Il est toujours possible de passer à côté de ce qui vous réjouit l’âme, à côté de la beauté, de l’ouverture à l’autre, de la connaissance de soi, unique et multiple. Mais dans ce monde si complexe que trop de pourfendeurs de haine veulent rabougrir, il est vital de s’ouvrir à une pensée où la puissance de l’élan personnel et collectif abolit toute forme de domination.
F. Bernheim
Loïc Céry quelques mots sur votre parcours et ce qui vous a amené à rencontrer l’œuvre d’Édouard Glissant (1)
-Trop souvent les gens qui sont censés s’effacer derrière une œuvre ont tendance à s’en servir plutôt qu’à la servir. Alors que l’exercice intellectuel de la critique littéraire, consiste à faciliter l’accès aux textes. En ce qui me concerne j’ai plutôt envie de faire partager une passion pour l’œuvre d’Édouard Glissant. Je préfère donc m’effacer, sauf qu’en tentant d’éclairer les textes, il est fatal que l’on se révèle et je crois que cela a été particulièrement vrai pour l’ouvrage en deux tomes que j’ai fait paraitre l’année dernière Édouard Glissant, une traversée de l’esclavage (2). Ce qui m’a importé dans cet ouvrage, c’est surtout l’idée d’un engagement de fond face à l’histoire par le biais de la littérature, et je me retrouve tout à fait dans celui de Glissant. Il est donc vrai que l’on ne peut complètement s’effacer et comme on disait en 68, il faut savoir « d’où l’on parle ». Cela apparaît peut-être dans ces deux tomes. Il me semble plus intéressant de mettre en avant les conditions dans lesquelles j’ai été porté à rencontrer Édouard Glissant. En 2004, j’avais j’ai pris l’initiative de l’inviter à un colloque que j’avais organisé en Sorbonne dans le cadre des Cours de civilisation française de Paris IV, une journée d’hommage consacrée à Saint John Perse. J’ai toujours lu avec beaucoup d’attention tout ce que Glissant avait écrit à propos de Saint-John Perse, dans une relation de lecteur et de créateur à travers le temps. C’était une journée très dense ou j’avais eu également l’occasion de recevoir Patrick Chamoiseau, Kenneth White, Claude Vigée. C’est grâce à l’entremise de Sylvie Glissant qu’il m’avait alors été possible de recevoir Édouard Glissant à cette journée, où il avait conversé de Saint-John Perse avec son ami Pierre Oster. Dans les années qui ont suivi, j’ai eu la chance de pouvoir fréquenter Édouard et Sylvie Glissant, et chemin faisant j’ai été amené à concevoir le site Internet officiel de Glissant (1)
En 2005, nous avons organisé un colloque autour de son œuvre à Carthage avec Samia Kassab-Charfi et Sonia Zlitni-Fitouri. Pour la première fois, Glissant foulait à cette occasion le sol de cette ville à laquelle il avait consacré un grand poème dans Le sel noir. L’événement, en compagnie de cet homme que je considère comme un génie, a été extraordinaire. Le fréquenter permettait aussi de mesurer l’ampleur de son travail qui provenait aussi d’une manière de vivre la littérature, la pensée et la posie avant même d’écrire.
– Quel est l’impact de Glissant en Martinique ?
Il y a un lien avec la première question. Moi-même je suis Martiniquais, et je peux mesurer l’ampleur du paradoxe. À l’instar d’Aimé Césaire, Glissant a écrit la quasi-intégralité de son œuvre adossée à un terreau fondamental qui est son pays, pour lui le « lieu incontournable ». Pourtant, je ne peux affirmer qu’il soit vraiment lu en Martinique. Le souvenir toujours vivace dans l’esprit des Martiniquais, est plus lié à une institution qu’il a fondée à Fort de France en 1967, l’Institut Martiniquais d’études, première institution d’éducation privée non religieuse dans le pays, qui a formé beaucoup de jeunes Martiniquais en difficulté avec le milieu scolaire. On sait par ailleurs généralement, en Martinique, qu’il a produit Le Discours antillais (3) et on connaît, par réputation, l’ampleur de son œuvre mais je ne suis pas convaincu que Césaire comme Glissant soient réellement lus en profondeur dans leur propre pays. Cependant leur empreinte est tellement énorme sur les Antilles, que toute la production culturelle qui en émane est liée de près ou de loin à ces deux ombres tutélaires.
–On n’est pas forcé de tout comprendre pour être saisi ou habité par une œuvre.
-Absolument. On peut être conscient de la portée d’une œuvre, sans l’avoir lue dans son intégralité. Mais rien ne remplace le contact avec les textes.
– En janvier 2021 vous avez porté une pétition contre un possible non-lieu dans l’affaire du chlordécone. Ce scandale selon vous est-il emblématique de la relation de l’état Français avec les Antilles, c’est à dire dans la continuité de l’histoire coloniale subie par ces territoires ?
