La lettre de « Point Afrique »

Formule inhabituelle encore ce mois-ci: nous vous proposons un «spécial Mali au féminin», avec un dossier consacré à trois femmes maliennes œuvrant dans le monde des médias. Cette nouveauté nous a été inspirée par la participation d’une collaboratrice exceptionnelle, Erika Nimis. Photographe et historienne de formation, elle est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de la photographie en Afrique de l’Ouest. Elle écrit régulièrement pour la revue Africultures, dont elle est responsable de la section photo. Et enseigne par ailleurs l’Histoire de l’Afrique à l’Université Laval (Québec) et à l’U.Q.A.M (Montréal) au Canada. Erika Nimis est également cofondatrice de l’association Afriques Nouvelles Images, qui crée une passerelle entre continents africain et américain par le biais d’expositions photographiques et de projections-débats.

Erika Nimis nous invite donc à découvrir les parcours de Fatoumata Diabaté, Dembelé Fanta Diallo et Kadidia Sidibé. Trois portraits pour trois profils très différents, mais qui partagent la passion d’un métier, l’envie de communiquer avec le monde et de le faire évoluer. Trois femmes qui contribuent au quotidien à ouvrir les yeux et l’esprit, pour un numéro très malien… et très féminin!

Femmes et médias au Mali© Erika Nimis

En 2010, les femmes de médias maliennes ont le vent en poupe. A l’écoute de leur société, elles sont déterminées à la faire avancer grâce à tous les moyens de communication disponibles. Dans un environnement toujours plus médiatisé, l’heure est à l’ouverture et la place de la femme dans les médias évolue très vite, devenant même centrale comme l’atteste la nomination récente d’une femme aux fonctions de Ministre de la Communication et des Nouvelles Technologies (avril 2009).

Partons à la rencontre de trois femmes pionnières dans ce mouvement de féminisation des médias au Mali. Elles ont en commun la volonté de transmettre et de sensibiliser les femmes aux questions qui les concernent directement.

Fatoumata Diabaté, la révélation

J’ai croisé Fatoumata Diabaté la veille de son départ pour Ouagadougou, où elle allait couvrir la tournée d’une pièce de théâtre consacrée aux problèmes de la corruption. Photographe professionnelle, Fatoumata travaille et enseigne au C.F.P (Cadre de promotion et de formation pour la photographie), une structure qui a vu le jour dans le quartier Hippodrome de Bamako il y a bientôt douze ans. Bien que très occupée, cette jeune femme au regard volontaire m’a immédiatement accordé un entretien, dans son lieu de prédilection, la chambre noire du C.F.P. Devenue spécialiste du tirage argentique, elle a été d’emblée fascinée par le côté technique dans la photographie, même si elle avoue aimer aussi la prise de vues.

En 2001, découragée par des grèves à répétition dans le lycée où elle étudiait, elle se décide à rejoindre le monde du travail. Sa tante lui parle de la formation Promo-Femme qui initie les jeunes filles aux métiers de l’audiovisuel. C’est ainsi qu’elle se lance dans la photographie. En 2002, elle enchaîne sur une autre formation en intégrant la toute première promotion du C.F.P.

Déjà en 2001, elle sent que ce n’est pas la photographie commerciale qui l’attire, mais qu’elle a «quelque chose d’intérieur à exprimer à travers l’image». Dès lors, la photographie devient sa passion, et sa mère, impressionnée par sa détermination, l’encourage. Par contre, Fatoumata aura à faire face dans un premier temps à la réticence de son père, qui ne considère pas la photographie comme un métier sérieux et digne de sa fille. Mais à force de persévérance et de travail, elle va finir par le convaincre que «la photographie n’est pas une voie de garage, mais bien un moyen d’ascension. Et même si c’est vrai que le métier est considéré d’abord comme masculin, quand on a l’amour, on peut.»

