A l’occasion de la commémoration du génocide des Tutsis, nous remettons en avant le témoignage d’une rescapée romancière de grand talent: Beata Umubyey Mairesse.
« Entre les mots et les morts il n’y a qu’un air »
« la littérature est faite pour déranger les gens confortables et réconforter les gens dérangés »
J’ai eu le bonheur de rencontrer Beata Umubyey Mairesse à Manosque dans le cadre du festival littéraire » les Correspondances » Son livre » Tous tes enfants dispersés » est le deuxième roman écrit par une survivante du génocide des Tutsis au Rwanda. Une survivante à ce génocide est une personne qui a été traquée et cachée et qui le plus souvent a pu fuir le massacre en se réfugiant dans un autre pays. Beata doit sa survie à une exception architecturale. Dans ce pays les caves n’existent pas. Les assassins pouvaient rechercher leurs victimes dans des faux-plafonds, jamais dans un lieu qui n’existait pas… Beata était réfugiée dans une cave.
Beaucoup d’essais ont été écrits sur ce génocide. Le recours a la fiction ne se justifie aucunement par la volonté de prendre quelque liberté avec les faits, mais plutôt par une nécessité de développer une parole incarnée à travers des personnages qui au-delà du massacre collectif ont chacun leur histoire, leur complexité.
« Entre les mots et les morts il n’y a qu’un air » dit Immaculata la grand -mère qui par son silence croyait pouvoir protéger ses enfants de l’horreur. Le silence c’est aussi la sanction d’une parole qui ne trouve pas d’auditeurs capables de l’accueillir. Les mots ont aussi un pouvoir de destruction sanglant. Les Hutus, machette à la main partaient chaque matin au « travail » pour ne pas dire qu’ils allaient tuer. Bien avant 1994 les mots de ceux qui tenaient le pays avaient préparé, justifié le massacre. Quel droit à la vie peuvent avoir des serpents, des cancrelats, des rats, des vermines? La Radio « Mille collines » a été le fer de lance de cette entreprise criminelle.
Bosco le fils d’Immaculata ignorant la réalité vécue par sa mère n’aura de cesse que de partir à la guerre. Il en reviendra physiquement vivant mais brulé à l’intérieur. Il n’aura d’autre solution que de se suicider. Blanche sa soeur aura réussi tant à fuir le pays qu’à s’installer à Bordeaux (comme l’auteure), à faire des études, à se marier et à donner naissance à un fils métis Stockely. Plus tard elle reviendra au Rwanda. Loin des identités assignées elle renouera avec sa mère, apprendra sa langue maternelle le Kinyarwanda et réussira à se reconstruire.
Beata Umubyey Mairesse, ne nourrit aucune complaisance vis à vis du colonialisme et encore moins pour le régime assassin. Mais à la lire comme à la rencontrer on comprend que l’écriture est pour elle un choix, celui de réinvestir son histoire, c’est à dire de reconstruire un être vivant. Toutes les raisons sont là, tous les arguments sont bons pour survivre à l’intérieur d’une identité malheureuse, sauf que la lucidité, le courage et l’appétit de vie affirment la nécessité d’une autre voie.
A l’appui de son choix Beata cite la résistante Charlotte Delbo qu’elle admire. Le titre du poème est : » Prière aux vivants pour leur pardonner d’être vivants …. apprenez à marcher et à rire, parce que ce serait trop bête à la fin que tant soient morts et que vous viviez sans rien faire de votre vie… »
La langue de Beata est particulièrement vivante et parfois même caressante. La langue est un pays, celui de l’imaginaire capable d’affronter comme de sublimer une réalité tragique. Ici elle devient une amie qui cheminera avec les lectrices et les lecteurs complices: «
… Et nous tissions dans la pénombre du jour atténué les vies dénuées de péchés des cigales, les prières -poésies des grenouilles de la vallée, les contes de Bakame, lièvre malin capable de déjouer la méchanceté des hommes »
« … Vous aviez été des enfants curieux des plantes et des bêtes, conscients de la beauté des jours et de la vie quand elle se donne sans détour, dans un fruit, dans un rire, et mes histoires du soir sous les jacarandas en fleur vous comblaient d’une facile félicité »
Une famille, trois générations dans une époque en pleine mutation. La transmission n’est plus unilatérale. Les enfants qui ont eu la chance de faire des études ont développé un sens critique qui reste ici bienveillant et Stockely le petit fils a toute légitimité pour initier sa grand-mère au monde nouveau.
Tout au long du livre, les Jacarandas, plante d’une sublime beauté, sont présents, témoins des conversations de la famille. Beata, si elle me confime leur importance symbolique m’explique que cette plante importée par les colons a, sans doute pour préserver sa magnificence capté à son profit toute l’eau autour d’elle. Ainsi les Jacarandas assèchent le monde. Faut-il pour se venger piétiner les Jacarandas prédateurs? Rien n’est moins sûr.Trop de destruction ne permet pas de se reconstruire. A la fin du livre les Jacarandas ont rendu l’âme. Mais Blanche ne désespère pas pour autant » Nous sommes les rejets du jour d’après, qui font mentir les langues médisantes, ceux qui fleurissent contre toute attente »
François Bernheim
Tous tes enfants dispersés
de Beata Umubyey Mairesse
éditions Autrement
Poème de Beata Umubyey Mairesse
publié dans le recueil « après le progrès »
Vivre, à présent
Regarder les belles choses et les enfants
Et n’y voir rien d’autre que de belles choses
Nos enfants
Les épargner les libérer de nous aimer
Les photos le passé sur un fil pendule léger
Ne rien investir
être désarrimés
Apprendre à désirer
Apprendre un pas de danse
C’est quelque chose
Persister
L’amour n’est pas la pitié
Accepter le sommeil l’abandon
Conjuguer hier à demain
dans une langue réenchantée
Dégoupiller nos héritages
Rincer les paupières des nuits noires
Ne rien cacher, se balancer sur un fil
Les cicatrices ne sont pas un trophée
La vie s’altère si on n’y joue pas souvent
Sortir sur les boulevards rire boire biaiser
Les lèvres s’usent si elles n’embrassent pas
Vivre, au présent.