Du 25 juillet au 22 aout 2013 à la ferme de Brunas  sur la commune de Creissels, le festival  créé par Claire Seban-Haguenauer et Serge Haguenauer, à la tête d’une équipe de militants du Larzac,  rassemble des travaux d’artistes. Photographie, architecture, cinéma, musique, théâtre, ciné concert, débats, témoignent des  luttes sociales, politiques, économiques, écologiques. Pour sa troisième édition le festival avait mis en avant le thème de l’utopie. Utopies de la Renaissance, de la Révolution française, utopies sociales du XIXe siècle, techno-sciences et homme/machine, utopies culturelles, politiques, paysannes, éducatives, utopies de l’internet, de la non-violence, les solidarités internationales, décroissance et transition. Dimanche 19 Aout le festival avait le bonheur d’accueillir Ariane Mnouchkine. Elle a le plus simplement du monde répondu aux questions d’un public talentueux.

Extraits

Un lien fort avec le plateau du Larzac

La lutte a duré 10 ans et notre rencontre avec le Larzac a été très brève, mais très intense. Marisette Tarlier rappelait  qu’en 1973 au moment de la marche sur Paris, les enfants étaient arrivés plus tôt, car cela ne se passait pas très bien avec les forces du désordre. Alors je me suis souvenue de très précise de notre excitation quand on nous a dit que nous étions chargés de protéger les enfants du Larzac. Tout d’un coup on était tous Robin des bois On était avec eux, avec admiration, tendresse, espoir, pendant que les parents allaient braver le danger sur les barricades. On voyait vraiment la poésie qu’il y avait dans cette lutte, ça été une rencontre fulgurante, presque amoureuse. Je me rappelle la vivacité, tout le côté dru, vivant, exemplaire. Eux ils ont continué et nous aussi , sans plus se voir mais en s’aidant à distance. Les uns et les autres on a eu beaucoup de constance, on n’a pas lâché, il faut continuer à dire à nos enfants « c’est toi qui va construire le monde » , on ne leur dit pas assez, alors que  c’est essentiel . Dire que le monde est fini et est la pire des erreurs. Votre festival qui a pris pour thème l’utopie est porteur d’un projet que l’on ne doit jamais laisser désenchanter. Sinon on  casse l’élan de nos petits enfants ….La résistance du Larzac montre que rien n’est impossible. Il y a eu mobilisation, un  travail soutenu, des luttes que nous célébrons tout le temps et en particulier ce soir. On attend de la gauche, qu’elle remette l’art au cœur de l’école. Les 5 dernières années avec Sarkozy ont été très dures, on espère encore, cela fait partie de l’utopie. Espérons et veillons, poussons.

 Oui l’utopie du Larzac et celle du Théâtre du Soleil nous aident à vivre, ce sont des ilots de résistance qui ne faiblissent pas. L’utopie a à voir avec la  persuasion, l’utopie ne peut se réaliser par la force. L’utopie même à une petite échelle comme le Larzac peut être immense. Il y a certes des utopies assassines mais elles n’avancent pas la persuasion mais par l’intoxication.

 Des conseils pour la longévité des collectifs

 «  Diriger une troupe, c’est savoir consoler rapidement ses chagrins »

 Peut être ai-je dit cela un jour où j’ai subi un chagrin. Dans toute expérience collective, il  faut savoir passer à autre chose , autrement on est ,sans y prendre garde,  dans la lutte, la querelle. Il faut savoir subir une déception, prendre un verre d’eau, soupirer, aller crier dans un coin « je le déteste » puis revenir et dire  bon alors on répète. C’est difficile de supporter les chocs humains, justement parce qu’il y a de l’affection, de la passion. Avec des gens qui ont un ego dont ils ont besoin en partie, (ils n’ont peut être pas besoin de tout…),  parce qu’autrement ils n’arriveraient pas à faire ce qu’ils font , il y a des heurts, des regards des choses qui sont dites qui sont blessantes et qui peuvent devenir,si ce n’est pas traité, de vrais obstacles  dans la marche commune. C’est vrai qu’il faut savoir se consoler, résister, parfois ne pas accepter. D’ailleurs quand  quelque chose peut devenir dangereux, il faut l’affronter en face et puis il y a des situations qu’il faut laisser traiter par d’autres personnes… des  gens plus gentils qui savent adoucir. C’est ceux là qu’il faut envoyer en première ligne parce que ce sont des gens précieux. Par contre il faut savoir affronter les plus durs jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’ils peuvent être dangereux. Ils doivent alors juguler leur orgueil. En cinquante ans on a été très chanceux, il y très peu de gens qui  nous ont vraiment fait du mal.

