Et pourquoi l’enfer ce serait toujours les autres? et si le mal qui vérole nos existences poussait justement sur ce terreau là ? Toute la lumière dans « Illska » son dernier roman.

 

 

_DSC1365-3Qu’est-ce que la géo -stratégie, si ce n’est La perpétuation des rapports de domination qui fait que les plus puissants écrasent les plus faibles en toute impunité. A l’aune de ce constat primaire, les petits pays sont avalés par les gros et n’ont même pas le droit de s’en plaindre. Parlant peu ou pas, ils ne peuvent,  dixit Goebbels , qu’être dans le faux, puisque selon cet expert, un mensonge souvent répété , par le biais des médias devient vérité. Eirikur Orn Norddahl est islandais, son 4ème roman édité dans son pays en 2012 est enfin traduit en français et édité par Anne Marie Métailié. C’est un malheur d’être islandais, personne ne connaît ce pays et presque personne n’est capable de mettre en avant ses talents. Eirikur Orn Norddahl, pour notre plus grande joie et pourquoi pas notre salut, transforme cette pseudo fatalité en une arme redoutable. Privés de parole les petits pays peuvent aussi être moins intoxiqués que les autres et en tout cas plus avides de chercher une voie originale d’expression. Tout commence par un festival littéraire auquel l’auteur est invité à Jurbarkas bourgade lituanienne de 2000 habitants. Les débats politiques succèdent aux débats historiques. En 1941, les juifs qui représentaient seulement la moitié de la population sont assassinés par l’autre moitié assistée des Einsatzgruppen. De retour chez lui, l’écrivain est fébrile, il entreprend des recherches pour tenter de comprendre, il commence à écrire. la nécessité qui est la sienne est hélas alimentée par l’incessante montée des partis d’extrême droite dans de nombreux pays d’Europe. Agnès, l’héroïne est islandaise d’origine lituanienne .A Jurbarkas vivaient ses  arrière- grands parents. Les uns ont été des bourreaux, les autres des victimes de l’extermination. Agnès décide de faire sa thèse sur le nazisme et ses résurgences contemporaines. Un jour elle rencontre Omar, ils tombent amoureux. Un autre jour, elle fait la connaissance Arnor, étudiant néonazi. Elle navigue de l’un à l’autre. Snorri est leur enfant. Le père est forcément Omar ou Arnor. La force d’Illska est d’être écrit par un pur écrivain qui revendique l’engagement politique de l’ intellectuel qu’il est également sans pour autant se satisfaire d’une vision stéréotypée de l’histoire. Si les partis populistes réécrivent une ’histoire qui refuse toute expression de l’autre, toute prise de parole de l’étranger qui à tout moment met en péril la pureté originelle d’un peuple, cela ne signifie pas pour autant que ceux qui à juste titre les dénoncent, soient porteurs d’une vérité susceptible de contribuer à la construction d’une société aussi juste qu’égalitaire.Ici Le romancier va plus loin, beaucoup plus loin qu’un éventuel essayiste  car le lecteur d’une thèse qui ne lui convient prend une posture d’opposant qui dissipe tout malaise. Hors, si nous sommes aujourd’hui cernés par la vague néo-nazie cela veut bien dire que nous n’avons en rien ou presque, fait le travail qui aurait permis de l’éviter. Qu’est-ce qu’un écrivain ? C’est quelqu’un qui est capable de trouver une forme, une esthétique à la hauteur de ce qu’il a envie de dire. Mieux un écrivain est d’abord un langage, car la forme qu’il adopte est aussi prise de parole. Avec Illska, l’écrivain ne cesse de dialoguer, voire de s’opposer à l’intellectuel engagé qu’il est également. Chaque prise de parole, chaque analyse est en porte à faux. L’humour, la dérision rendent impossible toute forme d’auto- satisfaction. Nous sommes en terrain miné où on ne sait même plus qui parle.Le « je » le « moi » tombent de leur piedestal L’existence du mal absolu , du péché originel est un mythe qui permet à chacun de nier le rôle de l’histoire et surtout celui de chaque individu. le mal, dit l’auteur dans l’entretien qu’il nous a accordé, est une construction humaine qui ne surgit jamais ex nihilo, mais se sédimente lentement au gré des petits pas, des atermoiements, des renoncements qui sont les nôtres. Le refus de l’autre en est le pivot central, l’auto- satisfaction de chaque tribu dominante, la toile de fond.

Illska est le roman de la confrontation sans la moindre concession avec notre part maudite. C’est non seulement un cri d’alarme mais aussi un acte lucide et courageux démontrant que la pieuvre peut être mise en échec si nous le vIllska-300x460oulons. La complaisance des médias depuis au moins vingt ans transforme le mensonge d’extrême droite en une vérité servile et nauséabonde. Il est urgent de tourner le dos au langage, à la politique qui ne respecte pas nos différences. Il faut radicalement inventer une politique où le mépris soit aux abonnés absents. Dans l’état de décrépitude où nous sommes « Illska » est un véritable cadeau. Il n’est plus temps de se complaire dans la tristesse et l’abandon. L’intelligence joyeuse et corrosive d’un écrivain authentique nous bouscule avec autant de sévérité goguenarde que de tendresse compréhensive. Nous lui disons deux fois merci. D’abord pour le bonheur de la lecture, ensuite pour la bombe à fragmentation qu’il a conçu dans le seul espoir que nous restions humains. «  Celui qui choisit les mots, gouverne la réalité »

 

François Bernheim

 

Eirikur Orn Norddall

Illiska, Le mal

Editions Anne-Marie Métailié

 

Photos de l’auteur : Arielle bernheim

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