Depuis quelques mois Il y a du » Nous » dans l’air sur notre petite planète. Sur le très modeste blog de « Mardi ça fait désordre » on pouvait, en Décembre 2015, lire un article en forme de profession de foi intitulé « Nous citoyens humains »

 » Au lendemain du 1er tour des élections régionales,  Il n’est pas trop tôt d’affirmer que nous ne pourrons avancer qu’en définissant ce que Nous sommes, ce que Nous voulons faire ensemble, c’est à dire avec tous ceux pour qui le respect de la personne passe par le respect, à priori, de toutes les personnes, dans les mots et encore plus dans les actes. Un immense travail de ré-union est à faire. C’est à Nous, au delà des échéances partisanes, de nous y atteler. » FB

Il est  bien tard ?

Oui, ce n’en sera que plus difficile.

Mais on ne peut pas  faire autrement, Nous citoyens humains devons trouver notre lieu commun ».

Depuis il y a eu le livre d’Edwy Plenel «  Dire nous » et l’émergence de la Nuit debout.

Réjouissons nous et affutons notre lucidité. Ce qui s’exprime aujourd’hui est le besoin de nous, la volonté de re-lier de ré-unir ce qui a été séparé, endormi, anesthésié. Paradoxe ou non, je dis que pour se laisser une petite chance d’avancer ensemble il faut avoir présent à l’esprit tout ce qui a été fait, parfois avec notre complicité, pour nous asphyxier, anéantir. L’élite a été opposée au peuple, le sachant à l’ignorant, le blanc-blanc aux colorés, aux immigrés, le catholique au juif au musulman, l’étranger au national .L’autre qui est à la fois en nous et hors de nous est devenu l’ennemi. Morcelés pour ne pas dire cassés à l’intérieur, divisés à l’extérieur, nous existons assez peu, juste assez pour que le système se perpétue. Edwy Plenel écrit « Un appel à rentrer dans le rang, à suivre la file, à se taire et à obéir, à être indifférent et silencieux. Et la fonction du bouc émissaire principal – juif et métèque hier, musulman et immigré aujourd’hui – est d’habituer le peuple à ce renoncement en se retournant contre une part de lui-même, par l’exclusion, la stigmatisation, la détestation. Une fois installée à demeure, c’est une machine infernale qui ne peut que produire du rejet en cascade, contre toutes les minorités, toutes les différences, toutes les dissidences. Or cette machine infernale est aujourd’hui à l’œuvre » ( 1) La réalité est devenue celle des puissants des prédateurs et de leurs nombreux complices : toi, moi et bien d’autres. La réalité majoritaire du peuple qui souffre, imagine et se consume n’est plus la réalité, elle est par la force et les moyens des « occupants » ceux qui remplissent nos têtes, modèlent nos comportements, une folie soit criminelle, soit pathologique.

Il y a presque un quart de siècle une assistante sociale intervenant dans le magazine vivant «  Mardi ça fait désordre » déclarait «  on me demande de raccommoder, ravauder le tissu social, mais il n’y a plus de tissu ! » depuis l’entreprise de destruction n’a pas vraiment fait de pause. Alors ?

Comme le souligne Benjamin Stora dans Les Mémoires dangereuses « Hors il y a une masse immense de gens qui, au contraire construisent la société. Mais ces derniers n’ont pas vraiment d’expression, de traduction politique »

Alors ? faut-il négocier, arracher des plateformes d’expression ou de pouvoir partiel ?Impression

S’il n’y a plus de tissu et il semble vraiment que ce soit le cas, nous n’avons pas ici ou là à faire semblant de faire de la politique avec un grand P. Nous avons, en priorité des priorités à «  refaire société » en agissant là où nous sommes , là où nous avons une connaissance concrète des individus et des choses en n’oubliant jamais que nous appartenons aussi à la planète. Notre nous à nous ne doit pas être seulement culturel, il doit transcender nos cultures, enraciné dans des valeurs d’humanité commune. Nous avons à inventer autant qu’à être modestes, élémentaires.
La difficulté que nous avons c’est que nous sommes libres de choisir notre lieu commun. Dans une France où la ruralité et l’industrie ne font plus la loi, nous vivons une situation inédite : Hors de toute contrainte apparente mais cernés par une oppression généralisée, nous avons à inventer une nécessité. Cela mérite réflexion, travail, invention à plusieurs. C’est dans cet esprit que Mardi ça fait désordre crée « Nous » un mini réseau de confrontation, de partage qui s’exprimera chaque mois sur ce blog, pour commencer. Après 3 ou 4 mois d’expérimentations, «  Nous » s’ouvrira à d’autres intervenants.

