Tous les ans, dès la fin du mois d’Août, les médias de tous horizons apprennent à des millions de français concernés (ou consternés ) que la rentrée littéraire est, cette année comme jamais, prête à  nourrir leur imaginaire ou à défaut leurs conversations de salon. Faut-il vraiment que la littérature soit sortie de nos vies, que l’on ait besoin de la faire rentrer au forceps, dans nos champs de préoccupations ?

Très chers et talentueux Amélie No, Marie Da, Jean Ro  et quelques autres, vous qu’une extrême  générosité pousse à assumer ce rôle de vestale  êtes vous bien sûrs qu’après la rentrée scolaire, la rentrée syndicale, la rentrée politique; la rentrée littéraire puisse nous élever à un niveau de communion spirituelle partagée par tous ceux qui auraient au moins 20 €  à glisser dans la sébile des éditeurs ?

Certains se demandent avec angoisse comment des lecteurs, certes de bonne volonté, pourraient trouver leur chemin à travers tant de pépites et de médiocrités amalgamées ? Mais la question se pose d’abord au niveau des professionnels de l’information comment font-ils ?  De mauvais plaisants comme le regretté Philippe Auber avaient émis un point de vue décapant sur la question. Philippe tenait à propos du cinéma des propos qui auraient sans la moindre difficulté s’appliquer à la littérature : «  les journalistes ne doivent pas voir les films dont ils vont parler, sinon, ils risqueraient de se laisser influencer »

Est-ce à dire qu’au sein des médias ils faudrait établir une hiérarchie entre ceux qui sont carrément achetés, ceux qui pourraient se laisser influencer et ceux qui seraient aussi libres que le blog de « Mardi ça fait désordre,  le Matricule des anges, La Quinzaine littéraire, Médiapart ,Remue.net,etc, etc, etc, etc ?

Même si une plus moins grande compromission des organes de presse n’est pas exclure d’emblée, notre réponse est résolument négative. Il me semble, que dans un système dominé par la vitesse, la précarité des journalistes, le triomphe débilitant du hit parade, la loi du profit immédiat, personne ne peut sans outrecuidance s’affirmer libre. Ainsi, un blog qui n’a aucun impératif commercial, qui n’a à rendre des comptes à personne d’autre que ses éventuels lecteurs, est naturellement pris dans la  tourmente d’une course effrénée où la prime glorieuse du suivisme est attribuée le plus souvent  et logiquement à tous ceux qui se soumettent sans rechigner à l’entreprise généralisée de décervelage en cours. L’imprégnation idéologique n’épargne en rien les secteurs non marchands. Aucune  action humaine n’est « naturellement » à l’abri  des courants dominants.

Est-il possible de résister de lutter et faire reculer cette pollution de l’esprit qui nous ronge les neurones ? Oui bien sûr, mais cela ne va pas de soi. Je prétends que tout individu ayant à produire un papier, est tenté de bidonner, enfin de faire une lecture synthétique de l’ouvrage dont il rend compte, c’est à dire une lecture qui refuse de prendre en compte la spécificité d’une écriture, de plonger dans un univers et un imaginaire autre. Autrement  dit, de faire un travail aussi éloigné de la critique  que la soupe à l’eau de vaisselle l’est de la bonne cuisine. ll ne s’agit pas de stigmatiser ceux et celles qui  subissent l’aliénation générale, mais plutôt d’encourager toute personne ou tout groupe soucieux de ralentir le pas, de respirer l’odeur d’un livre, de plonger dans son mystère, de partager la violence , l’amour, la misère d’une œuvre sans jamais oublier la beauté de sa langue. Lecteurs réapprenant à lire à chaque livre, éditeurs inventant votre métier, réagissez, vomissez nous ou encouragez nous. Sachez que sans vous, sans votre exigence, nous sommes vulnérables, faillibles. Avec vous , nous pouvons de nos manques tirer la plus grande force, nous pouvons avancer aussi lentement que chaque œuvre le mérite. Merci de nous aider à ne pas être des esclaves, merci de nous aider à ne pas parler des livres que nous n’avons pas lus. La liberté n’est jamais donnée.

François Bernheim

 

 

 

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