En parcourant ma bibliothèque à la recherche d’un nouveau livre, je suis tombée sur ce petit livre de Mohammed Dib, découvert une bonne dizaine d’années plus tôt et qui me laissait un beau souvenir, âpre et fort de cette histoire algérienne!

L’histoire se passe à Tlemcen, dans les années 50, au temps de la colonisation. La grande maison, Dar Sbitar, regroupe une communauté de femmes bavardes et bruyantes et d’une tripotée d’enfants turbulents, affamés, essayant de tromper leur faim lancinante. Les hommes sont pratiquement absents. C’est la Faim qui sous tend ce roman et lui donne cette puissance de cri, de révolte grondante et impuissante.   

Tout tourne autour d’une famille: Ainsi, la mère veuve, femme rustre, analphabète, incapable de subvenir aux besoins de ses 3 enfants et de sa mère impotente dont elle a héritée. 5 bouches à nourrir, c’est a ce moment la en Algérie une tâche insurmontable pour cette femme qui s’épuise sans résultat. Dans cette famille soudée par le destin où les enfants survivent en apprivoisant leur faim, c’est Omar, le petit garçon, le héros de l’histoire. Avec ses soeurs, il essaie de supporter et aussi d’échapper à leur destin misérable malgré la rudesse de leurs relations et l’absence totale de marque d’affection de leur mère trop absorbée par l’urgence de la situation. Le mélange de religiosité, de résignation et de désespoir que partage cette communauté de femmes ignorantes et superstitieuses le tourmente sans cesse. Il ne peut se résoudre à cette équation de vie si simple que les pauvres sont nés pauvres et condamnés à le rester toute leur existence. Il refuse de considérer qu’une barrière infranchissable sépare ceux qui sont rassasiés de ceux qui souffrent de la faim. Il ne comprend pas pourquoi  les adultes qui l’entourent acceptent cette fatalité sans se battre.

Pourquoi les adultes ne se révoltent ils pas? Comment se résignent ils toute leur vie à crever de faim, à rêver de pain, de légumes, de viande? Ses sœurs égrènent avec délice le souvenir du couscous aux légumes, de viande, d’œufs, de riz, de pommes de terre… Toutes choses inaccessibles pour eux et dont le seul souvenir rend folle la mère.

Dar Sbitar raconte la vie de cette communauté de crèves la faim au début de la Seconde guerre mondiale quand des hommes jeunes, plus évolués, commencent à se mobiliser pour changer le cours des choses sous les yeux ébahis d’Omar. Pour la première fois, il entend des hommes exprimer clairement la situation désespérée des pauvres et la nécessité de se liguer pour améliorer leur sort. Pour la première fois, il entend un homme, issu de cette communauté, exprimer clairement leurs conditions de survie et le refus de l’accepter.

Plus de 60 ans après cette époque, où en sommes nous? est-ce toujours ainsi que vit encore un quart de la populations du globe?  ces migrants qui atteignent aujourd’hui nos côtes ne vont ils pas nous aider à remettre en cause le fonctionnement de nos sociétés pillardes et égoïstes?

Pas de pleurs ni de complaintes chez Mohamed Dib, la dignité et la politesse de la Faim crée des personnages complexes, forts et passionnants qui nous remuent profondément.

« Ses idées se bousculaient (celles d’Omar), confuses, nouvelles, avant de se perdre en grand désordre. Et personne ne se révolte. Pourquoi? C’est  incompréhensible. Quoi de plus simple pourtant! Les grandes personnes ne comprennent-elles rien? Pourtant c’est simple! Simple!… cette petite phrase se répercutait dans son cerveau endolori et semblait ne point devoir s’évanouir… »

Impressionnant.

Claire Seban Haguenauer

Mohammed Dib Collection Points /Seuil

 

 

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