Très rapidement, à la faveur de ses voyages et de diverses résidences artistiques en Europe, elle va devenir l’une des représentantes les plus en vue de la photographie malienne. L’un de ses récents travaux, «La mode au féminin», exposé au C.F.P, dans le cadre des Rencontres de la Photographie de Bamako (cf. Lettre n° 12 de décembre 2007 et n°30 d’octobre 2009, N.d.l.R), présente les tenues vestimentaires des jeunes filles actuelles: parures, robes moulantes, mini-jupes, pantalons plaqués, lunettes… «Tout un arsenal de séduction, parfois extravagant, qui n’a rien à voir avec l’époque de nos grands-mères», souligne Fatoumata. Ce qui lui plaît le plus dans la photographie, c’est de raconter des histoires. Par exemple, son tout premier reportage portait sur la fabrication du savon. «Le matin, je me levais très tôt pour être là avant que les savonnières ne commencent à travailler. C’est tout un processus entre la fabrication et la vente au marché. Le but était de raconter une histoire et c’est ce qui, jusqu’à présent, me motive le plus à prendre la caméra.». Ce qu’elle aime aussi, c’est la formation, essentielle à ses yeux. «J’aime faire passer le message. (…) Photographier, c’est aussi faire voyager les gens sans qu’ils aient à bouger», ajoute-t-elle. En parlant de voyage, elle participe en mars prochain à une grande exposition présentée au Musée de Bretagne à Rennes, «Mali au féminin», qui se veut un hommage multimédia aux femmes maliennes. Rendez-vous est pris!

-> En savoir plus sur l’exposition «Mali au féminin»
www.musee-bretagne.fr
www.mali-feminin.fr

Fanta Diallo Dembélé, la tête, le cœur et la voix

Mme Dembélé Fanta Diallo est la première femme journaliste animatrice de la première radio libre du Mali, Radio Bamakan. Cette radio communautaire et associative a vu le jour en septembre 1991, suite aux événements qui ont conduit à la chute de la dictature militaire et au processus de démocratisation. «Bamakan tire son nom de la ville de Bamako: la voix du Kafo, c’est-à-dire la voix de la cité, et notre cité, c’est Bamako, d’où le nom de Bama-Kan.»

Depuis son entrée en fonction en octobre 1991, Fanta anime chaque jour une émission en langue bamanan destinée aux femmes, «Aw ni Gua» (qui veut dire «Merci d’avoir fait la cuisine pour la famille»). Diplômée de l’Institut National des Arts (I.N.A) en section art dramatique, cette femme est aussi une comédienne aguerrie, qui a connu les planches du théâtre tout autant que les plateaux de tournage. Outre un passage remarqué au Tarmac de la Villette (Paris) en 2001, on a pu l’apprécier dans divers courts-métrages comme «Le combat de Lala» ou «La quête violée (les talibés)» de Fatoumata Coulibaly. Que ce soit à la radio, au cinéma ou à la télé (où elle a joué dans des sketches et des spots publicitaires), Fanta remplit avec le même bonheur sa mission d’artiste de la parole.

Quand elle est recrutée par la radio et obtient le créneau horaire entre midi et 14 heures, «[elle] pense tout de suite aux femmes. C’est l’heure du repas et pour la femme au foyer, cela correspond à une période de repos, avant de reprendre le travail vers 15 heures, pour préparer le repas du soir, donc le moment idéal pour parler aux femmes». Comme la plupart des Maliennes ne comprennent que le bamanan, elle utilisera cette langue pour communiquer avec son auditoire. Et des messages, elle en a plein à faire passer dans son émission qui décline différentes rubriques au fil des jours de la semaine. Le samedi est consacré à la santé, son premier cheval de bataille, car sa priorité est de sensibiliser les femmes à tout ce qui concerne leur santé et celle de l’enfant. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle se tient en permanence informée, suivant régulièrement des ateliers sur le planning familial, l’excision, le paludisme, les M.S.T ou la tuberculose. Le mardi, elle ouvre son antenne aux célébrités de la musique malienne. Elle leur accorde d’ailleurs une très grande place dans son émission, en consacrant le mercredi au classement des dix meilleurs artistes du moment, plébiscités au téléphone par ses fidèles auditrices. Autre temps fort du mercredi quand elle aborde la question du travail, en invitant des femmes exemplaires, qui ont du talent et veulent franchir des barrières. Elle crée ainsi un espace de parole pour toutes les initiatives et les associations qui oeuvrent à la promotion de la femme.