Debout la nuit, debout le jour, en évitant de nous coucher autrement que dans la volupté.

 

……

 

Marseille reality show

Après la mise en ligne de l’article « Marseille la ville à abattre », j’ai reçu de nombreux commentaires. L’un d’eux exprimait la satisfaction d’une lectrice des quartiers nord de Marseille. Elle écrit :«  Pour une fois la réalité n’est pas trahie » Alu delà du satisfecit, j’ai mesuré l’ampleur du gouffre.

Ainsi, ce que nous appelons démocratie ressemble plutôt à une dictature molle à l’extérieur, déflagrante à l’intérieur. Dire que le rapport de force est devenu défavorable aux classes populaires est insuffisant, faux. C’est précisément la violence de la domination qui est occultée. On ne peut même pas parler de mensonge, car la machine intelllectuo- médiatique a été assez forte pour fabriquer une autre réalité. Paradoxe des paradoxes, ceux qui s’escriment à dénoncer cette violence sont dénoncés comme ceux qui violent le pacte social. Ces asociaux, mauvais esprits, dont j’espère faire partie, sont des traitres. L’exercice de passe-passe est vertigineux.

Aujourd’hui le désespoir, le découragement se portent d’autant mieux, qu’ils constituent une arme aussi économique qu’efficace.

Il vaut mieux que chacun reste chez soi plutôt que la puissance publique et ses associés aient à réprimer, emprisonner ou droguer les classes dites dangereuses. Il nous semble donc préférable de concentrer notre énergie sur la goutte d’eau que nous pouvons constituer en relation avec d’autres gouttes d’eau.

Est-il possible, voire souhaitable de démonter ce viol collectif ?

La question mérite d’autant plus d’être posée, que nous disposons de travaux critiques pertinents. Face au désespoir social, qui ne trouve à investir sa déshérence que dans l’extrémisme raciste, il semble bien que la rigueur conceptuelle nécessaire à la réflexion critique, si elle est indispensable, ne soit pas à même, à elle toute seule d’être entendue. Face à un peuple trahi, abandonné, il faut déjà nous ré-unir, trouver des médiations douces permettant de faire le lien. Chrétiens ou athées peu importe, mais il est urgent de faire place au sentiment de compassion. On peut se moquer, mais panser les plaies est un premier pas vers plus de solidarité. Comment imaginer que l’on puisse être sensible à un discours critique quand on a mal partout.

« j’ai mal à ma rapière

mais je l’dirai jamais

j’ai mal à mon bédane

mais je l’dirai jamais

j’ai mal à mes cardans

j’ai mal à mes graisseurs

j’ai mal à ma badiole

j’ai mal à ma sacoche

mais je l’dirai jamais, là

mais je l’dirai jamais »

écrivait Boris Vian , dans son poème «  je veux pas crever, avec un sens certain de

l’anticipation.

Pensons, pensons, mais nous penserons d’autant plus fort que nous n’oublierons pas de panser. Chantier ouvert.

(1) Dire nous d’Edwy Plenel Editions Don Quichotte

Le site culturel Diacritik

 

Merci à la Nouvelle Quinzaine Littéraire ( N°1147 ) de nous permettre de découvrir un site culturel aussi intelligent et pointu qu’ouvert sur le monde. Christine Marcandier et Johan Faeber en sont les fondateurs. Extrait des propos recueillis par Patricia de Pas.

 

« La littérature (et la culture en général) ne nous semble pas uniquement relever des suppléments des journaux d’information( Le Monde, le Figaro, Libération)mais elle est à la source même des réflexions sociales les plus vives, des débats politiques, les plus accomplis et des initiatives économiques les plus neuves. La culture n’est pas supplémentaire, elle est centrale : elle se donne comme le terreau de toute démocratie »  Johan Faeber

Diacritik parle longuement de Prince au lendemain de son décès, de Gilles Deleuze, de Luz «  frères humains qui après nous vivez » éditée par Futuropolis, de Pandora la nouvelle revue de la BD ( éditée par Casterman)de l’Europe des réfugiés, de la série TV Happy Valley, mais aussi de » plus belle la vie »

Imaginez un site culturel hors des castes et chapelles diverses, il pourrait bien ressembler à Diacritik –

http : //diacritik.com

 

 

 

Alima El Bajnouni

 

Nos convergences

 

 

Converger : tendre vers un même point…vers un même but.

