photo Arielle bernheim

Après le portrait  de Claire Seban et Serge Haguenauer, qui inaugurait la série  « on dirait qu’ils sont vivants » Mardi ça fait désordre a rencontre Nicolas Roméas directeur de la revue Cassandre/Horschamp et aujourd’hui Philippe Dauchez, un homme qui a su écouté l’Afrique autant qu’il lui a apporté le meilleur de la culture occidentale.Comme précédemment, il s’agit de dialoguer avec des individus qui expriment une volonté forte de  cohérence entre  leurs actes et leur pensée.


Repères

Première grande étape, sa naissance en 1929. Son père meurt en 1930. A peine né, Philippe est déjà orphelin. Sa mère se refugie avec ses deux enfants chez sa mère à Chartres. Son enfance sera donc encadrée par des « dames ». Si son père avait vécu, il n’aurait pas quitté Paris. Quant sa mère   demande à ses enfants  la permission de se remarier, Philippe a 15ans.

Toute la famille ira donc vivre à Versailles. En 1949, il a 20 ans, il rencontre une jeune fille qui fait ses études de médecine à Alger, il en tombe amoureux.Il a aussi envie de mettre de la distance avec son milieu petit-bourgeois. Il part faire son service militaire en Algérie. A Alger, il fait connaissance des gens du centre d’art  dramatique. Cette rencontre cristallise son intérêt  pour le théâtre.  Ils montent de nombreux spectacles  dont le Partage de midi de Paul Claudel. L’expérience sera pour lui fabuleuse. Il se trouve au coeur d’un melting pot confessionnel dont il apprécie beaucoup la richesse. Après une représentation, un spectateur vient le voir : « si vous venez à Paris, j’aimerais qu’on travaille ensemble ». C’était Albert Camus. Philippe, ne voyait pas très bien qui était Camus et ce qu’il irait faire à Paris. Par ailleurs,  la situation devient de plus tendue entre la France et l’Algérie. Philippe va être rappelé sous les drapeaux, mais il  ne se résout pas à participer à l’entreprise dite de pacification. Il file en douce. En France, sa mère  le met en contact avec un général susceptible de régulariser sa situation. Comble d’ironie, ce dernier lui proposera de travailler dans un service de recherche des déserteurs. Il tiendra 4 mois. Un copain médecin l’aidera à être malade. Il est donc réformé.  Albert Camus monte un spectacle pour le festival d’Angers. Sur les conseils de sa mère,il va le voir. Camus lui dit  « je vous attendais ».

Il a quatre spectacles sur les bras dont Caligula et il demande à Philippe de l’assister. L’aventure démarrée en 1957  va durer  plus de trois ans, avec des comédiens fabuleux. Camus qui vient de recevoir le prix Nobel, veut avec l’argent qu’il a touché, racheter le théâtre de l’Athénée, notamment pour y monter trois versions de Don Juan. Camus qui était fasciné par les femmes  et  à l’époque amoureux de Maria Casarès veut montrer la profondeur  et la complexité du Don Juanisme.

Le 3 Janvier 1960, Philippe écoute  les informations à la radio .Les lettres  Françaises sont en deuil annonce le speaker.

Philippe croit que Sartre est  mort. Hélas, c’était Camus. Après 3 ans de travail en  commun au quotidien, il a l’impression d’avoir perdu un second père. Il ne veut plus faire de théâtre. Il collabore à la conception de films scientifiques pour Lascaux. Ensuite Jean Dasté lui propose de venir animer la maison de la Culture de Saint Etienne. Il y restera 3  ans.Il dirigera ensuite la maison de la culture de Chelles. A brûle pourpoint on lui demande si cela l’intéresserait de partir au Cameroun. Le ministre de la culture veut créer le Théâtre National du Cameroun. Pourquoi pas !

Le ministre ne sait pas quel contenu donner au projet. Philippe à priori non plus. Le ministre lui propose de faire pendant trois mois le tour du pays et ensuite de revenir le voir. Philippe rencontre une dame très sympathique qui le fera assister à une initiation en forêt. L’ambiance est magique, fascinante. Il voit des gens danser et entrer en transe au milieu des flammes. Le grand prêtre lui propose de participer  à d’autres séances. Elles seront toutes aussi passionnantes. Un matin un homme est enterré au fond d’un trou. On allume un feu, on danse toute la nuit. Au matin suivant, le grand prêtre dit : Lazare lève toi. Et l’homme se relève. Il est blessé mais vivant.

Philippe sait maintenant ce qu’il veut faire. Il revoit le ministre et lui propose de monter un théâtre sur la base mystique des mystères du Moyen Age. Le ministre trouve l’idée exceptionnelle. Il lui donne un budget pour mettre en place un centre culturel et procéder  au recrutement de 20 comédiens.

Il y aura 600 candidats. 16 seront engagés. En trois ans et demi, 13 spectacles seront montés conformes à l’idée initiale. Un autochtone sera recruté pour remplacer Philippe. Ce dernier apprend que l’on cherche quelqu’un à Bamako pour remplacer un professeur d’art théâtral malade et donne son accord pour 6 mois, le temps de former des comédiens. Ce choix n’est pas facile pour lui. Il a 3 filles  et gardera la petite dernière avec lui. Il découvre le théâtre Koteba qui aide à la prise de conscience collective des problèmes d’une population en introduisantt  la distance du rire et la capacité de chacun de concourir avec tous à trouver une solution. Treize équipes différentes sont montées pour parcourir le pays en fonction des besoins, des différentes ethnies, et des problèmes qui se posent aux enfants perturbés  et aux adultes. Les associations sont  très  impliquées dans ce travail, dont France–Liberté de Danièle Mitterand. 40 puits ont été creusés dans différents villages. Au bout de 2 ans, on s’aperçoit que 20 sont pollués. De fait l’eau est utilisée, tant pour boire que  pour laver  gens et animaux, sans distinction. Il faudra donc expliquer, donner le mode d’emploi.