Ce scandale absolu n’est pas suffisamment connu dans l’hexagone, en outre les Français ne sont sans doute pas au courant que leur état a couvert un écocide – notion aujourd’hui reconnue par l’ONU. Il s’agit d’un crime contre l’environnement et les Martiniquais, commis par des planteurs bien identifiés qui ont bénéficié de modalités d’exception face à l’interdiction internationalement prononcée du chlordécone dans le monde. L’impact désastreux de cette logique coloniale a été bien sûr pressenti par Glissant. Il a vécu au quotidien les désastres d’un régime colonial dont il avait prévu la pérennité.
– N’y -a-t-il pas là la démonstration d’une inhumanité tellement monstrueuse que l’individu, au lieu de se révolter est porté à tourner la tête, de peur d’être englouti dans ce désastre ?
– Oui, l’ampleur de ce désastre a de quoi effrayer Il a été commis sciemment, car on savait que l’épandage aérien était dangereux pour ceux qui le mettaient en œuvre comme ceux qui le subissaient. Résultat : 95% de la population a été empoisonnée. Au prorata de leur population, les Antilles connaissent le nombre le plus élevé au monde de cancers de la prostate et le nombre le plus élevé d’accidents vasculaires cérébraux – tout ceci en corrélation directe avec le chlordécone, comme cela avait déjà été établi depuis longtemps par un cancérologue de renom, le professeur Belpomme. Tous ceux qui ont crié, qui ont alerté n’ont d’abord pas été entendus, et ont été souvent marginalisés. Il est clair pour les magistrats en charge de l’affaire (délocalisée à Paris), que l’on s’achemine vers un non-lieu. Chronique d’un cynisme annoncé. Autour de tout cela, il y a d’abord eu mobilisation, puis démobilisation. C’est un mouvement circulaire qui a tendance à se répéter en Martinique, ce mouvement des mobilisations sociales et des conscientisations qui par la suite retombent dans l’indistinct. Glissant appelait cela tombé levé, terme créole qui désigne bien le destin de ceux qui tombent, puis se relèvent, mais sempiternellement. On se lève contre l’injustice, le scandale et ensuite on passe à autre chose, par découragement, lassitude, avant de faire face aux conséquences. On a beaucoup parlé du chlordécone à la faveur de l’hécatombe que connaissent les Antilles face à la pandémie actuelle. Il y a là une indécence absolue à expliquer la non-vaccination par l’impact du chlordécone sur les esprits. Ce que les médias ont repris avec beaucoup de complaisance c’est que les Martiniquais auraient été tellement traumatisés par les ravages de ce poison, qu’ils répugneraient à se faire vacciner. La recommandation sanitaire de vaccination face à la pandémie est pourtant sans rapport avec ce pesticide qui est un poison. Il y a là des raccourcis effrayants qui déshonorent ceux qui ne font pas l’effort de réfléchir à une réalité qui est encore plus préoccupante qu’ils ne croient.
– Quelles sont donc les causes de la non-vaccination aux Antilles ?
Concernant ce qui se passe en France, il y a une forme d’obscurantisme de la part de ceux qui excitent de la peur face au seul mode de protection que nous ayons pour lutter contre la pandémie. Cet obscurantisme, limité en métropole, prend dans une île des proportions gigantesques. Avec l’insularité les gens sont très prompts à nourrir une sorte de paranoïa contre ce que certains leur présente comme une menace. Césaire utilisait à propos du risque de paranoïa qui touche facilement les insulaires en situation coloniale, l’image d’une population enfermée « dans la calebasse d’une île ». On ne peut aller très loin lorsque que l’on imagine que l’État, les Français vont vous inoculer un poison. Cela renvoie à la situation politique d’irresponsabilité qui règne encore en Martinique, situation générée par le système colonial et dont on participe quand on décide de e pas y résister.. La non-vaccination majoritaire dit qu’il y a un problème d’identité et aussi de projet. Un jour ou l’autre il faudra poser la question de la responsabilité. Glissant l’a fait de façon très insistante.
– Quelle responsabilité ?