 

Lutte : ensemble des actions menées pour obtenir quelque chose, pour défendre une cause.

 

Convergence des luttes : faire tendre les combats vers le même but. Quel but ?

 

La Nuit debout qui a fait de la convergence des luttes un axe fort a émergé avec la forte et claire détermination de combattre la Loi El Khomri.

Mais petit à petit, l’attrait du processus a pris le pas sur le but à atteindre qui, pour sa part, devient un peu plus flou.

Ce qui n’enlève en rien de son intérêt…au contraire ! Là, les choses s’inventent, s’expérimentent. Ici on se trompe…et on recommence…

 

Comme à Marseille où la Nuit s’est tenue debout dans les quartiers populaires, aux Flamants précisément, mais où elle a chaviré plusieurs fois sous les vagues de mises au point lancées par les habitants/militants du quartier. La première vague rappelle que les habitants n’ont pas attendu ce moment pour se tenir debout. Quand un certain insiste pour projeter Merci Patron ! On lui rétorque que c’est un non sens de vouloir projeter Merci Patron ! à des habitants qui ne savent même plus à quoi ressemble un bulletin de salaire. Ce qui transparaît en filigrane, c’est le refus de l’injonction. La nécessité pour avancer ensemble d’être dans la co-construction (du programme de la soirée notamment). Ce qui se révèle en transparence c’est la résistance à se voir imposer un « pack » duplicable à souhait. Ici, on rappelle les particularités.

Les maladresses sont pointées…malgré cela on discute, on échange et…on chante. Au bout du compte, le lien s’est fait. L’espace à permis la rencontre et a amorcé le balisage du chemin à parcourir.

 

Qu’est-ce que raconte cet épisode ? Il raconte que quand le but n’est pas clairement défini la convergence a besoin de temps pour co-construire le sens que l’on veut lui donner.

Il est plus facile de faire tendre des luttes qui ont pour source la même colère. Ce que la Nuit debout aux Flamants aura compris ce soir là, c’est que les habitants des quartiers populaires de Marseille ont des colères, des priorités, qui ne sont pas les mêmes que celles des militants du Centre Ville.

Ici on vit l’urgence quotidienne d’une population délaissée, abandonnée dans des cases d’un autre temps qui portent les stigmates de la colonisation. Ici on souffre d’une politique urbaine qui s’est construite dans l’urgence de la gestion et non dans la perspective du bien être des habitants. Pas loin de là des familles souffrent au quotidien des nuisances sonores de l’autoroute…les habitants réclament un mur anti-bruit…les pouvoirs publics n’entendent pas cette nécessité…à défaut d’un mur anti-bruit il y a un mur anti-son…entre les habitants et les politiques.

Là des mères partagent leur désespoir…comment faire sortir leurs enfants du ghetto, condamnés dès leur scolarité où ils sont confondus dans la masse des représentations. Leurs individualités, leurs potentialités propres ne sont pas prises en compte. Pour beaucoup ce sont des jeunes des quartiers populaires avant d’être des adultes en devenir. Ils sont saisis dans la représentation massive que l’on se fait d’eux plutôt que dans les désirs prometteurs que chacun peut offrir.

Ici on n’hésite pas, comme certains parents du centre ville, entre la pédagogie Freinet ou la pédagogie Steiner. On est suspendu à la bascule de l’exclusion scolaire. On est suspendu aux conséquences de la désillusion et du découragement.

 

La convergence des luttes a besoin de temps donc pour saisir les particularités des combats qu’elle entend unir.

Et ce ne sont pas ceux qui hurlent à l’échec qui doivent la faire vaciller. Ceux qui hurlent à l’échec sont pétris dans le moule du système qui est combattu : l’efficacité, la nécessité d’atteindre rapidement un résultat.

