Pour nous tous

MeToo, la pire entreprise de lynchage qu’on ait jamais vue ?Dans un contexte plus que tendu, la sociologue Irène Théry, avec son livre « Moi aussi » éclaire  le  bien- fondé et la puissance de ce mouvement. Faudrait-il pour autant que la résistance à l’oppression des femmes soit calme et mesurée ?

5 lettres  en anglais « M e t o o »  8  en français « M o i a u s s i »  bouleversent l’ordre comme les désordres établis.  » « Moi aussi » le dernier ouvrage d’Irène Théry est une magnifique introduction à la complexité, celle la vie vivante dans la nudité de ses élans, engagements, blocages et traumatismes.

L’auteure, femme mariée, mère, citoyenne engagée, féministe, sociologue, ne peut oublier la petite fille qui à l’âge de 8 ans a échappé de justesse au viol d’un prédateur » Je te viole petite »

La démarche qui parait si naturelle, incarnée par une femme qui assume tous ses rôles, ses incertitudes, son évolution à travers rencontres et échanges, est autant sensible qu’intellectuelle. Elle est celle d’une conversation intime et éthique tant avec soi-même qu’avec les autres. Elle n’est jamais celle d’une  » sachant » assénant je ne sais quelle vérité aux ignorants. La prise de parole d’Irène Théry est celle  du dialogue avec celles et ceux qui ne pensent pas, comme elle, au moment présent. Une auteure qui a l’audace de prendre parti, chose très rare, sans parti-pris, ni invective.

  On le sait, mais on l’apprend aussi tous les jours, un nombre considérable  de femmes a subi, subit encore les violences de mâles exerçant sans vergogne leur bon plaisir. » En France en 2016,19% des femmes de 18-69 ans (soit près d’une sur cinq) déclarent avoir subi des rapports forcés ou des tentatives de rapports forcés. C’est le cas pour 5% des hommes, avant 18ans, pour 47% des femmes et 60% des hommes »

 Cette université de la souffrance, était jusqu’ici une prison. L’irruption du mouvement « MeToo » sur la scène publique, il y a 5 ans démontre déjà que la fatalité de l’oppression n’existe pas.  Ici encore la complexité doit être prise en compte. Dans un contexte hyper-tendu « Metoo »  brise le silence, dévoile une réalité de prédation en partie connue mais occultée. Mais à travers « Moi aussi », l’auteure le souligne à plusieurs reprises, se construit  une autre réalité. Celle de l’audace contagieuse de femmes prenant conscience de leur force et de leur capacité à mettre en place de nouvelles règles basées sur l’égalité et le respect de l’autre. Après tant d’années de silence obligé, imaginez le vertige, le doute enfin surmonté de femmes conscientes que je + Je + Je = Nous, force collective  permettant de récupérer son individualité. « En prenant la responsabilité de son récit et en le liant aux autres, la victime défait l’adhérence qui la maintient prisonnière de l’acte relationnel subi »

Beaucoup semblent vouloir ignorer ce deuxième pan du mouvement en dénonçant une hystérie où l’exagération poussée à son comble aboutirait à une impasse. La structuration médiatique de notre société met en  avant un paradoxe dont il serait urgent de se défaire. Tant que les crimes, délits, exploitations des plus faibles sont considérés tacitement comme normaux, la paix sociale règne. Alors le scandale n’est plus le fait des oppresseurs mais de celles et ceux qui les dénoncent. L’irruption de « MeToo » comme de celle de tout mouvement légitime de révolte, peut à son tour être  source d’injustice. Pratiquer la mesure dans la démesure d’une oppression n’a rien d’évident. Comment les femmes pourraient-elles  soulever le couvercle de la honte en toute sérénité ?

La nécessité forcément pénible de la dénonciation ne doit pas occulter la nécessaire construction d’un avenir partagé.

MeToo s’inscrit dans le fil d’une longue histoire qu’il importe de connaitre pour prendre position, mais  aussi dans le temps spécifique d’une actualité brûlante d’un aujourd’hui encore incertain.

« Moi aussi » boite à outils pour la réflexion active nous donne à prendre en compte les moments clés d’une histoire qui est la nôtre.

-Le mariage sacrement était régi par la suprématie non contestée de l’église. La seule sexualité admise est celle de la procréation. L’Eglise a du ensuite composer avec le pouvoir royal et ensuite avec la famille qui doit donner son consentement au mariage de ses enfants. Jusque dans les années 70, c’est le mariage qui donne un père à l’enfant. L’homme est tout puissant, il incarne l’esprit, la force, la raison. Il détient la puissance paternelle et maritale. La femme est totalement dépendante. Elle est la fée du logis, jusqu’en 1945, elle n’aura pas le doit de vote. Elle incarne également la faiblesse de la chair, le péché. L’homme, lui, exerce librement sa sexualité avec des créatures d’un milieu inférieur au sien.