  La communauté est un des fondements de l’utopie. Il y a rarement de l’utopie sans fondement collectif.

Il a un proverbe indien ou chinois qui dit : « si tu veux éliminer l’affect il te faut faire des œuvres » C’est absolument souverain. Ce pourrait être le fondement. La raison d’être de la collectivité c’est de faire une œuvre et ça devrait être le fondement de notre paix sociale : avoir ensemble le sentiment de faire des œuvres. L’utopie est un projet pour arriver à vivre mieux ensemble, avec moins de violence, moins d’égoïsme, moins de vol. Faire du théâtre, cela nous fait du bien.  Je considère que j’ai beaucoup de chance de ne pas avoir à négocier avec un pouvoir  destructeur.

 L’aboutissement du théâtre serait de faire intervenir le public de sorte que chaque soir la pièce soit différente ?

C’est la question. Un jour, j’ai cru que j’avais franchi cette limite . Cela se passait à St Etienne. A la fin d’un spectacle, il y avait une telle ferveur que j’en ai été bouleversée. Cela se passait dans un espace bi-frontal. Le public était très proche, moi aussi j’étais très proche du public, j’avais une telle joie, un tel amour, je ne sais pas ce qui m’a pris, je vois un jeune homme et je lui dit :viens .Il devait mentalement  ne pas être pas tout à fait clair, mais Il avait tellement envie d’être avec nous. A ma demande, il a enjambé un portant en bois et il est tombé. C’est un peu la réponse à votre question. Avec 1789, notre premier spectacle, le public participait beaucoup, il était au milieu, il avait envie de danser la farandole. Il y a un moment où faire participer le public à un spectacle qui forcément a une forme est dangereux, parce que le théâtre est un métier et l’oublier, c’est  faire prendre le risque au public d’être lancé tout cru dans l’arène  sans respecter son intimité. Je ne sais pas si on a le droit de le faire. Quand j’ai fait ce geste totalement inconsidéré, je me suis laissée emballer et j’ai fait tomber ce jeune homme. J’ai transgressé quelque chose. Ma réponse est celle là, c’est uniquement la mienne. Je ne dis pas que les gens n’en sont pas capables, par exemple  Il y a des moments où dans la rue, le public a ce qu’il faut pour jouer. Un théâtre, est fait pour autre chose, il y a de la contemplation, de la méditation sur ce que l’on voit. Le public se parle en voyant le spectacle. Moi, pour l’instant cette participation là me suffit, je la trouve énorme.

 

 L’année prochaine le théâtre du Soleil fêtera ses 50 ans

Il faut l’avouer, cela a passé vite. Je suis fière. C’est très rare une troupe qui passe ses 50 ans Si je n’étais pas modeste je vous dirais, c’est unique. Je vais tout faire pour que le théâtre du Soleil puisse continuer.

 

 Je travaille dans un centre culturel à Marseille situé dans un quartier des plus difficiles. Les autres animateurs ont renoncé. Alors que ce que l’on peut apprendre avec le spectacle, c’est à faire un pas de côté, à imaginer. Ce que l’on cherche à élaborer dans notre petite équipe, c’est une culture citoyenne, que les gens aient envie de transformer leur vie après avoir vu un spectacle qui donne à réfléchir à rêver…

 

 Vous avez presque tout dit. Je n’ai donc pas grand chose à ajouter… Je trouve qu’il y a un mot bien trop méprisé par les laïcs : la compassion.  Quelqu’un m’a dit un jour qu’il ne peut y avoir de compassion sans imagination, je trouve que c’est très beau. l’art est fait pour muscler l’imagination. Sans imagination on a des terres de pierre,  des terres barbares, parce que l’on n’imagine pas l’autre. Il faut la connaissance de la souffrance de l’autre, ça sert  à ça l’art, le théâtre, ça sert à être plus humain, grâce à l’imagination. Je crains que l’on  soit en train de fabriquer des êtres humains sans imagination, avec des yeux qui ne voient pas, des oreilles qui n’entendent pas, des cœurs qui ne sentent pas. Eluard avait écrit que la structure de l’âme avait changé. Prenons garde, cela peut être vrai. Il y a une telle atonie d’imagination notamment dans la relation avec l’autre que l’on pourrait entrer dans un cercle barbare (c’est méchant barbare mais …) …d’où l’utilité du théâtre pour accepter l’autre. Le théâtre c’est l’art de l’autre.

