Un génocide peut-il faire l’objet d’une fiction? A cette question nous aurons le plus grand mal à répondre.

Le génocide est l’acte inhumain absolu. Ceux qui lui échappent sont sans doute pire que morts, à tort ou à raison comptables de cette négation de la vie. Nous qui n’avons pas été présents sur le théâtre des opérations nous vivons comme si de rien n’était, à un endroit ou un autre, complices d’une vie qui tolère son pire ennemi. « Les cancrelats à coups de machette» de Frédéric Paulin, éditions Goater, parait dans la collection noir de cet éditeur. Est-ce un roman policier, un document fruit d’investigations et d’enquêtes très serrées? Le livre est tout cela à la fois. Juste à couper le souffle. Le 6 Avril 1994, les présidents Burundais et rwandais sont victimes d’un attentat. Pendant 100 jours plus de 800 000 Tutsis et Hutus modérés sont exécutés…. À coup de machette. Avant même que les armes fassent leur sinistre besogne, on sait que les mots, ici distillés par les extérmistes hutus et en particulier par « la radio des mille collines », sont coupables d’assassinat. Il y a eu les youpins, les bougnoules, ici les tutsis sont des cafards, des cancrelats, condamnés avant même d’exister.. Quel rôle a joué La France gouvernée à gauche par François Mitterand? Vraisemblablement celui d’un puissance coloniale voulant à n’importe quel prix préserver son influence dans la région. Tous les indices, débuts d’enquêtes ne laissent pas de place au doute.

«Les cancrelats à coups de machette » racontent cette abomination et vont aussi plus loin. En plongeant dans le parcours d’individus à part entière, le livre ne plonge pas seulement dans l’horreur,il vient aussi casser la mécanique industrielle de l’assassinat en série. François Gatama est boxeur, Dafrosa Rwigyema est son amoureuse. François a le malheur de battre un boxeur Hutu précisément le jour où il aurait fallu rester dans l’ombre. Par miracle l’un et l’autre réussiront à fuir. Vingt ans plus tard, on les retrouvera en France. Dafrosa après des épisodes dramatiques s’est intégrée du moins en apparence dans le tissus local. François, on ne dira pas comment, se venge. Personne ne pourra dire, pas même le meurtrier, que cette vengeance est la solution. Elle l’est dans la seule mesure où son action entrainera sa propre mort.

«Les cancrelats à coups de machette» sont le récit de cette impossibilité de survivre. Au sein même de l’horreur la plus glauque, de la lâcheté, de la soumission, de l’inhumanité, un homme nous parle de sa souffrance, de sa déchéance, d’une vie gangrenée par le génocide. Grâce à ce qui ressemble plus à un sacrifice qu’à des meurtres en série , il nous redonne fugitivement un instant de vie. Dafrosa et François sont les héros de cette fiction. Raconter, imaginer ce qui se passe après le désastre n’est pas possible. La grandeur des survivants n’est pas de se faire justice, mais d’avoir le courage d’assumer cette impossibilité, de témoigner, de nous dire que la fatalité de l’histoire n’existe que parce que nous le voulons bien. Faire oeuvre d’un cauchemar est une façon noble de ne pas totalement désespérer. Plutôt que de pleurer face à la noirceur de l’âme humaine, il devient alors possible de regarder en face notre ambivalence et, soyons fous, de prendre quelque distance avec le pire.

François Bernheim

« Les cancrelats à coups de machette »

de Frédéric Paulin

éditions Goater

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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