L’article 340 du code civil de 1804 interdit la recherche de paternité. En clair, l’homme n’est pas responsable des enfants nés dans l’illégitimité.

Cette puissance sans limite va être battue en brèche  par la réforme du code civil et une série de lois édictées entre les années 60/70

1965, Réforme des régimes matrimoniaux (1)

1966, institution de l ‘adoption plénière qui fonde la filiation sur l’engagement. La recherche de paternité est autorisée. 1970, L’autorité des deux parents se substitue à la puissance paternelle

1972 égalité  entre les enfants naturels et légitimes

 En 1975 la loi autorise l’avortement et institue le divorce par consentement mutuel. Les lois de 2018/2021 ouvrent la procréation médicalement assistée à toutes les femmes. Ainsi le mariage n’est plus le point nodal et sacré de la vie en famille et en société.  6O% des enfants aujourd’hui naissent en dehors du mariage. La loi, la contraception  ouvrent le champ à une sexualité libérée. Cette évolution institutionnelle et des mœurs  va favoriser la prise en compte de la vie de couple entre personnes du même sexe. La pratique d’une sexualité homosexuelle ne doit plus occulter la  réalité quotidienne partagée de  deux êtres humains vivant en couple.

 Le Pacs en 1997/99  et le mariage pour tous  en 2013, même si  controversés, ouvrent une nouvelle ère. Des pratiques, dites minoritaires, obligent toute la société à se poser la question du vivre ensemble au XXI siècle.

Ce qu’Irène Théry nomme la troisième révolution du mariage celle du couple duo où l’un comme l’autre devient maitre du destin commun. Cette révolution est celle de l’égalité. La femme devient une véritable interlocutrice, Le parti pris hiérarchique sacralisant la supériorité de l’homme tombe dans les poubelles de l’histoire. S’il n’y a plus autorité légitime, le passage à la casserole  obligé et banalisé dans le cadre conjugal  doit tomber en désuétude. Entre deux personnes libres et égales, il ne peut y avoir acte sexuel que par consentement.  Dans un passé très proche, la femme devait exercer « une résistance forte et persévérante » pour exprimer son refus. Son silence valait acquiescement.

 Ainsi prend place, une nouvelle civilité sexuelle ou conversation érotique entre deux égaux où chacun recherche son propre plaisir en prenant en compte celui de l’autre. C’est à cet endroit précis que la controverse fait rage. Pour les féministes extrêmes ou identitaires la pénétration du sexe féminin par un pénis s’apparente à  un viol. Pour d’autres pas forcément modérées, il faut négocier un véritable contrat, chaque geste devant être dit et approuvé.  il y a par ailleurs conflit potentiel entre la présomption d’innocence de l’un et le crédit de véracité accordé à celle qui subirait un viol.  Ainsi la prise de parole de la femme de chambre face à DSK, jusqu’à preuve d’un mensonge éventuel, doit être entendue à égalité. L’exacerbation  de la relation femme / homme ne doit pas faire oublier que les viols concernent aussi les mineurs victimes d’adultes.

La loi a tranché, en deçà de l’âge de 15 ans, l’acte sexuel pratiqué avec des mineurs est un viol. Le viol incestueux est réprimé pour les mineurs de moins de 18 ans

Le chemin est semé d’embuches, être aux côtés d’une cause juste, celle des femmes défendues par MeToo ne doit pas encourager les victimes à le rester. Sans complaisance aucune, l’auteure rappelle qu’une majorité d’hommes ne sont ni violeurs ni harceleurs.

Quelle que soit la tentation et même si l’histoire victimaire des femmes peut le justifier, il n’est dans l’intérêt de personne de s’installer dans une ère de soupçon systématique.