Je ne parle pas d’une irresponsabilité du pouvoir, mais d’une irresponsabilité locale des Martiniquais face à leur propre destin collectif. Une situation dans laquelle il est aisé de se complaire. Le lien avec Glissant est simple : il n’a cessé d’appeler les Antillais à prendre leurs responsabilités, ce qu’ils n’ont jamais réellement fait. Ils sont donc bien « enfermés dans une contradiction majeure », mais c’est bien la leur : il est trop facile comme toujours de tirer sur la France coloniale, quand on refuse de s’en affranchir : il y a là une circularité assez terrible de la situation, générée par l’ordre colonial, puis perpétrée par ceux qui ne se soulèvent pas pour de bon pour assumer leur destin. Voir les images honteuses sur l’accueil indigne des soignants français par certains Martiniquais (qui sont loin de représenter toute la population, faut-il le préciser), dans le cadre de l’aide incessante apportée par la France. Depuis plusieurs années, une nouvelle radicalité qui se donne bonne conscience s’est développée en Martinique, avec dans son sillage des réflexes délétères de xénophobie et de repli identitaire. Quand on n’a pas réglé ses propres névroses, on se complaît dans l’indécence. Et cette indécence n’est donc pas celle de l’État colonial, elle est celle d’idéologues qui refusent d’assumer ses responsabilités face à l’histoire. Impasse que Glissant décrivait dans le détail, jusqu’à parler de malemort (4) ou d’agonie continuelle d’un pays qui n’a pas su saisir le moment de son émancipation réelle et qui la repousse, risquant l’aliénation. La xénophobie qu’expriment ces images est une réalité, qu’il faut regarder en face : voici le type de comportement et de violence découlant d’une absence prolongée de responsabilité politique. L’indécence totale.
Mon propos est très sévère contre ces gens, qui ne sauraient en aucun cas représenter de quelque façon que ce soit ce qu’est la Martinique et ce que sont réellement les Martiniquais. En me reportant à Glissant, je vois dans l’indignation que l’on doit avoir face à de tels comportement, une cohérence faite d’exigence : il est le seul intellectuel antillais à n’avoir jamais caressé son peuple dans le sens du poil, et à avoir toujours mis le doigt là où cela faisait mal. On en est arrivé aujourd’hui à un point de décomposition avancé de la situation politique antillaise, à force de se complaire dans le colonial repeint allègrement dans des institutions fantoches. Nous sommes dans une situation qui empirera sans fin, si les Antillais refusent la nécessité d’une émancipation effective et décisive. Crier contre l’État colonial quand on ne cesse de lui réclamer de l’argent est la seule attitude que savent adopter les politiques martiniquais de tous bords, refusant d’être autre chose que Français quand on les interroge par référendum. Cette impuissance est la conséquence d’une longue aliénation et de ce que Glissant nommait « la seule colonisation réussie », mais il faut, surtout dans ce cas, s’en retourner, comme il le faisait, envers les premiers concernés.
Face au poids de l’histoire, la beauté, la puissance, la générosité de cette œuvre n’a-t-elle pas déjà permis d’opérer un total renversement de perspective, les Antilles devenant l’acteur pluriel d’une avancée archipélique ?
Votre question draine un certain nombre de points d’articulation essentiels. Très peu de gens ont lu Glissant et le découvrent souvent après les références à la créolisation faites par Jean-Luc Mélenchon (5). Personnellement, je demeure persuadé que Mélenchon, lui, fait référence à la créolisation vue par Glissant, à bon escient. Généralement ce que l’on dit, c’est que Glissant a voulu imposer le modèle antillais et que c’est cela la créolisation. C’est une erreur. Il part d’un terreau qui est éminemment problématique, paradoxal et même à ses yeux, tragique. Ce qui le renvoie au tragique de l’histoire. Il y a des blocages, des nœuds individuels et collectifs et il s’y consacre au moment du Discours antillais. Le constat est non seulement sévère mais très sombre. Au-delà d’une mobilisation, il appelle à l’inventaire du réel, dans le sillage de Franz Fanon. Il propose la réappropriation d’une histoire qui a été oblitérée. Ce cheminement est celui de la Relation, qui provient d’une prise de conscience exacte de sa propre situation. C’est avec la traite négrière transatlantique et l’esclavage colonial que s’est instaurée la créolisation aux Antilles, donc dans des conditions horribles. Glissant dit que pour en arriver à une construction de la Relation, il faut partir de cette situation infecte et tenter d’inverser le processus. Là est l’aspect révolutionnaire de sa pensée, il veut sortir de la dialectique de l’histoire instaurée par Hegel en créant une nouvelle dialectique fondée sur le prisme relationnel. C’est dans les interculturalités que se jouent de nouvelles perspectives, donnant la priorité à l’imaginaire et à l’éthique de relation à l’autre. Plus tard il parlera de pensée du tremblement ((6) où l’imprévu est intégré à ce que nous vivons. Rien n’est inscrit dans une dialectique présupposée, il s’agit pour nous d’être des acteurs de l’ouverture au monde pour finalement déjouer le tragique de l’histoire. Mais il ne faut jamais oublier cet aspect tragique. Glissant n’est pas un penseur de l’irénisme historique, pour lui le « grand soir » n’existe pas. Il s’agit donc de se situer dans une volonté personnelle et collective en avançant à très petits pas vers une inversion des imaginaires, hors du prisme de l’idéologie. Par sa plasticité même, une telle pensée pourrait être difficile à saisir, mais elle génère aussi notre enthousiasme en donnant toute sa valeur à l’élan personnel capable de s’opposer à tous les déterminismes. Et nous connaissons les pires déterminismes qui soient, écologiques, économiques, sociologiques, etc. Glissant, lui, est un penseur qui permet de s’émanciper. C’est bien le terme émancipation qui représente le mieux son éthique face à l’histoire.
