« Le prix à payer sera terrible, Daniel, fit-il. » C’est la menace que son père fait peser sur Daniel, un jeune Américain qui vit dans la banlieue de Chicago, dans les années 60. Et justement leur nom est Price. Daniel ne s’est pas encore rendu compte qu’il y a un prix à payer pour tout. Pour sortir de l’adolescence et devenir un adulte, lui qui croit encore que les adultes sont de drôles de créatures pas très douées pour l’enfance. Il est en train de vivre sa première histoire d’amour avec la belle et énigmatique Rachel. Depuis qu’il l’a rencontrée, sa vie tourne autour de cette unique question : est qu’elle va coucher avec moi ? «  Je songeais à des parfums que je n’avait jamais respirés, à des sons que je n’avais jamais entendus – pas des mots, juste tesichdes sons. Je pensais à mes doigts se faufilant sous ses vêtements. Elle avait l’air de le savoir. » Pour lui c’est simple : je l’aime, donc elle m’aime, même si elle n’a pas l’air de s’en apercevoir. Elle vit avec David, un homme en âge d’être son père, donc c’est son père.

Daniel vient juste d’obtenir son diplôme et ce qui va se passer après, il n’en sait rien. Sa vie future, il n’est pas pressé de lui trouver une direction. Il préfère se demander s’il a un destin. Avec ses 2 copains du lycée, Larry Misiora et Billy Freud (enfin, Freund, mais Freud c’est plus drôle), il sont apparemment du côté des vaincus de l’Amérique. Ils pratiquent la lutte dans un club, mais ils ont baissé les bras. Leurs pères sont ouvriers dans ces raffineries et ces aciéries urbaines qui bordent les rues de leur quartier. Ils en respirent tous les jours les fumées qui en sortent à pleine volute. Larry Misiora le teigneux sait qu’il ne finira pas comme son père, « bête et heureux », mais Billy la bonne pâte, malgré son surnom, n’a aucune envie de tuer le sien, de père et voit son avenir tout tracé dans les services de voirie de la ville. Pour Daniel, tout va mal. Rachel joue un drôle de jeu avec lui. « Pourquoi vivre un malentendu quand on peut vivre une tragédie ? » demande-t-elle. C’est beau, c’est désespéré. C’est le 1er roman paru en 1982 aux Etats-Unis de Steve Tesich qui s’est fait connaître en France par le très prisé Karoo en 2012. Deux romans malheureusement posthumes, qui ont la même force et oscillent tout deux entre espérance et désespoir. Price est violent et léger, cru et poétique, comme son héros adolescent.

Le père de Danny tombe malade malade. C’est un cancer. C’est dire que dans ces années 60, presque sans traitement, sans couverture médicale, il va payer le prix fort. « J’ai peur de mourir, Daniel » dit-il à son fils, qui ne pense qu’à Rachel. Ce père mourant, ce père qui met un temps infini à mourir, qui pense que ni sa femme ni son fils ne l’aiment, sombre dans une sorte de folie trop lourde à porter pour le jeune homme amoureux. Quand il se bat avec le peu sympathique Bimbo, c’est son père qu’il frappe, c’est sa gueule qu’il écrase et qu’il martèle de coups, sans arriver à s’arrêter, dans une séquence sauvage.

L’agonie du père cesse enfin.

Au même moment, Rachel déménage sans espoir de retour. « J’ai beaucoup appris cet été là » constate Daniel, « Le comptable en moi cherchait encore obstinément à équilibrer les comptes et à compenser mes pertes par les profits de l’expérience. » Projet vain. On en est là, dans un trouble et une noirceur complexes, constitutifs de l’œuvre de Steve Tesich. Pour que naisse une lumière, il va falloir que la vie de Daniel prenne une direction inattendue. Peut-être ces agendas dans lesquels il recrée les personnes qui l’entourent et leur imagine une vie, des actes, des pensées. Peut-êtr dans le personnage de Jimmy Donovan. C’est le double qu’il s’invente. Un double très semblable à lui, mais bien différent. « J’étais allongé sur mon lit. Jimmy Donovan était allongé sur le sien…. Bien que sa chambre fût identique à la mienne, je préférais la sienne… Pour lui, tout ce qui était arrivé était de l’histoire ancienne…. Il contemplait son passé de loin. Moi j’avais le nez collé au mien pour essayer d’y voir clair mais je restais aveugle. » Daniel Price est devenu Jimmy Donovan. Il peut commencer à affronter la vie.

Marie Hélène Massé

 

PRICE

de Steve Tesich

Monsieur Toussaint Louverture

Et aussi KAROO chez le même éditeur

 

 

 

 

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