Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn – Editions Albin Michel —–

 

J’avoue, sans la moindre honte, avoir lu une quarantaine de pages, et survolé les 350 pages restantes du premier roman écrit par Ben Foutain avant d’écrire un premier papier s’appuyant également sur une synthèse des articles brillants écrits par des critiques reconnus. Et puis j’ai déchiré ce pseudo papier et je me suis mis à lire ce livre dans son intégralité. J’en suis sorti sidéré et heureux. Ce roman est une sorte de bombe d’énergie assez dangereuse pour  nous remettre sous tension.

L’adversaire n’est pas n’importe qui.

Après l’humiliation subie par l’Amérique le 11 Septembre 2001, Georges ,W Bush lance « l’opération Iraqi freedom ». Il s’agit d’une « attaque  préventive » contre un état voyou, partie prenante de « l’axe du mal »

Le chef de guerre valeureux ne dispose pas seulement de toute la puissance financière et armée du premier pays de l’axe du bien et de ses alliés, mais il a également enrôlé derrière sa bannière toute la science du marketing et du « story telling » des médias audiovisuels et écrits. L’objectif étant de transformer cette guerre en une épopée spectaculaire et ludique à laquelle  personne n’aurait l’audace de résister.

Mais comment se battre contre les plus forts ?

D’abord en les écoutant et en comprenant leurs motivations. Il est vital que le peuple américain soutienne l’opération engagée. Alors Ben Foutain, tel Ulysse le rusé, se met  au service des forces du bien. Il invente l’exploit inouï de bravoure de la compagnie des Bravo dont fait partie le soldat de 19ans, Billy Lynn, opportunément filmé par Fox News. Ces valeureux vont devenir les héros dont le pays a besoin. C’est eux qui vont raconter la tournée de la victoire et son apothéose sportive délirante. A qui BF donne t-il la parole ?  A des américains brut de fonderie qui pensent  avec « leurs couilles »  et réagissent plus avec une émotivité à fleur de peau qu’avec un cerveau structuré d’intellectuel breveté. Ils participent à toutes les fêtes, les shows en buvant, fumant et baisant. L’intelligence populaire face au rythme effréné des caméras et de l’industrie du divertissement  prend le temps nécessaire pour vivre l’aventure sans pour autant oublier qu’elle n’est qu’une parenthèse. La lenteur quasi paysanne de ces gens, leur manque d’esprit critique  formaté devient alors une arme redoutable qui remet en cause un système où il ne s’agit pas seulement de soutenir l’effort de guerre, mais de faire disparaître ce fléau, dans sa sinistre et meurtrière réalité. Billy Lynn, après ce merveilleux interlude promotionnel est assez primaire ou innocent pour dire l’indicible. Il a eu peur, il a souffert et il encore peur de repartir faire la guerre. « …et le chagrin le frappe avec une telle violence que ses genoux fléchissent. Sa main s’appuie contre le mur et il lui faut se rappeler que rien ne prouve qu’il va mourir en Irak » Il retournera à la guerre parce qu’il s’est engagé à le faire et qu’il ne veut pas trahir ses copains. Il le fera aussi, parce que le système  mène, en dehors des champs de bataille, une guerre contre le peuple visant tout simplement à empêcher chacun d’être acteur de sa propre vie. La vie virtuelle promise à chacun d’entre nous pourrait s’avérer pire que la guerre. La seule issue promise est celle de subir en oubliant que l’on subit.

Pseudo réalité contre fiction

Le «  story telling » il ne faut pas l’oublier n’est pas l’art de raconter des histoires mais  avant tout celui de les vendre en faisant croire à ceux qui les mastiquent que ces constructions hypothétiques sont la réalité. Ben Fountain avec ce premier roman a construit une machine de guerre fictionnelle d’une force incroyable. Le parti pris éthique de l’auteur, sa foi en une humanité respectable, la lenteur exemplaire de son développement, sans oublier son humour et surtout son  talent sont au service de la fiction ; art de réinventer le monde en l’écrivant , c’est à dire en n’obéissant qu’à sa propre nécessité de créateur. C’est grâce à la fiction et aux risques narratifs qu’il prend, qu’il nous réhabilite comme lecteurs/ acteurs. Ses mots qui imposent leur rythme aux caméras  de la télé- réalité démontrent leur imposture speedée. J’avoue que ce n’est par obligation morale que j’ai fini par lire ce roman en son entier. Je crois tout simplement que la machine de guerre mise en place a fini insidieusement par me titiller assez fort les neurones pour que j’y retourne.

Catch 22 hilarant ou chant funèbre ?

 C’est accorder peu de crédit à Ben Fountain  que d’assimiler son travail à une gigantesque farce. La réalité qu’il appréhende n’est pas loin d’être sa propre caricature mais ce que l’auteur décrit à partir du ressenti de son héros Billy Lynn, ressemble plus à un chant funèbre qu’à une partie de gaudriole. Les gens simples savent pleurer. Cette capacité à désigner le malheur pour ce qu’il est, constitue aussi une arme pour en sortir.

Les obus( abus ) de la guerre sont assez puissants pour faire éclater les corps. Vouloir en plus que l’on s’éclate la tête dans le  divertissement permanent constitue une autre façon de nous tuer. Cette mise à genoux de l’humain n’est en rien une fatalité. C’est, je le crois, ce que nous rappelle opportunément cet audacieux  romancier.

François Bernheim

 

 

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