–Son œuvre a-t-elle un impact sur d’autres territoires colonisés ?`
– Glissant ne vise pas du tout un impact qui se restreigne à la Caraïbe. Ce qu’il propose est à la fois un mouvement mondial et personnel. À l’endroit même où nous sommes enserrés par le terme de mondialisation, il a voulu penser la souplesse de ce qu’il appelle la mondialité, c’est à dire le fait de vivre la coprésence des cultures et des imaginaires comme une novation et une irruption ouverte. Alors que la mondialisation s’appuie sur une logique économique de domination déjà pré-écrite. Et bien sûr, cette mondialité a pour vocation de s’appliquer à d’autres aires que les Antilles, aucun territoire n’en est a priori exclu.
Je pense aussi à une ouverture temporelle. Glissant étudie des moments de l’histoire dans leur pluralité, par exemple quand il se penche sur le Moyen Âge, il note qu’il est plein de virtualités qui ont été combattues, pourchassées, ainsi les « hérésies ». Il dit que le Moyen Âge aurait pu déboucher sur un ordre du monde, différent de celui qui s’est imposé par la suite. Il nous place finalement face à la béance géographique et temporelle de la responsabilité humaine individuelle et collective. Comment faire face à l’histoire, quand rien n’est écrit d’avance, même si les déterminismes sont énormes. Cette pensée peut s’appliquer partout à partir du moment où l’on se reconnaît dans ce fameux credo qui n’est pas de lui, mais qu’il a revisité « Agis dans ton lieu, mais pense avec le monde ». Face aux déterminismes historiques qui sont à une autre échelle, s’enfermer dans le local interdit de penser le monde.
– Des pans entiers de la population française se sentent méprisés, abandonnés. On peut imaginer qu’ils pourraient recevoir positivement une telle prise de parole.
– Pour pouvoir parler aux populations qui subissent une marginalisation sociale, telle qu’ils ne peuvent se représenter un avenir viable, on a eu tendance à user d’une phraséologie, dont le terme « séparatisme » fait partie, en renonçant à parler d’universalisme. C’est pour moi une défaite. On leur a parlé d’un destin séparé, en ayant peur de ce que Glissant appelle la Relation, non pas d’intégration, mais d’un destin commun. On s’est engouffré dans des voies d’échec. La démarche de Glissant est politique, il parle à chacun mais aussi à un collectif. Il a exercé une grande partie de sa trajectoire universitaire aux États-Unis, on a ainsi vite fait d’accoler son œuvre à celles des auteurs postcoloniaux (7). Dans ce pays tout est compartimenté. Il faut donc avoir une étiquette. Lui parle à partir de la situation antillaise qui est coloniale et non postcoloniale, et c’est ce qu’il répondait allègrement quand on lui parlait des poscolonial studies. Il a des points communs avec les intellectuels postcoloniaux, mais il récuse le modèle anglo-saxon de classification des œuvres par une définition réductrice. Pour l’avoir eu sous les yeux pendant tant d’années que ce soit en Louisiane, à Bâton Rouge ou New-York, il constate que le modèle sociétal américain est un modèle de juxtaposition. Mais Glissant prétend que la Relation ne peut s’exercer selon la seule « addition » de communautés étanches entre elles. Les États-Unis pratiquent ce modèle tant qu’il n’explose pas. On ne peut pas lutter en profondeur contre le racisme à l’intérieur d’un modèle de juxtaposition. Glissant prétend que l’on peut harmoniser à la fois le respect de sa propre individualité en étant toujours en dialogue avec les autres. Pour y revenir, Jean-Luc Mélenchon a utilisé de façon remarquable le terme de créolisation, sauf que quelques mois plus tard il a soutenu, ou il ne s’est pas opposé au projet de l’UNEF, syndicat étudiant, qui prétendait faire des réunions de racisés. On est là dans une contradiction réelle. Vous ne pouvez pas être à la fois du côté de la créolisation qui est adossée à la Relation (et que vous comprenez comme telle), c’est à dire d’un dialogue constant des uns avec les autres et à un moment donné, pour les besoins d’une mobilisation, reconnaitre la légitimité d’un apartheid inversé. Quand vous refusez que des blancs prennent la parole à une réunion de racisés, vous faites du racisme à rebours. Accepter cela, c’est renoncer à la Relation, qui est dialogue et échange avec les autres.
– Dans l’absolu vous avez raison, mais il peut y avoir des moments, c’était vrai du féminisme, où l’on a besoin de se retrouver entre soi avant de rejoindre le monde.
