La vigilance ne peut être la propriété de ceux que toute forme de désordre affole. Loin des plans anti-terroristes, tentons plutôt de pratiquer une attention au monde ouverte au quotidien, à la poésie, à la beauté comme à tout ce qui perturbe les êtres sensibles. Tentons d’être pertinents sans oublier d’être impertinents, pirates, tendres, lucides. Chaque semaine des petites bulles d’air. Les miennes, mais aussi les vôtres si le coeur vous en dit.

François Bernheim

adresse mail : francoisbernheim32@gmail.com

 

 

18/ 08 –

Champions de l’abîme

A rebrousse- poil de tous les discours affirmant que la recherche d’efficacité est notre priorité absolue, on peut imaginer que la plupart de nos démarches ne visent qu’à nous faire dévaler une pente assez raide pour nous projeter là où il nous sera impossible de remonter. Peut-on parler d’échec, quand nos actes se trouvent en totale symbiose avec le but que nous poursuivons ? Ainsi nous réussissons à gâcher nos vies. Beaucoup d’agitation pour être sûrs de rester immobiles. Cela semble nous convenir parfaitement, au- delà de nos plaintes, chagrins et autres comédies. Si nos échecs sont en fait des réussites, nos réussites ne peuvent qu’être qu’accidentelles… imprévisibles et aussi inquiétantes que peu convaincantes !Pourquoi prendre le risque de tomber alors que nous sommes si bien (si mal) au fond.

 

19/ 08

 » L’histoire de ton corps accuse l’histoire politique » Edouard Louis

Des tonnes, des montagnes de mots pour effacer la réalité la plus crue, la plus violente, celle de l’exploitation absolue, de la souffrance charnelle de l’humiliation au quotidien. Sous le drapeau odieux de la réforme, la violence double la mise : elle n’existe pas. Les intellectuels qui osent encore y faire allusion ne sont que des nostalgiques d’une période révolue. Quant à ceux qui la subissent leur cerveau est si peu développé, qu’ils ne visent qu’à conserver les avantages acquis. Edouard Louis a écrit un grand livre de 84 pages » Qui a tué mon père. ( éditions du Seuil )

 » Si l’on considère la politique comme le gouvernement de vivants, et l’existence des individus à l’intérieur d’une communauté qu’ils n’ont pas choisie, alors la politique, c’est la distinction entre des populations à la vie soutenue, encouragée, protégée, et des populations exposées à la mort, à la persécution, au meurtre »

Dans la confusion où s’écoulent nos vies, il suffit qu’un seul individu ait l’intelligence et le courage de dire ce qui est, pour que ceux qui affirment que le mensonge est la vérité, apparaissent pour ce qu’ils sont : des mercenaires au service de ceux qui ont le pouvoir d’imposer leurs règles. Edouard Louis est trois hommes en un.

Un fils de prolétaire fidèle à ses origines, un homosexuel et un brillant intellectuel et romancier. L’intelligence de l’homme est d’avoir été capable d’inventer un discours nourri d’une double souffrance. Contrairement aux intellectuels bourgeois qui peuvent être aussi sincères qu’authentiques, Edouard Louis dispose d’un capital de souffrance physique et moral qu’il a toute légitimité à exploiter. Ses mots sont forts par ce qu’ils sont à égale distance du corps et de la tête. Ce faisant il esquisse une réponse de poids à une problématique d’une brûlante actualité.

Longtemps la pensée critique a trouvé sa force et sa cohérence dans sa capacité d’abstraction, dans son aptitude à conceptualiser. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Dans une société en rupture de lien où les technologies de pointe ne font que renforcer la tendance à l’atomisation, la pensée critique à tort ou à raison est vue comme outil de plus au service des forces dominantes. Ainsi se développe un sentiment de rejet imperméable à toute argumentation rationnelle. La réintroduction de l’individu, de son corps souffrant, telle que la pratique Edouard Louis, loin de tout bricolage, redonne une légitimité indispensable à la souffrance populaire, elle esquisse une possibilité encore fragile d’une nouvelle alliance où l’expertise contrastée de l’exploité comme celle de l’intellectuel ne peuvent avancer l’une sans l’autre.

