Enfants petits, grands ou presque vieux, vous qui avez eu des parents sans dispute, sans tromperie, sans bizarrerie, vous qui croyez dur comme fer avoir échappé au désastre qui guette chacun de nos pas, j’ai pour vous une très mauvaise nouvelle : nous sommes ,quoi qu’il arrive, des sang-mêlé, des sacs de nœuds. Ainsi ce qui fait de nos errances, des portes ouvertes sur l’abîme, est aussi ce qui nous transporte au plus haut de l’émotion, du plaisir et de l’amour. Cette puissance de vie, de destruction comme d’illumination est au cœur du premier roman de Violaine Huisman.

Catherine, la mère de Violaine est une grande brulée de l’existence, une femme d’une beauté exceptionnelle. Saccagée dès la petite enfance par une mère non aimante, elle même brutalisée pour ne pas dire violée par le premier homme avec qui elle a un rapport sexuel… le père de Catherine.

Cette dernière se marie, rencontre Antoine un philosophe, homme d’affaires ou peut être l’inverse. Il est un boulimique de plaisirs, incapable de se poser, ouvert à tous les débordements. Il gagne beaucoup d’argent et le dépense avec autant de frénésie que de sincérité, comme d’autres se bourrent d’anxiolytiques. Antoine et Catherine s’aiment. Ensemble ils auront deux filles, Elsa et Violaine, ensemble, comme séparément, ils seront ouverts à tous les excès. Catherine jeune femme non rangée, mal acceptée par la famille de son mari, face aux manques et aux tragédies de l’existence, sera internée une première fois, puis une seconde fois des années plus tard . « Elle est maniaco-dépressive, schizophrène, mythomane, kleptomane, alcoolique, tour à tour neurasthénique et hystérique »On pourrait dire aussi, elle est merveilleuse, généreuse, ouverte à tous les tremblements, accidents et d’une honnêteté sans faille.

Entre temps elle aura donné un immense amour à ses filles, à une maitresse, à son ex-mari , à ses élèves, entre temps ce elle aura tenté d’offrir un surplus de vie à tous ceux qu’elle aime. Elle aura été danseuse, créé une école de danse. Catherine personnage aussi sublime que dévorée par ses démons, ne trouvera d’autre issue que de mettre fin à ses jours « Fugitive parce que reine » n’est pas seulement le récit de sa vie, Ce livre est d’abord une œuvre de justice saluant l’authenticité d’une dame de haut lignage ; il est aussi le support fragile et bienveillant d’un cérémonial de deuil, intense et magnifique autorisant l’auteure à creuser son propre sillon. Cette prise de distance opérée sans rien sacrifier à l’amour qui la lie à sa mère, sans rien sacrifier à la liberté de tous les protagonistes, est ahurissante. Ce qui n’aurait pu être qu’un récit de vie  se métamorphose en fiction. En devenant romancière, Violaine Huisman devient l’autre. Une personne capable d’écrire avec ses mots à elle, son imaginaire à elle, une vie où elle est par ailleurs totalement impliquée. Il faut beaucoup de courage, beaucoup de volonté et de talent pour mener à bien une telle mission. Il n’y a pas là devoir de mémoire mais plutôt un exercice de haut vol, de liberté  et d’amour. Espérons que Violaine Huisman écrive, à son rythme, un deuxième roman. Celui là nous a donné le vertige. D’ailleurs qui sait si sa mère Catherine, n’est pas co-auteure de ce très beau livre.

François Bernheim

 

Violaine Huisman

Fugitive parce reine

éditions Gallimard

PS : Alain Bashung à qui nous empruntons le titre de cet article aurait sans doute  aimé  » Fugitive parce que reine »

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