A qui ressemble la vie d’une enfant « mulâtre  » Consolée » dans un pays où le colonisateur blanc a systématiquement organisé mépris, humiliations et discriminations pour qui n’est pas de sa couleur. Face à cet étranglement comment peut évoluer, vieillir cette femme, sinon dans le chagrin ? »Consolée » pourra -t-elle  être consolée ?

« Consolée » deuxième roman de Beata Umubyeyi Mairesse.Consolée est le prénom d’une petite fille « mulâtre » née au Ruanda Urundi, colonie sous mandat belge (Rwanda et Burundi après l’indépendance). Elle n’est ni noire ni blanche. Mulâtre vient de mulet. L’accouplement défendu d’un blanc et d’une noire est donc assimilé à celui d’un âne avec une jument. Comme tous les petits « mulâtres » elle sera arrachée à sa mère pour être élevée dans un pensionnat à Save. Très vite Consolée sera débaptisée par sa marraine qui justement se nomme Consolée. Elle deviendra  » Astrida  » sans doute en hommage à la reine des belges Astrid. Mais Astrida est aussi le nom d’une petite ville près de Save qui à son tour sera débaptisée pour devenir Butare. Abandonnée par sa mère Astrida sera adoptée par un couple belge avant de se marier à Georges un blanc originaire de Grèce. Parcours vertigineux d’une femme naviguant entre les mots, les identités, les pays revenant au Rwanda après l’indépendance et qui à défaut des siens disparus retrouvera Claver, un homme qu’elle a connu enfant et qui deviendra son amant. Quelques dizaines d’années plus tard on retrouvera, Astrida vieille femme atteinte de la maladie d’Alzheimer dans un Ephad du sud-ouest de la France. Elle a perdu son Français parle une langue, sans doute à base de kinyarwanda, jugée incompréhensible par le personnel de l’établissement. Dans cette même institution arrive une stagiaire noire, Ramata, d’origine sénégalaise bardée de diplômés d’études supérieures et méchamment virée de son travail après un burn out. Elle s’est tuée au travail pendant plus de vingt-cinq ans, comme « une bouffone  » affirme sa fille Inès qui en signe de sa révolte porte un hidjab. 

Comme une débutante, Ramata est autorisée à travailler bénévolement en tant qu’art thérapeute. Elle fera tout ce qui est en son pouvoir pour ranimer la mémoire d’Astrida. Sa tendresse, son humanité permettront à cette dernière de retrouver sensations et émotions d’enfance, avec les mots qui les accompagnent.

On ne compte pas les sociologues, historiens, opposants au système qui se sont évertué à dénoncer la réalité dégradante du colonialisme et de son fer de lance le racisme. La machine à broyer hiérarchise, divise, réussit à monter les uns contre les autres, elle gomme, efface les identités les sentiments, elle est, au profit de quelques-uns, une arme de destruction implacable. Malheureusement la dénonciation ne touche le plus souvent que ceux qui sont déjà convaincus et paradoxe terrible, ceux qui en sont les victimes pourraient bien avoir d’autant plus honte d’eux-mêmes qu’ils avoueraient au grand jour le mépris et les humiliations qu’ils ont subies.

C’est sans doute là que le travail de la romancière trouve ici sa première raison d’être. Le génocide, abordé dans son précédent roman  » tous tes enfants dispersés » n’a pas seulement exterminé à coups de machette près de 800. 000 rwandais. C’est dans l’épaisseur de la chair humaine, dans le refoulement des émotions, de la mémoire que le vécu tragique des individus s’anéantit. Les survivants doivent lutter de toutes leurs forces pour  continuer à rester vivant parmi les vivants. Ainsi ce qui ne sera jamais un destin, mais une histoire humaine, met en place des individus séparés les uns des autres face au malheur asséné. Manifestement les femmes créatrices de vie , depuis l’aube des temps, sont directement visées par cette barbarie.  » Est-ce ainsi que meurent les femmes » énonce la romancière, combattante de ce siècle. Ce faisant elle répond à Louis Aragon qui a écrit  » Est-ce ainsi que les hommes vivent  » Au XXI siècle il serait temps que les hommes se sentent grandir à travers la fierté retrouvée des femmes.  Seule une solidarité ouverte, tendre, intelligente est susceptible de s’opposer efficacement au colonialisme destructeur. Astrida comme d’autres « mulâtres » par le fait qu’elle n’est ni blanche ni noire, mais aussi blanche ou noire selon les interlocuteurs, met à mal la hiérarchisation raciste. « Les sang-mêlés » sont à ce titre des êtres dangereux.

Ce que nous décrit Beata Umubyeyi Mairesse est à priori enraciné sur des territoires comme l’Afrique, objet de colonisation, mais l’évolution aidant on comprend que face à la concurrence sauvage des puissances impérialistes, les habitants des métropoles deviennent eux aussi des colonisés.

Une sinistre égalité est en cours. Il est moins que sûr que le sens de la famille, le respect des aînés, si cher à l’Afrique, puisse perdurer. L’occident soulevé par les scandales répétés dans les Ehpads montre la voie. Le business des vieux ou plutôt la réduction, l’écrasement de leur potentiel de vie est en cours. « On bosse pour de multinationales cotées en bourse, des fonds de pension qui vendent ou achètent des lits comme du blé. Pour eux, il n’y a pas de gens ici, juste des lits. » Face à ce malheur planétaire,  » Consolée » a l’immense mérite de dire avec beauté et poésie, la réalité du monde plutôt sombre dans le lequel nous vivons ou survivons. Tout le talent de l’auteure est de poser des questions essentielles en ayant l’élégance de ne pas les formuler. La puissance du roman crève le rideau d’opacité qui pèse sur la planète colonisée. Force est de comprendre que de regarder notre malheur en face est déjà un progrès. En attendant notre réveil, quelques âmes bien nées permettent aux cendres de celle qui fut l’enfant Consolée de retrouver leur terre natale » Ici enfin Consolée repose dans la palpitation du monde »

François Bernheim

« Consolée « de Beata Umubyeyi Mairesse

éditions autrement

1er roman

Tous tes enfants dispersés

éditions autrement 2020

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