 

 

20/O8

Michel Butel : la note juste

Celui qui offre de la beauté de l’intelligence au monde, n’est pas un mortel comme les autres. Il est le créateur de l’Impossible, c’est à dire ce miracle qui fait qu’une personne vit intensément dans le coeur et l’esprit de milliers d’individus. Michel Butel était, Michel Butel est nous. Le talent d’un homme n’existe pas seulement dans un seul corps. Il a été l’individu le plus farouchement individuel et collectif de ce monde. Certains atteints d’une myopie galopante ont pu confondre la qualité d’un papier et d’un contenu. Ils ont fabriqué des torchons. Michel Butel et ses amis ont changé radicalement la donne. Ils ont créé une oeuvre sur des supports éphémères. Ainsi la beauté, la poésie fulgurante, la profondeur de la pensée descendent dans la rue dénués de ce statut culturel empesé qui stocke sa grandiloquence dans les beaux quartiers du livre. Ainsi chaque page devient un manifeste un brûlot jeté à la face du monde. Qui pourra nous expliquer qu’un homme doté d’un tel souffle ait pu depuis si longtemps souffrir d’un asthme galopant ?

Michel avec Stéphane Hessel était, pour notre plus grand bonheur, le 27 Mars 2012 à Créteil pour présenter  » L’impossible » aux fans de « Mardi ça fait désordre »

Que ceux qui n’ont pas connu  » l’autre journal « le mensuel le plus merveilleux des cinquante dernières années se rassurent. Les éditions des Arènes ont publié une anthologie des meilleurs articles de ce journal mythique ( 1984- 1992)

 » Ne nous proposons qu’un but, ici, pour sauver ce qui peut être sauvé : préserver la note juste, la couleur exacte, le mot vrai. Ce sera notre politique » Michel Butel

 

21/08

Choucroute

J’ai la tête saucisse de Francfort, c’est à dire pleine de vide brumeux et de miasmes. Rien dans le chou si ce n’est une formidable platée de choucroute. Encore une fois on devrait être plus attentif au rythme des saisons. Cela ne se fait pas de manger un plat d’hiver quand le thermomètre dépasse 30 degrés. Mais avec la plus grande mauvaise fois je me pose la question suivante. Est – que cela fait de jeter à la mer, en toute saisons, des milliers d’hommes et de femmes coupables d’être nés dans des pays peu compatibles avec la démocratie ?

A en croire mes sources d’information il y aurait de plus en plus de gens mal élevés dans ce bas monde.

 

…. Je me le dis, je me répète que si nous ne réussissons pas à rendre le monde plus vivable, c’est qu’au fond nous nous en accommodons. Bref ce serait un réel progrès si tous ceux qui affirment ne pas être d’accord avec l’ordre établi, révélaient qu’en fait, pour eux tout va pour le mieux dans le plus mauvais des mondes. Alors face à une telle adversité nous serions obligés de faire la révolution. En commençant par dynamiter ce que pompeusement on pourrait appeler  » notre mode de penser »

22/08

Il faut se méfier…

 « C’est dur d’accepter l’abruti qui se trouve en soi et comment faire sans lui?

Extrait d’une lettre de Nicolas de Staël à René Char – 1953

 

Il faut se méfier des cons, des imbéciles, des idiots, des myopes, des gens intelligents, des intellectuels, des primaires, des étrangers, des salauds, des bien- pensant, des révolutionnaires, des gentils, des scientifiques, des pervers, des provinciaux, des poilus, des tribuns, des mutiques, des jeunes, des vieux, des notables, des pauvres, des hypocrites, des soumis, des mangeurs de cacahouètes, des noms à particule, des obsédés sexuels, des socio -démocrates, des lacaniens, des footballeurs, de la bouffe industrielle, des bienfaiteurs de l’humanité, des blagues de mauvais goût, des multinationales, des auvergnats, des patrons, des vieilles filles, des plombiers, des ministres, des va nu pied, des intoxiqués, des migrants, des méticuleux, des souteneurs, des médecins, des coprophages, des alpinistes, des experts, des esprits sains…..et j’en passe des milliers, des millions.