Les chefs des différents villages sont demandeurs. 150 représentations seront données. Danièle Mitterand envoie tout de suite l’argent nécessaire à la concrétisation de ce projet. Aujourd’hui 80 spectacles différents tournent. Ils traitent principalement de l’éducation des enfants et des problèmes conjugaux. Les spectacles durent  en général 50 mn et donnent lieu à deux heures de discussion. Les problèmes de santé sont également pris en compte. Le père et le grand père de Philippe étaient médecins. Il aurait du suivre cette voie royale. La pratique théâtrale à fin thérapeutique  de l’hôpital du Point G à Bamako réconcilie sa double vocation. Grâce à cela d’anciens malades peuvent à leur tour  soigner les malades qui y séjournent aujourd’hui.

« Pour les 25 ans consacrés au service du théâtre au Mali, un hommage particulier a été rendu à Philippe Dauchez qui a formé un grand nombre de comédiens. Durant la cérémonie inaugurale du Festival du Théâtre des Réalités, le ministre malien de la Culture, a rendu hommage au septuagénaire qui a pris femme au Mali.
Voici un article publié dans le journal de présentation du Festival en 2003.

Un quart de siècle au service du théâtre au Mali.
S’il existe aujourd’hui un homme à qui l’on doit l’éclosion d’un grand nombre de talents dans le domaine du théâtre, c’est bien « le vieux », Philippe Dauchez. Ce septuagénaire fort sympathique, au dos légèrement courbé par le poids des années, est encore très actif et profondément enthousiaste quant à la promotion d’un théâtre « utile », qui soit un instrument d’éveil au service de la conscience populaire. Philippe est un maître, un grand dont on peut être fier d’être l’élève. Cet homme modeste mérite la reconnaissance des Maliens et du Théâtre en Afrique.

Arrivé à Bamako en 1978, il avait alors 50 ans, il en a aujourd’hui 75. Il aura consacré 24 ans à l’enseignement d’un théâtre « universel » à l’INA de Bamako. Au Mali, Philippe Dauchez a découvert le Kotéba, cette forme théâtre qu’il définit comme un retour aux sources du théâtre, autant par les sujets envisagés que par les contacts qui s’y établissent. Le professeur a alors complètement modifié sa façon d’enseigner. Il aurait pu enseigner les Racine, Corneille et autres, mais il s’est mis à faire un théâtre fondamentalement axé sur l’improvisation, à partir de thèmes précis. Il a monté près de 80 spectacles avec des équipes d’inspirations différentes (Dogon, Bambara, Malinké). »

Les gens qui ont compté pour lui

De sa mère, grande violoncelliste lui est venu le goût pour la musique. Il adore l’opéra. Sa relation à Camus l’a très fortement marqué. Elle fut autant intellectuelle, affective, qu’artistique. Le Problème de Don Juan touchait de très près Camus, il travaillait beaucoup, avait un grand appétit de la vie et dormait très peu. Dans la vie de Philippe les femmes ont eu aussi beaucoup d’importance.

D’abord, sa mère, sa grand-mère, ensuite sa femme qui a été la secrétaire de Jean Vilar. Elles ont ouvert  un autre horizon que celui auquel son père camelot du roi  le prédestinait. Au Cameroun, il a connu une femme exceptionnelle qui lui  a expliqué l’inexplicable force de l’Afrique. Nassira l’a emmené chez elle, lui a fait découvrir le peuple Malinké (ou mandingue) Pour Nassira, les Malinkés sont un peuple de seigneurs, les autres ne sont que  des esclaves… Sur ce point, Philippe n’est pas du tout d’accord avec elle même si leur langue, comme le grec est aussi à l’origine des autres langues d’Afrique de l’ouest, comme le Bambara.

Elle lui a aussi fait découvrir la convivialité africaine.  En tournée par exemple, les comédiens refusent de dormir dans une chambre individuelle. Ils ont besoin de parler et de vivre ensemble jour et nuit. Souvent il se demande ce qu’aurait été sa vie si son père et Camus avaient vécu.

Demain ?

Il a 83 ans. Il va retourner au Mali, revenir, mais n’a plus envie de faire de projets. Il va souvent au théâtre à Paris, en particulier au Théâtre du Nord Ouest qui donne tous les jours trois représentations.

Des gens à rencontrer ?

Sa fille Nathalie Dauchez dont il admire le travail et qui a créé une école du cirque à Paris.

Une réflexion au sujet de « Philippe Dauchez le grand aventurier du théâtre africain »

  1. Bonjour,
    je suis un ami de Philippe Dauchez et j’ai travaillé à Bamako avec lui en 1999 sur un film, « Tierno Bokar, le sage de Bandiagara ». J’aimerais pouvoir le contacter. Pouvez-vous me donner ses coordonnés?
    Je vais à Bamako présenter ce film entre le 3 et le 5 avril, et s’il vit toujours à Bamako, ce serait un grand plaisir de le revoir à cette occasion.
    Merci d’avance,
    Louis Decque

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