 

 Avez-vous de l’admiration pour d’autres démarches théâtrales ?

 

Beaucoup de plaisirs, de troupes, de travaux collectifs menés par des jeunes. Le seul problème, c’est qu’on ne leur donne pas le choix, au bout d’un moment ils se disent : il faut que j’ai un centre dramatique, il faut que j’aie un théâtre national, il faut…. Et ils vont se retrouver coincés, ils vont passer les trois quarts de leur temps à discuter avec les syndicats, à rechercher des financements, ils n’ont pas besoin de tous ces moyens là. Certains  vont être écrasés parce ce n’est pas cela qu’ils veulent faire. Nous, nous avons eu beaucoup de chance, dans les années 70, il y avait de la place, on ne nous disait pas vous êtes en trop, ce que l’on dit maintenant à tous les jeunes et après quand ils ont tenu bon pendant 3 ou 4 ans, on leur promet plein d’argent, moins pour la création que pour les dépenses d’entretien . Là il y a quelque chose dans le système qui n’est pas bon. Il faudrait qu’il y ait un peu plus de souplesse, de l’aide oui, pourquoi pas plus modeste, pour des gens qui ont envie de travailler un peu plus comme nous. Sinon, il y a plein de gens que j’admire,  comme Jean Bellorini. Il y a depuis 10ans un festival « « Premiers pas » pour les gens qui ont déjà fait 1, 2 ou 3 spectacles. Là il y a des individus, dont Jean, qui me semblent tout à fait intéressants. Déjà lui il commence à vouloir un centre parce qu’autrement il sent qu’il n’aura pas les moyens de travailler.

 

Travailler avec des comédiens amateurs et avec des professionnels ?

Quand on a commencé, on était amateur et on l’est resté pendant 2 ou 3 ans.  Les amateurs si se sont des gens doués, ils se différencient par le fait qu’ils ne sont pas payés et qu’ils travaillent moins, qu’ils répètent moins parce qu’il faut qu’ils gagnent leur vie à côté. Il peut y avoir des choses absolument magnifiques dans le théâtre  amateur. Il y en a dans d’autres pays. En Grande Bretagne, il y a un théâtre amateur qui est formidable, parce que il est pris plus au sérieux. Chez nous il y a des troupes universitaires qui  ne sont pas soutenues, elles peuvent révéler des vocations ou  et c’est aussi important, en décourager. Ce serait formidable que des jeunes puissent voir clair dans leur vocation en passant par le théâtre amateur. Beaucoup de gens pourraient alors comprendre que l’on peut servir le théâtre autrement qu’en étant un mauvais comédien toute sa vie. Si je travaillais avec des amateurs j’essaierais d’obtenir un résultat  aussi proche que possible de ce que j’obtiens avec des professionnels. Il faudrait que je trouve la nourriture imaginative pour qu’ils arrivent à retrouver des émotions fortes. Il y a de bons amateurs et aussi de mauvais, comme il y a de bons et mauvais professionnels. Il y a des gens qui ne devraient même pas faire du théâtre, mais pourquoi pas du dessin, du chant, de la guitare…