– Ce n’est pas vrai. C’est une perversion de l’esprit, cela fait partie des renoncements dont on peut avoir de bonnes raisons de s’accommoder aujourd’hui, par complaisance. Cette perversion saute aux yeux d’un Antillais. On ne serait pas foutu de faire des réunions comme celle-là aux Antilles, c’est-à-dire dans une société entièrement métissée. Dans cette mouvance, et si on accepte ce type de logique, on rentre irrémédiablement dans une phraséologie phénotypique et raciale. C’est ratifier le racial avant même de se poser la question du dialogue avec l’autre. Pour cette raison j’ai été enthousiasmé par le livre Racée de Rachel Khan (8) qui a posé les questions qui fâchent, et même s’il n’est pas de bon ton de se réclamer d’elle, dans les franges bien identifiées d’une certaine gauche, à mon sens dévoyée. Aujourd’hui il ne faut pas avoir peur de dire non. On vous dit que dans les années 60, le MLF organisait des réunions qui étaient interdites aux hommes ? D’abord il n’y aucune raison de sacraliser le modèle du MLF, ensuite ce n’est parce que cela a eu lieu dans les années 6O, qu’il faut le reproduire aujourd’hui et surtout mettre sur le même plan des phénotypes raciaux et la différence des sexes (c’est une aberration de l’esprit). C’est déjà prendre acte que nous avons une vision dégradée de ce qu’est la réalité d’aujourd’hui. Le phénomène Zemmour ne dérange pas grand monde, apparemment. On a intégré le mode de pensée de tous ces gens-là sans difficulté, en partageant les mêmes pathologies identitaires. Lorsque nous laissons entrer la pensée woke (9) en France, lorsque nous parlons de « racisés », on ne se rend pas compte que l’on est en train de le mettre aux orties, le modèle français universaliste, qui ne reconnaît pas la race (ou plus exactement, qui ne la reconnaît plus). Nous serions un nouvel état américain, que ce ne serait pas différent.
– Vous me faites réfléchir, merci.
-La potentielle mise en relation de populations marginalisées avec l’œuvre de Glissant serait-elle plus aisée du fait que pour lui la pensée n’est pas seulement un produit de l’esprit. Elle est aussi chair, émotions et surtout liens avec l’autre et peut être musique.
Avec Glissant, la réflexion se porte sur un modèle d’œuvres ouvertes à des expressions multiples. Je dirais de manière quelque peu provocatrice, ce n’est pas que de la littérature. C’est un tout. Il nous parle de nos vies, de nos façons de ressentir et quand il parle de la pensée du tremblement (6), on est très loin d’une approche conceptuelle. Je récuse la notion de concept chez Glissant, en tout cas dans une définition classique du terme, qui relève d’ un mode de pensée trop fermé pour lui. Glissant refonde le concept sur les fondements d’une fluidité notionnelle considérable. Il privilégie aussi une fluidité émotionnelle. Dans la pensée du tremblement il s’agit d’aller vers les autres avec tout ce que l’on a, sensibilité, références culturelles, musicales, cinématographiques, etc, en acceptant ce que lui appelle l’opacité de l’autre, son irréductible part de mystère qu’il faut accueillir en soit. S’en laisser traverser, comme le dit aujourd’hui Sylvie Séma-Glissant. Il est magnifique qu’un penseur, plutôt que de viser la transparence en s’efforçant de tout comprendre, affirme qu’il y a une opacité chez l’autre dont je ne peux saisir le sens, mais qui ne m’empêche pas de rentrer en Relation avec lui.
– Cela fait partie du mystère humain
– Oui, mais moi ce qui me bouleverse chez lui, c’est que sa vision est fondée sur une expérience « limite » de l’histoire, celle de la négation complète de l’existence d’êtres humains. Quand il parle d’opacité, c’est pour qualifier avant tout ce qui se passe sur une plantation esclavagiste. Sur une habitation il est dit que le maître a droit de visibilité totale sur son esclave qui doit être transparent à son « propriétaire ». Face à cela les esclaves ont inventé des stratégies d’opacité très fines (10), leur permettant de mettre en échec la volonté de transparence du maître. Quand par la suite il parle de droit à l’opacité, il ne faut jamais oublier que l’opacité est d’abord celle de l’esclave avant qu’elle ne s’applique à tout un chacun. De la même manière, on ne doit pas oublier que le « Tout Monde » découle avant tout de l’imaginaire d’un enfant qui a marronné (fuite de l’esclave hors de la propriété du maître), le personnage de Gani dans le roman Mahagony (1987). Cela ramène toujours à l’expérience la plus limite qu’une collectivité d’êtres humains ait pu connaître. La prise en compte de ce vécu est essentielle. Il y a une figure en France qui me parait en adéquation avec la trajectoire de Glissant, c’est celle de Victor Hugo. En France tout le monde croit connaître Victor Hugo, il est l’écrivain national. Mais si vous plongez dans ses écrits, vous réalisez que Victor Hugo est un inconnu. On ignore les ramifications internes qui donnent force à ses écrits. Il y a des énoncés dans Les Misérables qui sont développés dans le théâtre, dans L’homme qui rit, etc. Vous voyez en fait, que vous avez à faire à un univers où tout se tient. Et c’est cela une grande œuvre, à la différence d’une juxtaposition de « livres » plus ou moins réussis : celui qui crée une œuvre crée un univers, et c’est que Glissant a accompli.