 

La Nuit debout est basée sur un processus, et c’est là son intérêt. Elle s’alimente d’agrégations continuent, de luttes qui ont des colères différentes mais provoquées par des adversaires ou des ennemis communs : parmi eux, la privatisation du monde au profit d’une oligarchie de privilégiés qui s’allient entre eux pour préserver leurs privilèges…et toutes les conséquences qui en découlent (voir l’article sur Médiapart de Jacques Rancière : la transformation d’une jeunesse en deuil en jeunesse en lutte).

A l’échelle mondiale ça donne 63 personnes dont les revenus sont équivalents à ceux de 3 milliards de personnes…la moitié de l’humanité.

A l’échelle de Marseille ça donne une ville classée au rang de celles dont le taux de pauvreté est le plus élevé et, parallèlement au 3ème rang des régions françaises de province pour la collecte de l’impôt sur la Fortune. Selon La Marseillaise, en 2011 « La fortune des quatre premiers marseillais les plus riches équivaut au budget 2011 de la ville (1,8 milliard d’euros). Comme le dit si bien Patrick Viveret, on vit à l’ère de la démesure. Parler de violences en oubliant celle-là c’est parler des symptômes sans évoquer les causes.

 

Partant de là, la Nuit Debout s’invente. Elle teste les moyens de faire alliance contre un système révolu. A la privatisation de l’espace public, elle répond par son occupation. A l’Etat d’urgence qui suscite la crainte et le repli sur soi, elle oppose l’urgence de créer des liens, d’aller à la rencontre des autres, de se parler. Donnant ainsi raison à Edgar Morin quand il nous rappelle qu’ « à force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence on finit par oublier l’urgence de l’essentiel ».

A la posture, rappelons le machiavélique, qui fait passer la fin, le but, avant les moyens, elle préfère les processus, la co-construction de sens.

 

A Marseille, belle et rebelle, le Poivre des murailles est partout. Cette herbe rebelle dite mauvaise, fragile est pourtant capable de briser le béton pour prendre sa place au soleil. « Ici on est chez nous » disent la plupart et ce ne sont pas quelques interdictions municipales et les gros enjeux financiers dictant la politique urbaine qui changeront quelque chose à l’affaire ! Ici on occupe les places, on fabrique des tables pour les repas partagés. A la morosité entretenue par la chape médiatique, on oppose des balèti, des fanfares, un carnaval coloré, animé et joyeux qui, pour certains élus « provoquent de l’insécurité ». Certes les alliances populaires dans le bonheur et la joie sont des menaces profondes pour les élus qui assoient leur pouvoir sur la crainte et la division.

 

Les cerveaux qui sont en train d’imaginer et de créer le monde qui vient, sont ceux qui ont échappé au formatage de Patrick Le Lay. Ces changements sont incompréhensibles pour certains esprits inscrits dans une mécanique qui se perpétue sans remise en question. Voyant des cerveaux non formatés ils concluent à l’absence de cerveaux…

 

Comme le dit Antonio Gramsci, « Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » : Les monstres sont parmi nous, aucun doute, mais à lire les définitions météorologiques et géologiques de la convergence je me demande si les mondes nouveaux ne sont pas en train d’apparaître…

 

Définition géologique : “la convergence est le rapprochement des plaques tectoniques”.

 

Intéressant : rapprochement des plaques tectoniques qui peuvent former un continent!

 

Définition météorologique : Accumulation de l’air par suite de son arrivée, à l’horizontale, dans une région donnée, ce qui appelle, à l’endroit de l’accumulation, un mouvement vertical compensatoire de bas en haut (ascendance dynamique).

 

Une accumulation d’air arrivée à l’horizontale qui crée une ascendance vertical du bas vers le haut…

 

A méditer…

 

 

 

Marie -Christine Labat

 

 

Comment relier et donner sens à l’envie de faire connaissance ?

 

Nous sommes trop souvent confrontés à des formules devenues creuses à des mots vidés de sens qui exaspèrent. Exemple le vivre ensemble, vive les différences, une ville monde, le village planétaire, la ville aux 111 nationalités. Pour ce dernier exemple, l’illusion tombe, un silence gêné s’instaure. Richesses crie les uns, difficultés disent les autres. Mais personne n’échange. Vous êtes ouverts ou fermés.