Fanta est également présidente de l’Association des Femmes de la Presse Privée du Mali (A.F.P.P.M). «La presse privée, qu’elle soit parlée ou écrite, ne rencontre pas les mêmes problèmes que la presse d’État. Mes consoeurs de la presse privée ont des parcours très variés et n’ont pas toujours reçu la formation appropriée. Le premier but de l’A.F.P.P.M, créée en 1998, est de s’organiser pour se former davantage, en faisant appel à des partenaires. J’évolue aussi dans deux autres associations : l’A.P.A.C-Mali (Association des Professionnelles Africaines de la Communication du Mali) et le réseau des communicateurs en santé». Et de conclure: «Même si, jusqu’à présent dans la presse malienne, les femmes ne sont pas encore parvenues à égaler les hommes, elles sont très courageuses, elles sont sur le terrain et ont un rôle essentiel à jouer, car elles seules sauront sensibiliser les autres femmes et être leur porte-parole.».

Kadidia Sidibé, le poids des images

Femme de terrain, Kadidia Sidibé a véritablement trouvé sa voie en 2004, en rejoignant le Cinéma Numérique Ambulant (C.N.A – dont Point-Afrique est partenaire, N.d.l.R.) . Cette amoureuse du 7e art n’a pas hésité une seule seconde quand elle a su que le C.N.A cherchait à recruter une animatrice. L’idée de partir en brousse présenter des films africains et de sensibiliser les publics les plus variés l’a d’emblée séduite.

Rappelons que le C.N.A est une association à but non lucratif fondée en 2001, qui s’est développée dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, notamment au Mali, au Niger, au Burkina Faso, au Bénin, et plus récemment au Sénégal. Le C.N.A-Mali comprend trois employés: un chauffeur, un projectionniste et une animatrice, tous polyvalents. C’est une équipe autonome, qui sillonne villes et villages du Mali à bord d’un 4×4 équipé d’un groupe électrogène, de deux lecteurs VHS et DVD, d’enceintes, d’un écran de quatre mètres sur cinq, et bien sûr, d’une valise pleine de films!

Pour mieux comprendre le travail de Kadidia, je décide de la suivre sur le terrain. Ce soir-là, nous partons pour Kati, à une quinzaine de kilomètres de Bamako. L’O.N.G Tagné («aller de l’avant», en bamanan), qui lutte contre la pratique de l’excision, a commandé une série de trois projections sur cette thématique délicate, convaincue que l’image reste le meilleur vecteur pour sensibiliser le public et déclencher la prise de parole.

Accompagnée de ses deux collègues masculins, Kadidia est sur tous les fronts durant la soirée: relations avec les commanditaires, montage et démontage du cinéma ambulant, et surtout animation, elle n’arrête pas une seconde ! Après la projection de divers clips musicaux destinés à appâter le public du quartier, puis d’un film muet du grand Buster Keaton – qui déclenche des crises de fou rire parmi les plus jeunes, Kadidia prend le micro une première fois pour annoncer le programme de la soirée et présenter le film: ce soir, c’est «Nyani» d’Amadou Kassé Théra (2006), qui traite des conséquences graves que peut entraîner l’excision lors d’un accouchement. À l’issue de la projection, suivie par une foule de plus en plus compacte, vient le moment crucial pour Kadidia: lancer la discussion parmi le public. A force d’expérience, elle a trouvé des trucs infaillibles qui font d’elle une spécialiste du débat réussi, même sur les sujets les plus sensibles: «Il faut être diplomate dans la vie, il faut faire comprendre au public que c’est un débat et qu’on est là pour discuter, sans mettre de pression.» Et d’ajouter: «Pour eux, je suis un docteur, et quand je parle, tout le monde croit en moi. Cette dame va nous aider, pensent-ils.» Certains la soutiennent même ouvertement dans son travail: «Kadi, il faut continuer cette lutte, ne te décourage pas, ça prend du temps de changer les mentalités.» Ce qui lui tient le plus à cœur dans son métier très exigeant, du fait qu’elle est constamment sur les routes, et lui donne toute l’énergie nécessaire pour recommencer chaque soir, c’est d’être au contact de divers publics, souvent fort éloignés des réalités de la capitale malienne, et de contribuer ainsi au développement de son pays.

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