Dans son essai intitulé La Tentation de Pénélope, Belinda Cannone, essaie d’opérer quelques déplacements dans la pensée féministe, afin de tenir compte de l’évolution de la situation des femmes dans la société contemporaine. Posant le désir et l’amour entre les sexes au fondement de la réflexion, ce que ne font pas les féministes traditionnelles, elle incite aussi à se libérer de la vision identitaire qui tend à prévaloir (l’obsession de la différence, à laquelle elle oppose la notion de distinction des sexes),  et à promouvoir la liberté de se réinventer sans cesse. Bien sûr, son discours s’adresse aux femmes occidentales dont la situation est infiniment meilleure que celles des femmes dans le reste du monde. Est-ce à dire que celles-ci seraient si loin de nous ? Ponctuant plusieurs de ses chapitres par des vignettes intitulées « Femmes du monde », elle montre au contraire que la révolution des femmes est en marche partout…

Du reste, comme j’aurai plaisir à le rappeler de temps en temps, la situation des femmes est inexorablement vouée à s’améliorer, et j’en trouve la preuve partout dans le monde, même là où leur condition exige d’elles un effort bien plus important que le nôtre pour accéder à l’égalité. Première illustration : au Kenya, les femmes de l’ethnie samburu sont considérées comme les esclaves des hommes et ne possèdent rien. Un jour, certaines en ont eu assez de leurs maris brutaux qui les battaient souvent et notamment lorsqu’elles s’étaient fait violer par les soldats de la base britannique voisine. Sous la houlette d’une maîtresse-femme, Rebecca Lolosoli, elles ont donc amassé un petit pécule tiré de la vente de bêtes et de l’artisanat, et elles ont fondé un village, Umoja, dont l’entrée est interdite aux hommes. Elles y sont cinquante environ, entourées d’une centaine d’enfants, et réjouies, parées de colliers et de robes multicolores, pas du tout l’air affligé. Pas d’hommes, ce peut être triste, mais pas de coups – on les comprend. Étonnante capacité de rébellion contre un ordre ancestral. D’où leur est venue cette audace ?

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Lorsque les Iraniennes ont cherché à traduire « féminisme », elles ont fabriqué une expression qui signifie en persan « femme revendiquant la liberté ». Nous, pauvres Pénélopes qui défaisons sottement le travail de nos aînées, nous n’entendons actuellement dans ce mot que « femme revendiquant son identité ». Grand risque de régression

Dilma Roussef, 61 ans, détient le deuxième rôle politique national du Brésil. Elle est « chef de la maison civile » du président Lula da Silva, c’est-à-dire qu’elle est une sorte de Premier ministre officieux. Après une jeunesse au service du militantisme radical – lutte armée, études d’économie, clandestinité, vingt-deux jours de torture, quatre ans de prison –, elle choisit la démocratie et prend des responsabilités politico-administratives qu’elle assume avec talent. Elle sera probablement la candidate du Parti des travailleurs aux élections présidentielles de 2010

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La femme la plus importante d’Afrique, à part la présidente du Liberia, Ellen Johnson-Sirleaf, est la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, 54 ans, directrice générale (numéro deux) de la Banque mondiale depuis 2007. Tant de travail et d’activité sont impossibles à résumer. Pour donner une idée : elle a dirigé et assaini le ministère des Finances du Nigeria, réputé être l’un des pays les plus corrompus du monde, elle a fait emprisonner le chef de la police nationale, fait effacer 18 milliards de dollars de dette publique, fait tomber le taux d’inflation de 23 à 11 % et multiplié le produit intérieur brut par trois.

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Une belle histoire récente qui illustre la capacité d’agir de soi-même et ainsi de contribuer à transformer l’ordre social. Elle met en scène une petite fille yéménite, Nojoud, que l’association « Ni putes ni soumises » a aidée – le mouvement crée des comités en Afrique et de par le monde – et a fait venir en France pour témoigner. Étonnant symbole de force et de courage, j’ai grand plaisir à la rapporter.