Dans ces creusets multinationaux, l’image d’Epinal se façonne au fils des discours officiels. Mais de qui parle-t-on en fait ? De personnes étiquetées par leur nationalité, des pakistanais, des tamouls, des chinois, des algériens, des tchéchènes, des comoriens.

En fait de grandes généralités, de cohortes anonymes. La connaissance même de l’histoire contemporaine de leur pays est inconnue à la majorité du reste de la ville. Les causes de leur immigration aussi. Comment me dit une collègue les pakistanais peuvent être violents ? Ils paraissent si doux. Si doux eux qui ont vécu des violences effroyables dans leurs pays. La conception de l’autochtone qui prévaut et celui d’un regard enfantin, presque folklorique au mieux ou protectionniste, tourné vers la mise à distance de l’autre. Bien sûr, le regard haineux existe aussi de part et d’autre.

L’immigrant.e, le réfugié, la réfugiée seraient là avec sa couleur, sa façon de s’habiller, sa langue, sa culture, sa religion comme un pochoir de lui-même. Une ombre humaine indifférenciée, dont le statut de femme ou d’homme renvoie brutalement à des rôles sexistes. Femmes pourvoyeuses d’enfants vivants ou à venir, hommes de travail clandestin, sous-payés.

Les guerres traversées, les violences, le traumatisme de l’exil, le racisme, la barrière culturelle, la dureté climatique, le déracinement, la dureté de l’exploitation, de leur fragilité par tous les prédateurs de la pauvreté, silence. Qui ose parler de résilience collective ? Celle pour les humains de l’exil, celle pour les ostracisé-es socialement et économiquement.

Leur parole, elles et eux qui ne parlent pas la langue du pays qui permet l’échange verbal avec les autres qui la connaît ? Comment les entendre, les écouter, les comprendre ? Comment échanger et pourquoi ?

Pourquoi se comprendre, pourquoi faire ?

Parce qu’on vit ensemble ! Ensemble ou côte à côte ?

Tout peut bien se passer si chacun garde ses marques, respecte les distances réglementaires. C’est même rassurant. On peut donc vivre ensemble côte à côte dans l’indifférence ou dans des frontières respectées.

Le mythe des étrangers qui viendraient en nombre pervertit la curiosité bienveillante de celles et ceux qui se considèrent comme des hôtes.

Sommes-nous face à des groupes constitués qui se connaissent parce que de même nationalité ou face à des multitudes de solitudes déracinées dont les parcours, les aspirations personnelles peuvent se recouper ou pas, dont la vision de la vie a été façonnée par leur histoire personnelle ? Histoire personnelle dont une part comme pour chacun –e est commune à un ou des collectifs et une autre reste singulière.

Dans ce monde marqué par la vitesse, l’injonction est de s’adapter au plus vite.

Vivre, ensemble ici et maintenant dans ma ville qu’est-ce que cela veut dire ? Comprendre les codes implicites de 111 nationalités et que celles-ci comprennent immédiatement une multitude de codes différents de leur propre culture ?

Il y a de quoi abattre une femme ou un homme !

Pour pouvoir vivre ensemble, les bons sentiments ne suffisent pas.

Les institutions offrent peu d’ouverture à celles et ceux qui ne parlent pas le langage commun.

Quelques associations permettent l’accès aux droits en divulguant dans différentes langues les informations nécessaires pour se repérer et pouvoir s’autonomiser.

Vivre ensemble, c’est découvrir ce qui pousse à vouloir défendre l’autre parce qu’en l’autre est attaqué ce qui caractérise pour chacun-e, l’Humain.

Vivre ensemble, ce n’est pas tout de suite se comprendre, s’appréhender, c’est aller vers l’inconnu-e pour partager ensemble ce qui nous relie dans l’essentiel.

Manger, danser, chanter ensemble est convivial, mais pas fondateur .Ce qui est structurant c’est d’avoir agi ensemble pour l’essentiel, le fondamental : Contre des actes racistes, contre des actes sexistes, contre des actes qui remettent en cause le libre arbitre en montrant la détermination, le refus et le ressort de notre action : ne pas s’attaquer à l’essence même de l’Humanité, du genre humain, à sa diversité, à sa pluralité.

C’est dans l’action commune pour des problématiques vitales au plus grand nombre dans l’instant présent que se crée une dynamique et des confrontations nécessaires à l’action.