Mais, j’ai bien peur que la tâche soit trop rude pour un seul homme. Tout bien considéré si, pour vous, moi je suis un autre, je gagnerai sans doute beaucoup de temps à ne me méfier que de moi-même. Et pour commencer… un jour par an pourra suffire.

 

23/08

Hospitalité contre hostilité

Dans le Monde Diplomatique du mois d’aout une enquête de Jean- Baptiste Malet, très documentée, fait le procès du système Pierre Rabhi. Dans son introduction l’auteur stigmatise « une vieille idée : pour changer le monde, il suffirait de se changer soi- même et de renouer avec la nature des liens détruits par la modernité…cette insurrection des consciences qui appelle chacun à « faire sa part » connait un succès grandissant » Au- delà du jugement que l’on peut avoir sur Pierre Rabhi, il me semble regrettable de ne pas aller plus dans l’exploration d’une problématique qui dans l’idéal n’opposerait pas un travail de changement partiel voire local mais quotidien à une approche de transformation globale de la société. On sait où mène l’hyper individualisme néo- libéral, on sait aussi où nous conduit le système de délégation des pouvoirs du peuple à une avant-garde éclairée mais de fait totalitaire. Nous avons donc besoin d’inventer autre chose. Le travail concret et de réflexion mené par l’association le Perou- Pôle d’exploration des ressources urbaines- ( www.perou-paris.org animé par Sébastien Thiéry à partir de son implication dans deux bidonvilles de la région parisienne, Ris Orangis et Grigny, démontre que l’hypothèse de départ de l’association est fondée » il vaut mieux construire que détruire. Évacuer un bidonville n’évacue pas le problème. Bien au contraire en tissant des liens avec les riverains, en partageant avec eux l’impérieuse nécessité de retrouver un environnement décent compromis par des montagnes de déchets, en construisant une ambassade du Perou, lieu d’échange, mais aussi symbolique d’une dignité retrouvée, l’association obtient des résultats probants dans la réinsertion des habitants. «On prend le bidonville comme un virus, ça se comprend ; mais nous, on a fait l’hypothèse, qui semble déjouer la logique, qu’il faut construire pour en sortir, souligne Sébastien Thiéry. Sortir de cet état d’urgence permanent, stabiliser des histoires de vie, prendre soin d’ici pour envisager un ailleurs.»

Faire ensemble, habitants des bidonvilles et riverains associés permet, au de-là des actes réparateurs, de faire sauter les préjugés, de faire reculer le racisme. Le 14 juillet 2013, Christian Estrosi a concocté à l’intention des 3500 maires de France un guide facilitant l’expulsion et l’éloignement des populations des bidonvilles. Le 14 Juillet 2018, L’association le Perou sort, toujours à l’intention des maires « Faire l’hospitalité, le guide pratique que n’a pas écrit Christian Estrosi. La culture de l’hospitalité, surtout dans contexte actuel de montée des populismes, s’avère essentielle. A Marseille Jean Pierre Cavalié a monté le réseau hospitalité- www.reseauhospitalité.org, avec la conviction que les pratiques d’hostilité mènent l’humanité à sa perte. D’autant que tous règnes confondus, les pratiques de coopération s’avèrent plus nombreuses et porteuses d’avenir que les pratiques de concurrence et du guerre. Comment ne pas tomber dans l’angélisme en considérant que c’est à chacun d’entre nous de faire sa révolution? Comment ne pas oublier qu’aujourd’hui les tenants les plus éminents du capitalisme revendiquent de pratiquer la lutte des classes à leur profit. Sans doute faut-il mettre l’accent sur les actes de solidarité, sans pour autant désarmer les actes de résistance et de lutte face à l’oppression. Bref un énorme et essentiel travail de conceptualisation reste à faire. Rien ne sert d’innover, d’être en mouvement si l’on n’est pas capable de dire, de penser ce que l’on fait. C’est à dire de partager avec tous ceux, qui en bas comme en haut de l’échelle sociale, considèrent que la démocratie n’existe qu’à partir du moment où le peuple en est acteur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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