Ces auteurs ont investi des genres différents mais tous corrélés. Cela dépasse le cadre d’expression d’un écrivain s’adonnant par exemple à la fiction. Saint John Perse pour rendre compte de ce phénomène avait eu recours à un pléonasme en parlant d’« œuvre œuvrée » C’est cela qui m’apparait urgent et enthousiasmant de donner à voir à tous.
–Ce que vous venez de développer est-il en relation avec la notion de vibration ?
– Oui, il y a une puissance de l’œuvre, d’abord comme on dit vulgairement vous êtes « scotché » quand vous entrez dans la poésie, les romans, le théâtre de Victor Hugo, ensuite vous réalisez que cette puissance c’est ce qui fait que l’œuvre abolit le temps. Vous pouvez vous emparer de ces ouvrages comme s’ils venaient d’être écrits. Quand on aborde les « classiques » on est toujours étonné et on s’écrie « je ne savais que Racine Corneille, Hugo, Balzac c’était cela, ça vibre, c’est lumineux ». Vous plongez, vous êtes totalement bouleversé. Vous n’êtes plus la même personne quand vous sortez de La comédie humaine (11) de Balzac, pour mentionner un autre génie pour qui j’ai une admiration sans nom. Voilà qui nous ramène au mystère de la puissance de création artistique : elle résiste au temps et elle modifie les êtres humains qui y sont confrontés.
– La portée de ces textes est révolutionnaire, il n’y a pas besoin d’être un notable pour y pénétrer.
– Je dirais même le contraire, comme le dit l’Évangile, ce sont les plus petits qui vont entrer dans le royaume. Quand vous êtes notable que vous avez une image figée de la culture, cette vision patrimoniale bien connue, vous vous tenez à l’écart des autres : « je suis cultivé, vous ne l’êtes pas ». L’œuvre est captée par les « notables » dont vous parlez parce qu’elle contient quelque chose de dangereux. Si aujourd’hui tout le monde en France se met à lire Les Misérables, il y a une révolution. L’œuvre est à la fois énergie pour soi et pour le collectif. Des régimes se sont construits là-dessus, par exemple sur la notion de l’écrivain national. Depuis1848, il y a eu des printemps des peuples qui se sont identifiés à leurs écrivains nationaux, tout le monde les connaissait par leurs vers, par exemple Mickiewicz en Pologne, ou Milosz, Victor Hugo : les peuples s’identifiaient à leurs « grands écrivains ». Hugo, c’était la France. On a toujours dit avec raison que la France est une nation littéraire, c’est vrai. Si elle cessait de l’être… il y aurait toutes les raison d’être inquiet. Quand il y avait cette connaissance qui passait par l’éducation, apprendre à connaître, admirer Victor Hugo c’était prendre en compte toute une trajectoire historique, connaître les Lumières, les notions mêmes de révolution, de peuple, de destin national et être capable de les intégrer dans un tout. Je repense à ces mots absolument incroyables de Malraux, à l’entrée de Jean Moulin au Panthéon : « Entre ici Jean Moulin avec ton terrible cortège » (12), à l’endroit de la Résistance. Cette phrase- là, je l’ai toujours décontextualisée et je la situe dans le cadre d’une somme gigantesque. Lire Hugo c’est lire l’histoire de France. Glissant parle lui pour un peuple qui n’existe pas, pour un peuple qui ne se reconnaît pas en tant que peuple, et c’est une très grande souffrance pour lui. Lorsque Hugo écrit, il a une fierté nationale intégrant toute une trajectoire historique à laquelle il participe, et au terme de sa vie il est républicain au moment même où la République s’instaure durablement. Alors que lorsque Glissant écrit, il le fait pour un peuple qui est en déport de lui-même, qui ne se reconnaît pas comme martiniquais. A l’époque où il écrit Le Discours antillais, il y a des campagnes électorales en Martinique, qui représente le pays, géographiquement, au cœur de la France. Vous imaginez le degré d’aliénation qu’il faut accepter pour en arriver là, pour vous identifier à « la mère patrie » dont on vous dit qu’elle vous a libéré. Glissant était indépendantiste, il termine Le Discours antillais en disant que l’indépendance de la Martinique est une nécessité. Il a fait partie du Front antillais guyanais pour l’autonomie dissous par le général de Gaulle et a été mis en résidence surveillée. Il est dans la souffrance de cette non-reconnaissance par soi-même d’un peuple pour lequel il écrit, pour lequel il développe son esthétique, met à nu sa sensibilité, mais pour autant il n’y a pas de victimisation, il n’y a jamais de lamentation. Mathieu Béluse, personnage central intervient dans Traité du Tout-monde comme une sorte d’écho de l’auteur, Il dit « Assez de lamento ! » La lamentation ne peut être un fondement d’une grande œuvre.
