Olga, Nelly et Sylvie habitent toutes les trois le Val d’Oise. Olga dans un pavillon près de Cergy, Nelly à proximité d’Eaubonne, Sylvie près de Pontoise. La première est cadre dans le secteur informatique, La deuxième est chef de projet informatique, la troisième était photographe. Elle a ensuite dirigé une unité d’impression offset. Les trois sont mères de famille et n’ont jamais été engagées ou proches d’un parti politique.  Pourquoi dès début novembre 2018 se sont-elles reconnues dans le mouvement des gilets jaunes?

Une même colère

Très vite elles ont compris que le mouvement exprimait leur colère face aux injustices, aux « les mensonges d’état », au mépris pour les gens de peu. Pour la première fois elles se sont reconnues dans un collectif.

Olga

Divorcée mère de trois enfants, Olga ne supportait plus la montée des prix non justifiée de l’électricité, de l’eau et de tout. Elle possédait une voiture Diesel. On l’a persuadée que les filtres à particules  étaient la panacée universelle avant qu’elle ne comprenne qu’ils ne fonctionnaient pas sur les vieux moteurs Diesel. On lui a fait comprendre que le Diesel était un mauvais choix, que l’avenir écologique est à l’électrique… mensonge. Sans doute fallait-il faire tourner l’industrie automobile ? Elle sent la colère monter sur les réseaux sociaux. Ce combat sera le sien. Première urgence se regrouper là où l’on habite. Elle rencontre Laeticia Deval. Jour après jour, de café en rond- point le mouvement prend forme dans le Val d’Oise. Ces femmes déploient une énergie dont elles ne soupçonnaient pas la puissance, Elles ont mis toutes leurs qualités, leur savoir-faire au service d’un  mouvement qui est le leur. Face à la violence exercée à l’encontre du peuple, elles opposent une conviction calme. Jusqu’à maintenant on ne leur donnait pas la parole, alors elles l’ont prise, et ceux qui parlent d’essoufflement n’ont pas compris  que ces nouveaux agitateurs ont enfin trouvé une cohérence entre la tête et le coeur. Ils sont « vertébrés » au delà de toute forme de posture.

 

Nelly

Elle est retraitée, toujours en activité après 42 années de travail. Elle a eu deux enfants. Comme elle le dit pudiquement, il lui reste une fille de 26 ans au RSA, qui est toujours à sa charge. Cette dernière a une formation d’esthéticienne mais n’a pas trouvé d’ emploi fixe, on l’a alors orientée vers la filière mécanique complètement bouchée…

De reconversions, en petits boulots sous-payés, Mc Do et autres,  Nelly s’est dit : «ma fille n’a pas d’avenir dans la société actuelle».

L’augmentation de la taxe Diesel a  fait déborder le vase. Sa colère a  alors explosé. Comment a-t-on oser soutenir qu’il s’agit d’une taxe pour la planète, alors que seulement 20% ont été alloués au budget climat. Nelly a été a toutes les manifestations, tant pour protester contre les mensonges d’état, que pour sa fille. Pourquoi  faut-il que ce soient toujours les mêmes  qui soient taxés et pas les gros pollueurs?

«  Donc j’ai décidé de me battre, de faire la révolution ». Elle a fait 68 et n’a jamais été encartée. Macron nous a traité d’ignares. Elle -et ce n’est pas la seule- est Bac + 5. Avant, elle avait sa vie, ses enfants à élever, son travail, sa société, pas le temps pour autre chose. «  On nous avait lobotomisé. On faisait confiance». Le sort réservé à sa fille lui a ouvert les yeux. Avenir bouché.

 

Sylvie

Comme bon nombre de ses amis, elle pensait « la France ce n’est pas pour nous». Nous avions envie de quitter ce pays. Ce qui se passe était prévisible.

C’était l’objet de nombreuses conversations. Certains sont partis et ne reviendront plus en France. Nelly n’est pas préparée à cela, elle ne parle aucune  langue étrangère. Elle n’a jamais eu de sympathie pour un parti mais lit les journaux des deux bords. Rien n’était à la mesure de ce qu’elle pouvait espérer.

