« Bon sang, comment faut-il la mener cette putain de vie
pour qu’elle ne vous morde pas au quotidien »
Maudits soient les mots qui disent la violence du scalpel
comme si nous avions la force de l’affronter.
Maudits soient les mots pas dits ou si fort enrubannés de ouate
que trouver les portes de nos prisons devient impossible.
Comment Nathacha Appanah peut -elle nous jeter à la gueule la violence du monde
avec autant de douceur?
Qui a coulé du béton à l’intérieur de nos têtes et de nos corps?
Un juge invisible nous accuse de tous les délits et crimes possibles,
sans oublier ceux que nous commettrons demain,
qui ne sont pas les moins noirs.
En langue espagnole « enfermo » signifie malade.
Quelle est cette maladie que nous trimbalons de père, mère en fils, fille?
Aurions-nous la maladie de vie ? Un enfermement sans sursis ?
Eliette est une adolescente à la beauté sauvage.
Jamais ses parents qui l’aiment n’auront dit ou même pensé :
Une fois par an, on va te jeter en pâture à la tête des hommes de l’usine
qui vont déjà te dévorer des yeux et peut être plus…
Non ses parents sont de bons parents qui sont seulement coupables
de vouloir exister à travers l’admiration que tous auront pour leur progéniture.
Avec les meilleures intentions du monde ils feront ni plus ni moins
que de casser la jolie poupée.
Elle signera elle -même son certificat de décès en supprimant Eliette. Elle deviendra Phénix.
Phénix aura deux enfants: Paloma et Loup.
Une Colombe et une bête sauvage.
Instruite par l’expérience elle se gardera bien de commettre les mêmes erreurs que ses parents.
La vie qui ne manque ni d’imagination l’autorisera à en commettre d’autres.
Paloma prendra du champ et Loup qui a été protégé à l’infini,
prendra l’autoroute à contresens sans autorisation, sans permis, mais avec un accident. Il ira
donc en prison.
Page après page, Nathacha Appanah nous dit la terrible violence de l’existence.
La pire n’est pas la plus brutale :
« Le ciel est, par-dessus le toit, Si bleu, si calme ! » écrit Verlaine. La pire est sans doute
celle que le silence abrite.
Qu’est- ce qu’un auteur, ici une auteure, sinon un humain parmi les humains
capable de faire entendre son cri, par la grâce infinie d’une plume libre.
Une plume acharnée à réveiller les gisants
comme à ralentir la course folle
de tous ceux qui confondent vitesse et intensité.
Cette écriture- là est sorcière et bonne fée.
Elle nous rappelle que notre existence n’est pas vouée à la prison.
Cette écriture-là est résistance et attention à l’autre.
Son charme nous captive,
alors qu’elle travaille avec la plus grande lucidité à notre liberté.
Natasha Appanah nous parle de l’ambivalence humaine.
Non, les erreurs des parents ne sont pas fatales,
oui ils en commettent tous, oui nous en commettons tous
et sortir comme Loup d’une prison dont on voit les murs est un premier pas.
» Il était une fois un endroit ouvert sur la mer, le ciel et la terre.
Dans cette endroit, chaque chose avait une histoire
et chaque chose contenait une promesse »
Vertige de la vie qui à l’audace insolente d’être d’une richesse infinie.
Malheurs, traumatismes sont certains. Alors qu’est-ce qui nous empêche de prendre le risque
de l’incertain? qu’est-ce qui nous empêche de danser?
Nous aurons toujours besoin de la littérature pour ne pas oublier que c’est à nous d’écrire
notre propre histoire avec du miel,
des fulgurances de beauté, des fragments de ciel et nos blessures.
François Bernheim
Nathacha Appanah
Le ciel par dessus le toit
éditions Gallimard