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D’un côté il y aurait une plaine , une morne plaine que les journaux à gros tirage, tenteraient de réveiller par de l’égrillard, du scandaleux, du révoltant du méprisant. De l’autre côté il y auraient …. les autres, les intelligents, les visionnaires les sensibles ,écrivant, créant dans des espaces nobles et respectables. En 1984, L’Autre Journal de Michel Butel est venu dynamiter cette vision simpliste, légitimée par des rentiers de la pensée à basse température. Butel avec Deleuze, Duras, Genêt et bien d’autres a réussi à faire se rencontrer la pensée, l’instant, l’émotion et la poésie à un rythme mensuel, hebdomadaire et encore mensuel de 1990 à 1992. Journal il l’était au toucher, dans le surgissement, autre il l’était pour l’œil, l’esprit et la sage folie des auteurs journalistes, des journalistes auteurs qui écrivaient, dansaient à travers les pages. Il y avait là un espace de liberté, de rêve et d’intelligence non voulu mais désiré , un lieu où le silence pouvait s’exprimer ainsi que toutes les utopies possibles. Il y avait au delà du talent de chacun, une aptitude à dériver aussi loin que le permettait une intuition fondatrice. C’est dans ce lieu là qu’est arrivé en 1985,Hervé Guibert, journaliste, écrivain, photographe, mais surtout individu d’une trempe exceptionnelle capable de s’intéresser à des enfants des écrivains , des penseurs comme à tout être humain porteur d’une lumière. Guibert Hervé ou le vertige permanent. Moins la peur ou l’ angoisse que le désir d’aller le plus loin possible. Ses articles sont des passerelles vers l’inconnu, l’aléatoire, l’émerveillement. Il reçoit une lettre de Foucault, il l’intègre dans son article, donnant ainsi à penser que la frontière qui nous sépare des autres n’est pas insurmontable, que la ré-union entre les êtres vivants est possible.

Guibert à travers ses amis, correspondants intimes est lui, eux , nous. Il dérive avec bonheur comme Peter Handke, en extase devant une boutique vendant des saucisses présente là où ni lui, ni elles ne devraient être. Guibert ou l’adolescence de la vie. Une pureté nourrie par la rencontre, la surprise, voire l’incongruité. Rester soi même ou le devenir implique une aptitude au changement sans faille. La démarche n’est pas seulement esthétique. Elle prend aussi à la gorge, car la légèreté qui est la sienne est aussi l’élégance d’un homme dont le temps est limité. Même quand il oublie une photo dans un tiroir, il est capable de transformer sa défaillance en émotion forte .

Là où le vertige confine à l’exceptionnel ,c’est dans l’ultime phase d’une démarche qui n’est pas de son fait puisqu’il est, hélas mort. En assurant une nouvelle publication des articles écrits par H Guibert dans un livre, L’arbalète Gallimard les remet en mouvement dans un espace temps inédit. Désormais les articles se touchent ,se contaminent. La prise de risque est éminemment fructueuse. L’œuvre est en marche et prouve que la littérature est capable de se jouer avec bonheur du contingent. Ainsi l’aventurier même allongé dans sa tombe continue à inventer. La preuve est faite que ceux qui se réfugient dans un journal pour produire du médiocre, ont seulement la volonté médiocre de néantiser le monde. L’oeuvre Hervé Guibert est bien vivante.

François Bernheim

 

Hervé Guibert L’Autre Journal articles intrépides 1985/ 1986

 éditions L’arbalète Gallimard

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