« Que les citoyens soient à même de décider d’un certain nombre de choses. Que l’on respecte le peuple. Que l’on ait des possibilités d’évoluer en fonction des capacités que l’on a  et que l’on ne soit pas mis en situation d’échec scolaire, que l’éducation nationale ne fabrique pas des moutons, qu’elle cherche plutôt à ouvrir l’esprit». Aux Etats Unis le système d’éducation est beaucoup plus ouvert. Il a fallu seulement trois mois à une de ses nièces habitant Brooklyn pour maitriser la langue anglaise, elle a ensuite pu suivre des cours à l’université.

Ici, dit-elle «notre classe sociale n’aurait pas permis qu’elle aille à la fac». Quand Sylvie a eu connaissance de l’existence des gilets jaunes, elle a compris  que le mouvement était celui qu’elle attendait.

 

Au commencement…

 

Au commencement le 17 Novembre 2018, date de la première manifestation parisienne. Deux inspirateurs, organisateurs : Eric Drouet, Priscilla Ludosky. Ce 17 Novembre est une date fondatrice. Pour la première fois des femmes et des hommes dont la colère, parfois à leur insu, grondait dans le ventre depuis des années, se sont mutuellement reconnus, rassemblés. Ce 17 Novembre est tout simplement le début de l’histoire de ceux qui n’avaient pas droit à avoir une histoire. Miracle ? Certainement pas. Conjonction extraordinaire oui : le peuple de ce pays existe. Il existe même si fort qu’il est capable de donner naissance à un acteur collectif porteur de la révolte populaire. La chape de plomb que le mépris des puissants et des élites pensantes a construit et que la plupart des experts autorisés pensaient insubmersible vole alors en éclat. Quelle que soit l’issue du mouvement, ceux qui l’ont vécu n’oublieront jamais  ce moment vertigineux où la fatalité d’une soumission  s’écroule pour laisser la place à une énergie collective vibrante qui dit : oui c’est possible. Le peuple a toute légitimité à décider de son propre sort. Malgré le mépris déversé sur lui le peuple existe, relève la tête. Pire, il pourrait même être fier de lui, de ses enfants. Le 17 Novembre, début d’un mythe ? Oui, au sens d’une appropriation, d’une légitimité retrouvée dans la joie et l’énergie d’une naissance face à la brutalité de la répression.

 

Plutôt la démocratie que la politique…

Le mouvement prend naissance dans une France fracturée, écoeurée, sans autre projet politique que le maintien au pouvoir de ceux qui de droite ou de gauche gouvernent ce pays. Election après élection ils s’acharnent à  démontrer que l’extrême droite qu’ils contribuent à faire grandir, serait une catastrophe pour le pays. Même si beaucoup des électeurs du Rassemblement national se reconnaissent dans le mouvement, ce dernier ne se reconnait pas dans Le Rassemblement national.

Au-delà des clivages partisans il faut remettre en avant l’intérêt général dont les citoyens sont porteurs. Les citoyens contribuables sont les véritables propriétaires de la chose publique. Pour que les élus respectent leur mandat, il importe qu’ils puissent être contrôlés.

Ainsi les gilets jaunes demandent :

Que le vote blanc soit reconnu et qu’une élection puisse être annulée si les votes blancs l’emportent sur les votes d’adhésion.

Que le RIC référendum d’initiative populaire permette aux citoyens sur un sujet primordial de décider de leur sort. Le RIC a été expérimenté dans d’autres pays que la France, notamment en Californie.

Contre-exemple significatif : le cas ADP. 25 députés sur 47 présents ont voté pour la privatisation de l’aéroport. Sursaut politique 197 députés de gauche comme de droite ( minimum requis 185) ont voté pour la tenue d’un RIP, référendum d’initiative partagée. Pour obtenir gain de cause il faut que plus de 4700000 citoyens se déclarent en faveur du référendum. A croire que la voix de quelques élus pèse beaucoup plus lourd que celle des citoyens ordinaires.