Des difficultés pour faire travailler des comédiens professionnels ? oui bien sûr j’en ai eu. Il y a des fois où l’on n ‘y arrive pas, on se tape la tête contre les murs et c’est autant ma faute que celle du comédien. Quand je sais qu’il a ou qu’elle a  du talent … c’est quoi d’ailleurs  un talent ? C’est la crédulité, de l’imagination. Mais alors je cherche ce qui le bloque, quelle mauvaise indication ai-je pu donner, alors je dis : je retire, je retire ma proposition. J’ai cru donner une indication très intelligente et j’ai provoqué une catastrophe. Il y a des moments de grâce et on ne sait pas pourquoi quelqu’un qui avait la grâce dans un spectacle peine dans le spectacle suivant. Le comédien est quelqu’un qui cherche qui doit découvrir.Qui est Argon, qui est Clytemnestre ? Quelle est sa douleur. Les comédiens et le metteur en scène sont ensemble sur un plateau. C’est un voyage où le metteur en scène est planqué… ce n’est peut être pas le bon mot… enfin il y a des moments où je suis planquée, d’autres pas, pendant les répétitions. Moi avec ma petite lanterne je dis viens par ici parce qu’Eschyle veut dire ça…. Tu as raison, tu as raison. C’est ça le travail. Qu’est-ce que vous savez de Clytemnestre, moi je ne sais rien. Je sais qu’elle n’a pas aimé qu’on lui tue sa fille, ça je le sais et c’est par là que je peux la comprendre. Médée, ce n’est pas quelqu’un que je comprends, un jour   j’ai vu la mise en scène de Deborah Warner   et là j’ai compris que ces 2 femmes la comédienne  et le metteur en scène avaient compris la solitude, l’exil,  la violence des hommes, tout d’un coup j’ai compris ce qui avait motivé un tel acte, c’est ça la mise en scène, le travail avec les acteurs. Ensemble on descend dans le puit sans fond des âmes des auteurs,  On va essayer de le concrétiser par des improvisations. Si un amateur est doué, s’il joue, il peut être plus maladroit qu’un autre , ça n’aura aucune importance, si l’essentiel est là : la  vérité et une mise en forme adéquate.

 Le travail avec les sans papiers ?

 Ça été tous les soirs pendant un mois et puis ils sont revenus nous voir, ce fut énorme, formidable, mais dans ces cas là, il ne faut pas d’idéologie, mais du concret. Dans la troupe il y a ceux qui assument, ceux qui aident vraiment, ceux que ça déstabilise et qu’il faut laisser un peu tranquille, le public impavide qui fait la queue en regardant les sans papiers faire leur musique qu’ils ratent… ça se passe très bien, il y a les sans papiers qui certains soirs sont sympathiques, gentils, d’autres soirs, où ils sont morts d’angoisse parce que l’un d’eux s’est fait attraper  et puis il y a  les sempiternelles luttes concernant la façon dont les femmes sont traitées et ça moi au bout de 2 ou 3 jours je commençais à en avoir marre. Alors il y a eu des discussions, c’est leur culture, peut être mais ce n’est pas la mienne. De s’exprimer franchement, ça marche, les femmes reprennent un peu du poil de la bête. Je ne suis pas politiquement correcte, il y a des sujets que je ne négocie pas et celui là en est un. On a eu de longues conversations, il y a eu beaucoup de rires. Mais quand même il faut du concret. Ils fallait qu’ils sortent à un moment je me suis retrouvée dans une situation paradoxale, j’ai du dire « assez » et j’ai été obligée d’admettre que je faisais était identique à ce que faisait le gouvernement, c’était très difficile de limiter le nombre de ceux que l’on pouvait accueillir. On m’a traité de salope. A partir de cette aventure, de cette occupation acceptée on a fait un spectacle. C’était passionnant.

 Comment passer de l’idée au spectacle ?

On ne part pas d’une idée mais d’une sorte de choc. Ça serait mentir de dire : je pense qu’il faut que nous parlions de ça, il faut que monte ça. Un spectacle cela va être une création collective de bout en bout. Là effectivement il faut se poser des questions sur les étapes. En fait on démarre avec un plateau de répétition vide. On sait que l’on a amassé des trésors par le spectacle précédent, il y a ma proposition, les comédiens se mettent en jambe. A leur tour ils font des propositions et c’est parti. Ça c’est dans la plus part des cas, pas toujours. C’est un grand saut. Imaginez deux trapézistes qui se lancent dans le vide. Il y a un moment comme ça. Il faut se mettre à jouer, il ne faut pas parler, blablater, il faut donner un sens,  donner sa place au plaisir du jeu. Je dois trouver des  phrases qui leur donnent envie d’ y aller. Si mes propositions ne leur donnent pas envie d’y aller, ça se sent. Il faut écouter, il faut recevoir. Il n’est pas question de rapport de force. Il n’est pas question de refuser une idée avant de l’avoir vue. Même si c’est encore confus, on ne dit jamais non, jamais. On apprend aussi avec les échecs, les gens apprennent à ne plus faire de propositions qui ne tiennent pas, mais il faut les faire. Ça se règle sur le plateau avec les corps, les voix des comédiens. C’est un champ de bataille, il faut y aller. Les comédiens ce sont des combattants, ils se prennent tout dans la figure pour pouvoir ensuite se transformer.

 

 

 

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