photo Arielle bernheim

 

 

 

 

 

 

 

 

Après Claire Seban, Serge Haguenauer, Nicolas Roméas, Philippe Dauchez, Sylvie Crossman, voici le portrait du réalisateur Tony Gatlif . Notre série « On dirait qu’ils sont vivants » continue.Les personnes que nous rencontrons, ont  chacune un parcours de vie qui  leur appartient. Elles ont cependant en commun une exigence qui fait qu’en permanence leur éthique interroge leurs actes.

Quand il dit, nous étions pauvres, dénués de tout, rejetés par tous, il ne dit rien  d’autre que ce qu’il dit. Il ne s’apitoie ni sur lui, ni sur les siens. Quand on aime la vie, on dit non à tout ce qui l’abime, oui à tout ce qui peut la faire chanter, danser fut-ce au bord du gouffre.

Tony Gatlif est né en 1948 dans un bidonville de la banlieue d’Alger. Son père est Kabyle, sa mère gitane. A l’époque, il y avait 5 enfants à la maison. Au mépris des riches, ils répondent par un égal mépris. Les pauvres ont forcément raison ( Zola).

Tony comme ses frères et soeur ont eu l’amour d’une mère. Elle s’occupe de tout et les soigne avec des herbes. Il va pour la première fois chez le médecin à l’âge de 10 ans. Sa mère est forte, courageuse, capable de se battre avec un de ses oncles pour les défendre. Son père et sa mère leur font confiance. Ils peuvent partir une journée voire plus, sans que cela pose problème. Ils sont libres, parce la seule chose à faire est de vivre sans se poser de questions. Chez eux, on ne fermait pas la porte. Il n’y avait rien, donc rien à voler. Plus tard, en maison de correction, Tony est celui qui ne ferme ni les portes, ni ne tire la chasse d’eau.

Son père est un fêtard. Il rentrait mais on ne sait pas quand. La famille l’attendait pendant des heures sur le pas de la porte. Dans la nuit noire ils apercevaient le phare zigzaguant  de la moto, leur mère disait aux enfants d’aller se coucher.

Rester assis plus de 10 mn  à l’école, était insupportable. Tony n’aime pas le marabout qui apprend à lire et écrire. Il les tapait. Quand un instituteur arrive avec les militaires français. Ils construisent l’école en 24h. L’instituteur et le marabout sont des emmerdeurs. Le premier apprend des choses inutiles comme la morale à travers les Fables de la Fontaine. Les enfants n’y comprennent  rien, ce discours n’a rien à voir avec leur vie. Par contre quand le père racontait que pour épater ses copains, un enfant était allé planter un pieu sur une  tombe  et que la maladresse et le froid aidant , le pieu était passé à travers son manteau, rivant l’enfant au sol, Tony et les autres comprenaient  très bien ce que cela voulait dire, d’autant que l’audacieux avait été retrouvé mort  le lendemain.

Un jour, l’instituteur  passionné de cinéma arrive avec un projecteur 16mm. Les enfants ne savent pas ce que c’est. Ils aiment le cirque et croient qu’ils vont assister à un numéro. Il projette Jeux interdits et dès le générique ce fut magique. Et quand ils voient le train entrer en gare, ils se lèvent tous de peur d’être écrasés. C’est ainsi qu’ils apprennent l’histoire, la géographie et le reste à travers des cinéastes engagés, Victorio de Sica, Jean Vigo, Louis Daquin,  Charlie Chaplin, John Ford.

A Paris dans les années 60, alors qu’il a été placé dans un foyer de rééducation, Tony voit une affiche avec Michel Simon, l’acteur préféré de son père, assailli par des indiens. Il joue dans une pièce de René de Obaldia «  Du vent dans les branches de Sassafras »  au Théâtre Grammont. Il pense  qu’il s’agit d’un film car il ignore l’existence du  théâtre. Il est ahuri de voir Michel Simon en chair et en os sur scène. Il décide de lui rendre visite dans sa  loge. Là, il croise  des vieux acteurs vus à la télévision. Il dit à Michel Simon qu’il est prêt à faire l’indien. Ce n’est pas possible. Le comédien lui écrit une lettre de recommandation pour son imprésario. Mais pour avoir une chance devenir acteur il faut avoir des photos. L’imprésario retrouvera Tony en train de poser, un couteau planté dans le cœur… Le garçon est bricoleur et très motivé. Il intégrera très vite un cours d’art dramatique. Cinq ans plus tard, il est sur la scène du TNP .Il joue dans une pièce d’Edward Bond. Un autre débutant l’accompagne : Gérard Depardieu. Il écrit alors son 1er scénario « La rage au poing »  inspiré de son expérience des maisons de correction.

Il affirme que les individus qu’il a rencontrés  l’ont sauvé. Comme s’il savait que rester debout tient du miracle. Ainsi Michel Simon qui lui a ouvert la route du possible. Roger Blin dont il contestait la direction d’acteur. Tous les soirs après avoir joué, Tony le raccompagnait chez lui. Blin ne lui en voulait nullement de s’opposer à lui . Ces déambulations quotidiennes leur permettent de voyager d’un auteur à l’autre  C’est ainsi que Samuel Beckett, Antonin Artaud ont accompagné Tony  dans le monde de la culture. Le jeune homme sait qu’Artaud est son frère en poésie. Il n’est pas fou, si on l’enferme c’est parce qu’il dérange, lui qui fut  assez visionnaire pour aller chercher l’origine de la transe chez les Indiens Tupamaros. Autour d’Artaud, des surréalistes, Dullin , Jean Louis Barrault, Terzieff. Blin parle aussi de ses expériences cinématographiques, notamment avec Abel Gance. Gatlif est loin de porter aux nues sa prestation d’acteur. Il veut faire des films. Il réalise plusieurs courts et longs métrages à partir de 1975.