Ce qui fait sens tout à coup pour tout le monde, qui devient fédérateur pour l’action, qui est ressenti comme essentiel, ne se décrète pas mais émerge et s’impose. A nous de le discerner, d’en faire un lien commun partagé, un trait d’union.

Pour pérenniser l’action, le groupe mobilisé a besoin d’organisation et c’est là que se mêle une alchimie délicate. Savoir s’appuyer sur des savoirs faire, savoir transmettre sans écraser, savoir s’effacer pour que des personnes prennent leur place, que chacun-e puisse participer ou pas à sa façon, savoir collectivement veiller à construire des formes démocratiques inventées par le groupe. Apprendre vraiment les uns des autres, se considérer comme égal, semblable cela n’est pas simple ! La confiance dans l’autre se gagne pour chacun-e.

Vivre ensemble est un véritable engagement. On ne peut vivre ensemble que si on le désire et ce désir, il faut le cultiver et non l’autoproclamer.

Ce désir de faire sens collectivement traverse des personnalités diverses et nombreuses qui se révèlent lors d’actions collectives importantes, vitales pour un groupe d’individus. Alors, ces actions polonisent le vivre ensemble.

Philippe Merlant

1968, 1995… et 2016 ?

Un orchestre de 300 citoyens jouant sur la place de la République la Symphonie du Nouveau monde : voilà un beau symbole de ce qui se joue depuis plus d’un mois autour des « Nuits debout ». Sans sombrer dans l’idéalisation ou l’illusion, ce qui surgit aujourd’hui a de quoi nous réchauffer le cœur, non ?

Et d’un, on retrouve la joie de parler, de se parler, d’échanger ses colères et ses rêves… La même que celle qui a fleuri un joli mois de mai de 1968. La même que celle qui est apparue, plus furtivement, plus fugacement, en décembre 1995 face au plan Juppé sur les retraites. Un mélange de détermination et de tolérance, d’engagement et d’écoute. Comme l’esquisse d’une parole libérée.

Et de deux, on assiste à des rapprochements insoupçonnés, inespérés, improbables… La culture politique de la lutte sociale, de la résistance et de la grève générale se prend à fraterniser avec celle de l’écologie, de la frugalité heureuse, de la transformation personnelle, voire de la spiritualité. Car chacun pressent que, pour accoucher d’un monde nouveau, tous les registres doivent être mis à contribution plutôt que d’opposer, comme ce fut jadis trop souvent le cas, les uns aux autres.

Et de trois, la question démocratique est clairement (re)mise sur le devant de la scène. Comme tou-te-s les indigné-e-s de par le monde, celles et ceux de Paris et des autres villes de France ont compris que c’est par là qu’il fallait commencer pour espérer bâtir un autre monde : remettre à plat toutes les règles du débat et de la décision plutôt que d’accoucher dans l’urgence d’un « programme » impossible à mettre en place.

Et de quatre, tous les sujets, tous les combats sont abordés, sans qu’il soit question, comme par le passé, d’en juger certains plus prioritaires que d’autres. L’égalité femmes/hommes traverse tous les débats, au même titre que la lutte contre l’homophobie ou l’islamophobie. Comme si la fraternité ne posait plus problème entre toutes ces formes d’êtres humains, si divers mais néanmoins égaux. Comme si le nouveau monde, de ce point de vue, était déjà réalité.

Un ancien président de la République les traite d’« écervelés » ? On aimerait que la tête – et le cœur – des politiques soient aussi remplis – et bien remplis ! – que ceux-là !

Le programme est ambitieux. A la hauteur de l’exigence de cohérence qui, depuis plusieurs années, des rassemblements altermondialistes aux luttes contre le dérèglement du climat, a envahi la nouvelle sphère militante. Alors, oui, il ne faut pas se leurrer : traduire cette exigence en actes va demander du temps, beaucoup de temps. Sans doute les Nuits debout ne provoqueront-elles pas dans l’immédiat de grand bouleversement. Peut-être pourra-t-on même avoir l’impression d’un feu de paille ou d’un soufflé vite retombé. Mais une flamme s’est allumée là qu’il sera bien difficile à éteindre. Comme le début d’un nouveau « nous ».

 

 

 

 

 

 

 

 

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