Il faut plutôt tout faire pour que justice soit rendue, on en est très loin. En France, Sur 100 femmes violées ou qui ont subi une tentative, 20 seulement portent plainte et une seule obtient condamnation de l’agresseur. Avec MeeToo, » la honte doit changer de camp » Non sans difficultés les femmes sortent de plus en plus du silence. Un livre comme  » Moi aussi  » aux côtés du Consentement de Valéria Springora et de « Familia grande » de Camille Kouchner devraient y contribuer. Ces livres démontrent que le viol entre adultes, comme  celui d’un adulte sur un mineur  hors de la famille ou à l’intérieur  avec l’inceste ne constituent pas seulement une atteinte à l’intégrité physique, psychique et morale à la personne mais aussi à son langage. Celle ou celui qui est abusé se voit privé de l’expression de la violence subie. Le prédateur est, selon les termes de Cornélius Castoriadis , »le Maïtre des significations » Le rapport de force est en faveur du violeur qui  double la mise en imposant son récit.  Cette analyse permet de mieux comprendre les années de silence obligé de celles et ceux qui ont été abusés. Le viol tue pendant un temps infini, le droit à la parole de la victime. La montée en puissance du couple duo des égaux, pourrait inciter à penser que nous sommes entrés dans l’ère d’un individualisme absolu. Le constat est largement erroné. La sociologie relationnelle de Mauss, dont Irène Thery se revendique, en fait foi, quels que soient les comportements individuels et leur évolution ils fonctionnent  dans un système d’attentes et de règles régissant le jeu social. Ainsi en l’absence de travail et de discours conséquents des responsables politiques, on comprend facilement que malgré et à cause des avancées considérables constatées, les individus soient perdus. Le mariage n’étant plus la clé de la famille et de la société, y a-t-il un discours, des représentations de substitution ? L’égalité, au moins provisoirement, met à mal le sexe masculin. Y-a-il d’autres considérations que biologiques caractérisant chaque sexe ?

Un enfant adopté par un couple de même sexe a-t-il deux papas, deux mamans ?  Il existe aujourd’hui plusieurs façons d’être parent, il faut  le dire, l’affirmer, C’est une nouvelle donne. Pourquoi ceux qui adoptent un enfant devraient être considérés comme ses géniteurs, pourquoi ceux qui le sont devraient cesser de l’être ? Sur ce sujet comme sur d’autres également il y a une attente considérable d’un discours politique et social de plein pied avec le XXI siècle. Dans ce vide, comme Le souligne Irène Théry dans sa conclusion, peuvent s’engouffrer tous les  mouvements d’extrême droite que l’on voit  à l’œuvre  dans le monde. Déjà en 2016 dans un interview qu’elle nous avait donné (1) Irène Théry  sonnait l’alarme. « N’oublions pas que nos sociétés sont mortelles. J’ai été élevée dans une famille d’instituteurs 3ème république avec un récit très fort, mon mari vient d’un milieu différent. Même sans aucune référence religieuse les mêmes valeurs nous étaient transmises, intériorisant le sens du sacré. L’idée était que ces valeurs valorisent la personne. Aujourd’hui nous avons un vrai déficit sur les valeurs. Notre incapacité à élaborer de nouvelles représentations, à créer du symbolique est inquiétant. Je me dis que ce déficit-là est porteur de conflits, voire de guerres »

 » MeToo a démontré avec justesse qu’il n’y avait pas de fatalité à l’oppression. Aujourd’hui  ce qui était totalement occulté ne l’est plus. Ce pas en avant est décisif, enthousiasmant. Mais pour que nous puissions redevenir « maîtres des significations », nous avons à

exiger de nous-même comme de nos politiques une règle du jeu claire et de représentations fortes faisant symbole. Le chantier est immense  » Moi aussi » le prend à bras le corps avec lucidité et empathie.

La sociologue est au service des humains. A Nous d’investir notre intelligence, comme nos affects, dans une direction qui nous fasse grandir ensemble sur une planète commune.

François Bernheim

MOI AUSSI

d’Irène Théry éditions du Seuil 2022

(1) La loi du 13 Juillet 1965 donne aux femmes le droit d’ouvrir un compte en banque et celui de travailler sans l’autorisation de leur mari, qui ne pourra plus théoriquement imposer son veto. Elle s’accompagne d’une modification du régime légal du mariage, qui de communauté de meubles et acquêts passe à celui de communauté réduite aux acquêts. Le régime dotal4, qui accordait à l’époux l’administration et la jouissance d’une partie des biens apportés lors du mariage, est supprimé1. Les femmes ont alors le droit et la possibilité de gérer elles-mêmes leurs biens propres, et peuvent passer seules les contrats courants nécessaires à l’entretien du ménage ou à l’éducation des enfants. Pour les décisions importantes telles que l’achat d’un bien immobilier, l’accord des deux époux est requis.La loi du 13 juillet 1965 porte également en son sein une réforme majeure en matière de droit commercial : la femme est désormais habilitée à exercer seule et sans l’autorisation de son conjoint un commerce séparé du sien. Auparavant, le véto de son mari, issu lui-même d’une précédente réforme (1948) annulant l’autorisation systématique, était rédhibitoire pour un exercice d’une activité commerciale par la femme mariée. ( source wikipédia)

(2) Interview à propos de la sortie du livre Mariage et filiation pour tous une métamorphose inachevée »Collection La république des idées Editions du Seuil

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