En 1983, il obtiendra un succès avec Les Princes. Pour la première fois, il revendique sa condition gitane, son regard est  lucide et poétique. Mais son producteur n’a plus d’argent et le montage du film ne peut être finalisé. On lui recommande d’aller voir Gérard Lebovici, le fondateur d’Artmédia. Jamais de la vie, on ne fait pas de compromis avec le commerce.. Mais acculé, Gatlif acceptera tout de même de le rencontrer. Ce qu’il  ne sait pas c’est que l’homme est aussi l’ami de Guy Debord, l’éditeur des situationnistes et des révolutionnaires anarchistes. Lebovici voit le film. Il est subjugué. Il est prêt à tout pour qu’il puisse sortir. Il le montre à Guy Debord qui rédigera lui-même les slogans publicitaires : les princes ne vont pas à l’école, les princes n’habitent pas les HLM, les princes ne votent pas socialiste. Sauf la dernière, ces propositions plaisent beaucoup à Tony.Chez son nouveau producteur, Gatlif est désormais chez lui. Lebovici le présentera à tous ses amis et relations. Grand admirateur de Mesrine il voudrait que son protégé fasse un film sur son aventure. Gatlif refuse, car Mesrine contrairement à Andréas Baader n’a pas de projet politique, c’est un assassin.

Le 5 mars 1984, dans un parking, Lebovici est abattu à bout portant par un inconnu. L’affaire pourrait bien avoir été classée sans suite. Gérard Lebovici a été le premier à comprendre que la puissance poétique de Tony est aussi celle de son peuple. Un peuple assez fier pour ne jamais transiger avec sa liberté. La vie c’est la liberté et aucun pouvoir ne fera faire à un gitan ce qu’il ne veut pas faire, comme de retourner en Roumanie alors qu’il veut rester ici. Les gitans ont gardé le sens du collectif. Quand des européens voyagent à deux, eux se déplacent à 40, ils font les choses ensemble. Leur liberté, ils la paient très cher. Depuis 2010, en France comme en Italie, ils sont victimes de pogroms, dont la presse n’a pas parlé.

La musique qu’ils font est la langue d’un peuple qui écrit avec sa chair plus qu’avec l’alphabet. Elle est danse, joie, désespoir, aspiration à l’universel et aussi un moyen de survivre. « La musique est quelque chose de vital. Sans elle, je crois que je serais incapable d’exister, et ce depuis que je suis tout gosse. Sans constituer le moins du monde une religion, elle représente le seul vrai lien entre les morts et les vivants, elle porte la joie, la douleur, la mélancolie et l’amour sur les sommets de l’émotion » Tony Gatlif.

Cette musique qui affirme la vie au paroxysme n’a rien à voir avec la vision folklorique, fasciste, qu’en ont  les dictateurs comme Franco et ses pairs qui entendent s’abriter derrière une tradition soi disant représentative de leur pays. La musique vivante n’a pas de borne, elle est la fête qui va jusqu’à la transe, jusqu’à l’extase qui efface la douleur et qui guérit.

Les tsiganes n’ont rien à voir avec une société qui pousse les individus et les peuples à avoir toujours plus pour finir par les ruiner en les mettant à la rue. Ce que dénoncent aujourd’hui « les indignés » , les tsiganes l’ont refusé depuis toujours. La crise qui fait la une des médias accompagnée des cures d’austérité imposées aux peuples démontre  bien que dire non n’est pas seulement un acte de courage, mais une nécessité vitale. Pour Tony Gatlif, le combat des Indignés de tous les pays, est un combat essentiel.

Il a longuement rencontré Stéphane Hessel, l’auteur du best-seller « Indignez-vous »,  il s’est rendu en Espagne et en Grèce pour filmer le combat des indignés qui ont compris comment le système capitaliste vole les peuples. Quand on demande à un indigné qui est le chef, il répond « c’est moi le chef »  le chef, c’est tout le monde. Ils sont unis dans la merde. Avant d’autres,  ils savent que la guerre est déclarée. Sur place les Indignés refusent la caméra. Gatlif est seulement autorisé à filmer les slogans. L’un d’entre eux le réjouit «  Caméra et démocratie ne vont pas ensemble ». Finalement, il obtient l’autorisation de filmer ce qu’il veut.

Il crée un personnage de jeune africaine sans papiers, sans travail qui porte le regard des pays de l’extrême pauvreté sur la crise des pays riches. Tony capte la colère, la révolte. Il filme le discours d’un professeur et en contrepoint l’Acropole, berceau de la démocratie. Le film «   Indignados » sort le 7 Mars 2012 dans les salles et le documentaire « Indignez vous » en Septembre 2012 sur Arte.

Aujourd’hui, après « Liberté » où pour la première fois le cinéma lève le voile sur les persécutions infligées aux gitans par les nazis et le gouvernement de Vichy, Tony Gatlif poursuit son combat. Avocat d’un peuple de princes, il compose à travers ses films, ses prises de position, ses émotions, une musique qui est celle de la  joie et de la liberté au vif de la vie et de l’universalité. Sa force, sa simplicité, son imaginaire le portent en avant. Notre humanité est menacée. Tony Gatlif ne se contente pas de nous en faire prendre conscience. Il ouvre la route du possible. Merci à lui, à son peuple et aux indignés.

François Bernheim

Les personnes que nous pourrions rencontrer de la part de Tony :

A Sissoko, Patrick Grandperret, Agnès Jaoui.

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