Quelques mots sur cette poétique si singulière qui a vocation à incarner le politique dans sa plus grande exigence
– Quand on pense au couplage poétique/politique, il est de fait très dangereux, particulièrement au vingtième siècle, on a en arrière fond la notion d’engagement illustrée par Sartre. Beaucoup de créateurs ont cru légitime d’inféoder leur production littéraire au combat politique. Ce n’est en rien le propos de Glissant. Il a une trop grande idée de la poétique qui chez lui recouvre la pensée, la poésie et une présence au monde. Cette poétique n’est jamais inféodée à la politique qui va dans des recoins qui jamais n’auraient pu être parcourus, s’il y avait eu inféodation, par exemple au moment où il conçoit comme individu la mobilisation anti- colonialiste, il écrit la poésie la plus exigeante qui soit. Il écrit Les Indes (13) qui est un dialogue avec Vents de Saint John Perse, une manière très lyrique d’exposer l’aventure de ce qui fut à la fois les Indes du Nouveau monde, l’asservissement de millions d’individus avec la traite et l’esclavage. Les Indes (13) c’est ce mouvement de l’histoire qui se fait dans et par la colonisation. Au même titre que Cahier d’un retour au pays natal, ce poème est étranger à un militantisme étroit. À la différence d’Eluard qui écrit une défense et illustration de la Résistance, René Char, lui, étant plutôt du côté de Glissant. Le réel qu’explore Édouard Glissant est trop multiple, trop subtil pour que la poésie en soit réduite à servir le politique. Cette poétique-là donne la sensation d’entrer dans une exploration de l’histoire et de la présence humaine. C’est plus avec les essais qu’on peut mesurer chez lui une articulation avec un projet politique au sens très large du terme.
– La pensée de Glissant peut-elle entrer dans le cadre d’une approche libertaire ?
-Il peut être lu de manière libertaire. Mais en aucun cas cela en fait un penseur rattachable à ce courant, même si avec Patrick Chamoiseau, il appelle à abattre tous les murs qui nous oppriment. Je pense plutôt à une pensée révolutionnaire qui ne vise pas un grand soir, mais plutôt à un renversement des schèmes que chacun a en soi, donc à une révolution des imaginaires pour aborder notre part de modernité.
Y -a -t-il des croisements possibles avec la pensée de Gilles Deleuze ?
Concernant la pensée de Deleuze et Guattari, c’est dans la notion de rhizome(14) que l’on peut trouver un lien. Certains avancent que Glissant aurait lu Mille Plateaux (15) avant de mettre le rhizome en avant. Glissant avec les textes préparatoires au Discours antillais, parle déjà de ce qui va devenir chez lui le rhizome. Il reprend le terme illustré par les deux auteurs, mais quand il veut parler d’un passé obsessionnel de la traite, il se saisit d’une image aussi étonnante que terrifiante, celle d’une chaîne de squelettes au fond de l’océan. Pendant la traite interlope, un grand nombre d’esclaves étaient jetés dans la mer avec « leurs boulets verdis ». Il va se saisir de cette image déjà en germe chez Césaire et dire que ces corps- là ont émis des racines qui sont diverses, et là réside chez lui le substrat du rhizome. C’est dans ce mausolée sous-marin que sont nos racines, elles ne peuvent être des racines uniques, ce sont les rhizomes d’une identité relationnelle.
Loïc Céry est directeur du CIEEG (Centre international d’études Édouard Glissant) et du pôle numérique à l’Institut du Tout-Monde, Il dirige également « La nouvelle anabase » revue consacrée aux écrits de Saint John Perse et « Les Cahiers du Tout-Monde ».
Notes
(1) Edouard Glissant 1928/ 2011
– Site officiel – http://edouardglissant.fr/
– Les cahiers du Tout- Monde n°1 Juillet 2021- « Présences d’Edouard Glissant » revue du CIEEG de l’institut du Tout Monde
– Sur France culture l’émission de Rachel Khan « Avoir raison avec Edouard Glissant »
– « L’homme » avec Sylvie Glissant 19/07/ 2021
– « Interroger la créolisation » avec Sam Coombes 20/07
– « Le Tout Monde » avec Loïc Céry 21/07
-« La poésie de Glissant » avec Jean Paul Madou 22/07
– « L’héritage » avec Mathieu Glissant, son fils 23/07
(2) Loïc Céry Édouard Glissant, une traversée de l’esclavage
Tome 1 Rassembler les mémoires – Tome 2 Renverser les gouffres. (Éditions de l’Institut du Tout-Monde, 2020)
(3) Le Discours antillais– Seuil, 1991, Gallimard 1997 – Folio Essais
(4) Malemort voir les romans d’Édouard Glissant-edouardglissant.fr/romans.html
(5) Créolisation
Pour Edouard Glissant la créolisation ne concerne pas uniquement les populations créoles d’Outre-mer, ni le simple métissage d’une société, c’est un concept qui se rapporte au devenir des cultures du monde. Pour lui il y a créolisation, quand le mélange des cultures crée quelque chose de nouveau, qui n’appartient à aucune des cultures qui la compose.
