« Marseille est comme une femme très belle à qui j’ai envie de dire je t’aime, je t’aime, mais qui part avec un autre »

Hadrien Bels – France Culture le 07/09/ 2020

Marseille est depuis la nuit des temps sise au bord de la Méditerranée, mer porteuse de toutes les mythologies, de l’odyssée de tous les peuples de la terre, blancs, bronzés, noirs, jaunes et autres nuances de lumière. Ce va et vient pluriel lui apporte, une beauté sublime, une énergie sans pareil aussi joyeuse que fracassante. Ce qui fait de cette ville un réservoir magique de tous les possibles mais aussi de tous les précipices, de toutes les catastrophes. Qui habite Marseille, qui connait un peu son histoire, ne peut qu’avoir le vertige. Il y a sans doute peu d’endroits au monde où « l’autre » est aussi présent, L’autre, d’autres villes préfèrent l’ignorer est capable de descendre au plus profond de toi, de te pourrir la moelle. Tu crois saisir ton ennemi, c’est ta propre main que tu viens d’emprisonner.  Hadrien Bels avec son premier roman  » Cinq dans tes yeux » est bien un enfant de cette ville. Avec ses bars branchés, ses boulangeries bio et j’en passe, il raconte l’histoire d’une dépossession. Les venants pour de par dire les bobos, ambassadeurs d’un monde éradiquant toute différence, le coupent du Marseille des années 90 qu’il a vécu en corsaire dans le quartier du Panier avec ses potes Nordine,Djamel, Ange, Kassim,Ichem.

Ce nouveau Marseille n’aime pas les pauvres qu’il cantonne aux immeubles insalubres du centre- ville mais plus volontiers aux barres des cités où chaque moment vécu pèse de tout son poids de discrimination.

Stress, le personnage principal est à première vue un héros médiocre, son ambition le portant à devenir réalisateur de cinéma, s’est finalement limitée à filmer les mariages arabes. Les intellectuels, producteurs poètes (sa mère) qui l’entourent semblent jouer dans une autre cour à moins qu’ils aient seulement réussi à préserver une façade de respectabilité.

L’incroyable paradoxe de ce livre qui, à première lecture, est  la description d’un naufrage programmé est sa force, son énergie. Certes elle est celle de Marseille, mais elle tient aussi à la position d’un auteur qui ne se contente pas de cultiver sa différence, mais qui l’expose à celle des autres.

 L’autre, est aussi un « venant » c’est à dire un étranger en quête de légitimité. La sienne n’a aucune raison d’êtreinférieure à la mienne. Et si l’on veut, pour le plaisir, compliquer un peu l’équation, on va réaliser que chacun de nous peut être un individu multiple et lucide, autrement dit capable de jouir et ricaner de sa propre déconvenue. Cette ouverture à la culture de l’autre façonne une langue hétérogène, rieuse. Une langue nourrie à la source de toutes les tribus, mais récusant le corset que chacune d’elle fabrique pour se préserver de la vérole ambiante.  » cinq dans tes yeux » dans la culture arabe, ou les cinq doigts de la main qui  tentent d’éloigner le mauvais oeil de l’autre, le tien comme le mien. Quel beau roman joyeux malgré sa nostalgie. Comme quoi la meilleure protection est encore l’ouverture à la vie. Vive Marseille, ses explorateurs intrépides, mais heureusement peu sérieux.

François Bernheim

Hadrien Bels – Cinq dans tes yeux

Editions L’iconoclaste

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