L’instrumentalisation de la question religieuse face aux actes terroristes islamistes pourrait, sans peine, être assimilée à une forme de contre terrorisme visant à défendre l’occident, ses valeurs, sa civilisation face aux barbares. La montée en puissance d’une polémique virulente autour de l’Islam n’oppose pas ceux qui condamnent le terrorisme à ses partisans, ce serait trop simple. D’un côté on trouve, droit dans leurs bottes, les défenseurs d’une laïcité intransigeante, élevée au rang d’un projet politique pouvant assez facilement confondre Islam et islamisme; d’un autre côté, les tenants d’une laïcité ouverte sur le monde soucieuse de comprendre comment fonctionne la mécanique djihadiste. Cette démarche, quoiqu’on en dise, ne vise en rien à excuser crimes et criminels, mais plutôt à rechercher des solutions coupant à la racine le phénomène de radicalisation.

Le livre de Tobie Nathan «  les âmes errantes » ne situe pas son propos dans un camp plutôt que dans un autre, mais dans une volonté d’ouverture et de confiance dans l’humanité, hors de toute compassion et sacralisation de nos lois « Quarante cinq ans de pratique clinique auprès des migrants m’ont enseigné un principe : toujours prendre le parti de l’intelligence de l’autre, de ses forces, de ses ressources, jamais de ses manques, de ses failles, de ses désordres. dans le cas des jeunes gens radicalisés, il nous faudra d’abord constater l’intelligence des êtres et des forces, évaluer la puissance des enjeux et surtout :produire de la pensée »

Le titre du livre « les âmes errantes » offre un bon résumé du propos. Coupés de leur culture d’origine et en état de flottement par rapport aux acquis de leurs parents plus ou moins intégrés, ces enfants de migrants ne sont pas seulement relégués socialement et en état d’échec. Ils vivent le malaise de la non appartenance, synonyme de non existence et deviennent des proies faciles face à une entreprise de destruction systématique du monde occidental et de l’Europe en particulier. Selon l’auteur ces enfants de migrants n’ont pas de difficulté d’intégration mais témoignent plutôt d’une extrême malléabilité qui les expose à vouloir coûte que coûte adhérer à un projet aussi altier que radical. Les règles de bon sens qui sont celles de la laïcité ne concernent guère ceux qui n’étant rien, sont en quête d’absolu et prêts à sacrifier leur vie au nom de leur idéal.

« Les âmes errantes » a l’immense mérite de mettre en avant des témoignages à l’appui de son propos. Nous comprenons aussi à travers cette lecture l’importance décisive de notre réponse citoyenne face à cette nouvelle tragédie. Les questions qui nous sont posées sont certes imbriquées, mais on peut émettre l’hypothèse que notre désarroi nait de la confusion opérée entre les unes et les autres. Dans la lignée de cette lecture j’en distinguerai provisoirement cinq.

1/ Est-il ou non absurde de penser que nous ne pouvons pas vivre sans ennemi ?

Ne pas pouvoir se passer d’ennemi pourrait signifier que l’existence de l’ennemi nous sert aussi d’alibi masquant des problèmes que nous ne voulons ou pouvons pas prendre en charge.

2/ pourquoi cet ennemi là exerce-t-il sa terreur à notre encontre ?

3/ Que penser, que faire pour en venir à bout ?

– Assassiner ceux qui nous assassinent ?

-Trouver des solutions au delà du compassionnel et du nécessaire respect de la loi ?

4/ L’entreprise terroriste embrigade en priorité de jeunes musulmans mais largement au delà elle trouve son vivier dans une jeunesse désorientée, coupée de ses racines. Notre malaise ne tiendrait-il pas au fait qu ‘aujourd’hui notre société n’est pas seulement mise en cause par des extrémistes islamistes. En effet, on constate que  bon nombre de jeunes, à l’origine non musulmans, mais en errance, vont là où ils qu’ils croient que se trouve la lumière, faute de n’avoir rien d’autre à se mettre sous la dent, à l’exception du populisme ?

«  Une société qui abolit toute aventure fait de son abolition la seule aventure possible »

Raoul Vaneigem, traité de savoir vivre à l’usage des jeunes générations- éditions Gallimard

5/ A la base on pouvait comprendre la laïcité comme un ensemble de règles organisant une coexistence pacifique entre les différentes religions  comme avec les non religieux. L’espace public étant considéré comme neutre, c’est à dire réfractaire à l’expression de partis pris pro –religieux ou anti. L’opposition « laicarde » à une religion catholique tentaculaire n’a t-elle pas masqué le besoin de spiritualité authentique s’exprimant à travers l’une ou l’autre religion. La gauche française en sous estimant gravement l’importance du phénomène religieux et le sens du sacré n’a-t-elle pas ouvert la voie à une déshérence dont nous constatons aujourd’hui les sinistres prolongements ?

Tobie Nathan, à propos des jeunes radicalisés parle de guerre des dieux. La laïcité peut-elle à elle seule en venir à bout ?

«  Je suis certain aujourd’hui que la radicalité- des jeunes gens que j’ai rencontrés résulte de la difficulté grandissante de nos sociétés à intégrer la différence- non pas celle du semblable » dont on nous rabat les oreilles, mais de l’autre, vraiment autre, radicalement autre. Si nous persistons à partager un monde de « semblables », il faut nous attendre à des conflits sans fin »

En clair nous avons le choix. Le refus de penser, le refus de la solidarité, sont aussi refus de la différence. Nous n’avons pas de destin. Nous le fabriquons comme nous pouvons aussi fabriquer, dans l’écoute une société multiple qui ne serait en rien une société bêtement consensuelle.Pourquoi donc un nouveau projet politique ne pourrait-il être, populaire, généreux, laïque sans pour autant ignorer le sens du sacré?

Au travail.

François Bernheim

 

Tobie Nathan

Les âmes errantes

éditions l’Iconoclaste

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