La romancière et essayiste Belinda Cannone, bien connue de nos lecteurs, est actuellement en résidence virtuelle sur le site ardemmmt.com qui a créé ce concept :

« Ouvrir l’espace pour un livre à venir. Le publier dans sa fabrication immédiate. C’est le pari de cette Résidence en ligne où l’écriture se prend au jeu de son invention pendant trois mois. A l’origine, il y a la rencontre de Claire Tencin et d’un auteur, le désir partagé d’un projet d’écriture à partir d’un thème.

Dans cette Résidence, le lecteur a aussi sa place à prendre, il peut y ouvrir un compte-lecteur et initier un dialogue en direct avec l’écrivain »

Extrait

 Date : 2014-09-16 11:39:39

 « Il n’y a pas, il n’y a sans doute jamais eu de grand poète […], de poète si sombre, si désespéré qu’il soit, sans qu’on trouve au fond de lui, tout au fond, le sentiment de la merveille, de la merveille unique que c’est d’avoir vécu dans ce monde et dans nul autre. »

Julien Gracq, Préférences, « Pourquoi la littérature respire mal », 1960

 

 

Ce matin, je suis devant mon chêne, cette torche de temps pur qui se dresse à deux ou trois cents mètres devant la fenêtre du bureau, dans ma maison des champs, la vision est d’autant plus nette que l’herbe qui s’étend à son pied est rase, ultime fenaison faite, et le soleil peine à traverser la couverture de légers nuages. Ce matin tôt, la brume de chaleur (un si doux septembre) le dissimulait tout à fait. Ce soleil réticent ne m’affecte pas. Je peux quand même m’émerveiller devant la beauté – du chêne, du champ, du ciel, du silence et de la solitude. Je sais, de ce savoir intuitif, avant toute construction, je sais la merveille d’être au monde.

Il peut facilement arriver que, trop affectée par des tracas divers, je la sache sans l’éprouver. Elle est là pourtant. Mais à mi-chemin entre les choses et mon regard sur elles, elle peut se diluer quand mon œil est mal disposé. Car la merveille est en fait un émerveillement – mouvement vers, activité, saisie. Elle est étonnement philosophique qui nous place, non pas au sein du monde (comme il arrive dans le sentiment océanique, ou dans les romans de Giono), mais devant lui, non absorbé mais actif. Et perplexe. Car l’émerveillement postule un écart avec la chose vue.

Le chêne que je vois de mon bureau (je l’appelle mon chêne, bien qu’il ne m’appartienne pas), encadré par la fenêtre, provoque souvent mon émerveillement, au point que j’éprouve le besoin de m’en saisir : c’est pourquoi, depuis que j’ai acquis un téléphone qui me le permet, je le photographie dès qu’il me paraît particulièrement beau ou que se produit une variation (oiseau, renard, lumière, nuages, ombre). Première remarque pour ce jour : l’émerveillement, rarement silencieux, veut toujours se dire, comme s’il s’agissait de remplir cet écart que je notais plus haut, ou parce que, animal bavard, nous n’avons que cette manière de réagir à la commotion de l’élan – par un faire-part.

 

 

 

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