Nojoud a été mariée par son père, en échange d’une petite somme, à un voisin âgé de trente ans, alors qu’elle en avait dix. L’âge légal du mariage est quinze ans, mais la pauvreté soutenant les traditions tribales, les fillettes sont souvent mariées avant, avec pour promesse que le mari n’abusera pas de la mariée avant qu’elle soit « prête ». On devine l’efficacité d’un tel contrat sur un homme ayant voulu épouser une enfant. Nojoud a donc subi sévices et violences avant de décider d’aller au tribunal demander le divorce. Avec quelques pièces pour prendre le bus, données vraisemblablement par une tante ou la seconde épouse de son père (on imagine avec quelle jubilation), elle s’y est donc rendue. Là, un juge compatissant l’a recueillie, puis une avocate l’a défendue, avec l’aide de diverses associations féministes. Qu’on se représente l’étonnant tableau : une fillette de dix ans réclamant contre la loi tribale ! Et gagnant.

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Mallika Sarabhai, 55 ans, s’est présentée aux législatives à Gandhinagar [Gujarat], dans l’ouest de l’Inde. Danseuse célèbre – elle s’était produite dans le Mahabharata de Peter Brook dans les années 80 –, mère célibataire et militante des droits de l’homme, elle arbore au front, à la place du bindi – le point rouge symbole du mariage –, un harmonium, symbole de son parti politique. Elle a transformé l’académie de danse léguée par sa mère en centre socioculturel d’où les danseurs essaiment pour tenter de sensibiliser la population aux problèmes de corruption et d’égalité des sexes .

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Behan Kumari Mayawati, 53 ans, est une intouchable, appartenant donc à la caste la plus défavorisée de l’Inde. Elle gouverne pourtant l’État le plus peuplé du pays, l’Uttar Pradesh. S’étant déjà alliée avec la caste la plus éminente, les brahmanes, qui lui ont permis de se constituer de nouveaux réseaux, elle continue d’essayer de gagner des soutiens pour élargir la base politique de son parti : elle ambitionne en effet de devenir Premier ministre à New Delhi. Les experts ont l’air de penser qu’elle est trop pragmatique dans ses recherches d’alliance. Peut-être. Beau parcours en tout cas, dans un pays où les femmes sont largement sous-représentées, et où les intouchables, qui le sont aussi, n’ont eu longtemps aucun droit.

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On avait appris par la presse que la cour de justice de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest venait de condamner le Niger pour esclavage[7]. Plus tard on a pu lire les détails de ce procès. Hadizatou Mani, 24 ans, faisait partie de ces nombreux Nigérien(ne)s – 43 000 ? 800 000 ? – dont le sort est fixé à la naissance, esclave, à moins que, comme la jeune femme, ils ne soient vendus enfants pour le prix d’une chèvre. Achetée à douze ans, Hadizatou a vécu douze ans de corvées et d’abus sexuels, a tenté une centaine de fugues et reçu au moins autant de raclées. Elle avait le statut de wahiya, nom donné à celles qui sont, en plus des cinq autorisées par le Coran, femmes du maître. L’histoire un peu longue de sa bataille judiciaire inclut des ONG – dont la doyenne, l’Anti-Slavery International –, des hommes comme Moustapha Kadi qui a écrit contre l’esclavage Un tabou brisé, plusieurs procès gagnés puis perdus, des mensonges – le président Mamadou Tandja : « L’esclavage n’existe plus au Niger » –, des lois coutumières qui défont les décisions du code pénal, du courage pour mener cette bataille incertaine. Finalement, l’État devra verser 15 000 euros de dommages et intérêts à la victorieuse Hadizatou qui espère ainsi récupérer ses enfants et acheter une maison et des terres.

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La petite Yéménite qui a obtenu son divorce, Nojoud, veut être avocate quand elle sera grande, pour aider les fillettes dans sa situation. Nous sommes toutes sur la bonne voie, toutes, mes rieuses et combatives sœurs.



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