Jean -Luc Mélenchon et la créolisation
21Septembre 2020 discours sur la république
25/O9/2020 tribune Nouvel Observateur
04/092021qu’est-ce que la créolisation .www.linsoumission.fr
(6) Interrogé par Laure Adler, Glissant parle de la pensée du tremblement, lors de la publication d’Une nouvelle région du monde(Tropismes, France O, 2007
La pensée du tremblement éclate partout, avec les musiques et les formes suggérées par les peuples. Elle nous préserve des pensées de système et des systèmes de pensée. Elle ne suppose pas la peur ou l’irrésolu, elle s’étend infiniment comme un oiseau innumérable, les ailes semées du sel noir de la terre. Elle nous unit dans l’absolue diversité, en un tourbillon de rencontre. Elle est l’Utopie qui jamais ne se fixe et qui ouvre demain : comme un soleil ou un fruit partagés.
(7) Qu’est-ce que la pensée postcoloniale? Colloque international université des Antilles 2015. www.fabula.org
(8) Racée de Rachel Khan éditions de l’Observatoire. Mars 2021- Grand entretien avec Loïc Céry
(9.) La pensée woke est une émanation de certains campus américains radicalisés dans une approche très idéologique de la défense des minorités, et à la faveur de laquelle tout un corpus s’est auto-légitimé d’abord aux États-Unis avant de s’exporter maintenant, prétendument comme seule voie progressiste de l’antiracisme et de la lutte contre les discriminations. Le terme de woke provient de l’anglais awake, qui en l’occurrence désigne le fait d’être constamment éveillé aux problèmes de discriminations. Ce courant draine en lui-même tout un ensemble, dans lequel on retrouve la cancel culture, un féminisme radicalisé, la pensée décoloniale. Il est selon Loïc Cery l’expression et la conséquence d’une exacerbation des problématiques identitaires (ou plus exactement des pathologies identitaires), de la même manière qu’à l’extrême-droite le populisme peut l’être, quand il est conduit par des crypto-fascistes comme Éric Zemmour. C’est en somme l’autre face d’un même malaise et d’une même dérive, celle de l’enfermement névrotique dans ce que Glissant nommait l’idée d’identité atavique. Ce courant a été particulièrement bien dénoncé par Rachel Khan dans son essai Racée.
(10) Les stratégies de l’« opacité » sont multiples, ainsi le caractère codé d’une part du créole inaccessible aux colons. D’autres stratégies proches des pratiques des Indiens Caraïbes, usages que les déportés africains ont trouvé en arrivant sur les plantations en fréquentant les derniers Indiens qui demeuraient dans l’île ; ainsi, la conque de lambis. Ce coquillage servait de moyen de communication et de ralliement pour annoncer la vie, la mort, les mariages, la récolte de l’igname, le retour de la pêche, les révoltes et autres rassemblements populaires. Glissant en fait état dans Le Discours antillais, en parlant des « névroses d’arrêt » il a vu dans son enfance des traces de cette pratique. La personne concernée se fige littéralement sur place, ne bougeant plus et ne parlant plus : une manière de résister frontalement au regard du maître, en une sorte de préfiguration spectaculaire de la grève. ( voir Le tome 2 « Edouard Glissant une traversée de l’esclavage, » ouvrage de Loïc Céry.
(11) La Comédie humaine d’Honoré de Balzac (1799/1850) plus de 9O ouvrages tous genres confondus.
(12). Le 19/12/1964 Discours du ministre de la culture André Malraux pour l’entrée des cendres de jean Moulin au Panthéon « Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d’exaltation dans le soleil d’Afrique, entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses; avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l’un des nôtres. Entre, avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle — nos frères dans l’ordre de la Nuit… »
(13) Les Indes– 1956, Seuil ; 1985 Éditions Points/essais
(14) Le Rhizome chez Glissant qualifie sa conception d’une l’identité plurielle qui s’oppose à l’identité racine unique. Par opposition au modèle des cultures ataviques, la figure du rhizome place l’identité en capacité d’élaboration de cultures composites, par la mise en réseau des apports extérieurs, là où la racine unique annihile.
(15) Mille plateaux- capitalisme et schizophrénie de Gilles Deleuze et Félix Guattari- éditions de Minuit 1980.