ami, nous le regrettons beaucoup.

* Né en 1928 à Alger et mort en 2002 à Paris, Daniel Timsit, médecin s’est engagé très jeune dans le combat pour l’Algérie indépendante. Arrêté en octobre 1956, jugé en mars 1957, il est détenu en Algérie puis transféré en France en janvier 1960. Libéré en mai 1962, il rentre à Alger en juillet 1962. Ses carnets de prison ont été publiés en 2002. Récits de la longue patience, Flammarion/Bouchène.

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