Que fait une entreprise  quand elle juge que le travail d’un salarié n’est pas satisfaisant ? Elle le licencie. Pourquoi en serait-il autrement avec ceux qui sont les représentants du peuple. Ils sont locataires et non propriétaires de la France. Donc, ils doivent pouvoir être révoqués dans le respect des procédures en place. La démocratie a besoin de garde- fous. Le peuple élit ses représentants sur un programme, c’est au peuple souverain de juger s’ils ont ou non bien fait le travail. Le peuple a un  pouvoir de décision. Il le délègue a ses représentants. En aucun cas il doit s’en dessaisir.

Peu de partis politiques sont venus à la rencontre des gilets jaune, ainsi le Rassemblement national et la France insoumise qui, elle, a eu le mérite de déposer une demande de RIC à l’assemblée nationale. La gauche a eu à deux reprises la possibilité de mettre en place de réels changements, elle ne l’a pas fait. Quant à l’extrême droite, mes interlocutrices dénoncent le fonds de commerce raciste et xénophobe que l’ex Front National n’a jamais renié.

La gauche avait pour elle la défense d’un service public de qualité. Il est fondamental que tout le monde puisse se soigner, être éduqué et se déplacer. La couleur politique des uns ou des autres est moins importante que le programme qu’ils veulent appliquer.

 

Une université populaire en action

Semaine après semaine, manifestation après manifestation, le mouvement  a fait la une des médias. Ces dernier n’ont pas manqué de mettre en avant la convivialité  des ronds –points, puis la violence inacceptable d’une minorité  d’extrémistes. Ensuite il a été question de l’essoufflement  du mouvement plus que de son étonnante longévité face à une répression d’une brutalité aussi sauvage qu’inédite. Mais quels sont les médias grand public qui se sont donné la peine de mettre en avant l’extraordinaire travail d’information et d’explicitation des enjeux que le mouvement a mis sur pied ?

Olga, Sylvie, Nelly ont plongé dans les textes, dans les projets de lois. A travers « Le vrai débat » ont été mises sur pied des assemblées générales dans chaque région. Les Gilets jaunes ont décortiqué l’actuelle constitution émis plus de 25 000 propositions retravaillées à chaque étape d’un processus ouvert à tous. Pour que les citoyens soient à même de décider, ils faut qu’ils prennent la mesure des enjeux sous-tendant chaque décision.

Dans une démocratie ce travail est primordial. Il paraitrait normal que ceux qui font profession d’informer jugent utile de le faire. Les médias ne le font pas. Pourquoi ? Les mauvais esprits diront que le maintien du statu – quo est leur objectif numéro 1.Mes interlocutrices soulignent que députés  à l’assemblée nationale ne font le plus souvent qu’entériner les décisions prises par les commissions. Le mouvement lui travaille différemment. A partir d’une idée émise, une commission est chargée d’en étudier l’intérêt et les diverses modalités possibles, ensuite c’est l’assemblée générale qui prendra, en connaissance de cause, une décision. Chantal Jouanno, avant de démissionner  du « grand débat » organisé par le gouvernement, avait ouvertement apprécié la qualité et le sérieux du travail effectué au sein du » Vrai débat ». Est-il possible qu’un mouvement populaire, à rebrousse -poil de l’image populiste qu’il est de bon ton de lui coller, soit aussi soucieux de méthode, donc de rigueur en s’attachant à éclairer les soubassements de toute information ? Les gilets jaunes sont conscients de leur diversité et admettent parfaitement que les motivations des uns et des autres ne sont pas les mêmes.

La France des grands centres urbains n’aime ni ne considère ses cités de banlieue ni sa périphérie. Cette dernière vit dans un entre- deux  sur des territoires dits péri- urbains, le plus souvent  dans des pavillons, là où il est quasiment impossible de se passer d’une voiture, là où les services publics sont le plus souvent aux abonnés absents. Cette France là est ignorée, elle n’existe pas. La France des cités de banlieue est caricaturée, rejetée, détestée, celle de la périphérie est hors société.

Les gilets ne sont ni des mécréants, ni des Zorros, juste des êtres humains  qui ont pris conscience de leur existence à travers la rencontre, l’échange, la convivialité. Il suffit d’échanger  quelques instants avec Olga, Nelly, Sylvie pour imaginer la force de cette renaissance. A côté de la nécessaire colère prend place la joie, celle de vibrer à l’unisson comme celle de pouvoir s’engueuler, parler et même être écouté… sans oublier le bonheur d’avoir retrouvé une famille.

Dans le royaume de France l’humanité locale existe enfin. La puissance du mouvement collectif redonne à chacun une légitimité qui lui manquait cruellement. Ces femmes, ces hommes, pas plus que d’autres, ne sont pas des anges. Mais ils se sont créé un espace de reconnaissance où la générosité, la solidarité peuvent s’exercer. Pour rendre service, pour venir en aide à qui en a besoin, il faut avoir le sentiment d’exister, d’être respecté par ses pairs à défaut de l’être par les élites en place. «  Si on a gagné quelque chose disent-elles ont a au moins gagné ça »

L’existence des réseaux sociaux a de toute évidence grandement contribué à l’émergence du mouvement, mais les uns et les autres ont conscience qu’une partie non négligeable du pays n’a pas accès aux réseaux. Il faut donc aller à la rencontre des citoyens pratiquer l’information de proximité dans la rue, sur les plages, partout où c’est possible. Après les manifestations de rue, les interventions sur autoroute , il faudra après l’été, inventer autre chose. Les gilets jaunes s’y emploient.

 

Pourquoi cet article, pourquoi s’intéresser au gilets jaunes ?

 La montée de l’extrême droite remonte aux années 80. Déjà les gouvernants de l’époque, ainsi François Mitterrand,  avaient compris quel profit ils pouvaient en tirer. Face à une droite fidèle à elle-même et à une gauche plutôt à droite, que pouvait faire le peuple, sinon désespérer de la politique. Un lent et mortifère processus d’implosion était en place. La révolte des gilets jaunes a déjà démontré que cette descente aux enfers n’était pas inéluctable. Le peuple s’est autorisé à prendre la parole. Cette audace pour ne pas dire cette outrecuidance ne peut être du goût de tout le monde. Comment est-il possible que ceux qui vivent dans la contrainte quotidienne, que ceux qui subissent le mépris des élites puissent se mettre en mouvement, réfléchir, tenter même de penser l’avenir ?

Une question mal posée ne peut entrainer que de mauvaises réponses.

A contrario il faut constater que la division du travail qui veut qu’il y ait des têtes pensantes d’un côté et d’humbles exécutants de l’autre a volé en éclat. Le paradoxe veut que ceux qui subissent soient à la fois plus vivants et plus experts que les technocrates et intellectuels ( pas tous) qui ne connaissent que la réalité de leur tribu.

Le mouvement des gilets jaunes prouve que la vie même très abimée peut toujours se réveiller. Quand on a la chance de vivre cette période moins que drôle par ailleurs, on ne peut, à moins d’être totalement lobotomisé, qu’encourager ceux que le pouvoir espère définitivement casser. L’avenir radieux n’est plus à l’ordre du jour, on sait seulement que les humains s’ils se sentent respectés et quelque peu acteurs de leur vie, sont capables de se dépasser. La démocratie aurait beaucoup à y gagner.

 

François Bernheim

 

 

En dehors des nombreuses pages tenues par des groupes régionaux sur Facebook. Deux sites sont à visiter en priorité : Le Vrai débat et La ligne jaune.

 

 

 

www.le vrai-debat.fr ou www.le vrai-debat.fr /syntheses

 

La ligne jaune – www.lalignejaune.fr

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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