Papyra a dix ans, ses pensées sont plus noires que sa peau. Un couteau dans la main, il va  tuer son père pendant son sommeil, libérer sa famille d’un dictateur.

Africain, enrôlé de force, l’homme qu’il veut éliminer  a fait la guerre en Guinée Bissaü . S’il avait refusé de se battre,  les colons portugais massacraient sa famille. Il a donc fait la guerre et n’a raconté à personne les horreurs qu’il a subies. Il réussit à s’enfuir,  s’installe en France,  fonde une famille  et à défaut de pouvoir parler,  dissout son passé dans l’alcool.

A deux mois, le bébé Papyra crie très fort. Trop fort. Son père lui balance d’énormes claques. Il bat aussi sa femme et le reste de la famille. Mais son souffre douleur préféré est Papyra. A quatre ans il lui apprend à ramper. Il n’est jamais trop tôt pour devenir, un homme, un soldat. A six ans Papyra  a appris la haine. A 10 ans , il veut  tuer son paternel (impossible pour lui de dire mon père). A treize ans il a le courage physique de s’opposer à lui, il  l’empêchera de battre sa mère.

Adolescent, son paternel exige qu’il soit toujours le plus fort. Papyra se bat, il  se bat furieusement. Il se bat comme on se noie. Mais personne ne comprend que c’est sa façon à lui de crier au secours. Après une fugue il habite chez une cousine. Ici il se rend compte que ce qu’il vit chez lui, n’est pas tout à fait  normal. Mais il finira tout de même par rentrer. Un jour une voisine  va voir son père pour  se plaindre  des brutalités que le petit monstre a fait subir à son enfant. Une fois la mère de famille partie, l’homme le prend au collet, le plaque contre le mur« C’est bien mon fils tu dois être l’homme en fer»

Papyra joue au foot, il est le moins souvent possible à la maison. Chaque fois qu’il se réveille, il a la nausée, envie d’en finir.

Mais un homme, un vrai ne doit jamais montrer le moindre signe de faiblesse. Un homme n’a peur de rien. Lui, surnommé « cœur de pierre » par ses camarades joue  à la roulette russe.

Au début le méchant petit claquement du barillet suffit à libérer l’adrénaline, et puis le soufflé retombe. Alors il fait monter les enchères. Il place deux balles dans le barillet et à quelques millimètres près, il rate la grande sortie.

Il restera  4 jours dans le coma. Ensuite ? Ensuite il recommencera. Mais cette fois le canon de l’arme sur la jambe, juste pour voir s’il est encore capable de vaincre sa peur. Mais ce petit jeu finira par le lasser. Il pratique alors le trafic de stupéfiants, participe à des règlements de compte plutôt sauvages. La bagarre  le fait « kiffer ». Il fréquente des gens  inscrits au fichier du grand banditisme.  Personne ne doit lui manquer de respect. Il a d’ailleurs une passion pour les armes à feu. Un jour sa mère l’interpelle «  tout de même, mon fils tu n’as tué personne ». Il lui répond sans détour, mais la scène le bouleverse. Il n’a tué personne, mais cela pourrait bien arriver. Il aime secouer les gens avant qu’ils ne se décident à s’acquitter de leurs dettes,  cela fait aussi monter l’adrénaline. Il n’a peur de rien, de rien. Il a participé à beaucoup d’opérations punitives, beaucoup de trafics et ne s’est jamais fait prendre. Sauf une fois et une seule. Cette seule fois sera sa chance.

Il est condamné à trois ans de prison ferme pour trafic de stupéfiants et détention d’armes.

Contrairement à d’autres que la détention fait plonger au fond du trou, lui, l’inaction forcée le met à distance de lui-même. Bientôt il se voit comme s’il était un autre.

Il voit son égo surdimensionné, la violence  qui l’anime. Il pensait mourir à l’âge de 25 ans. A 25 ans précisément il est en prison. Cela le fait réfléchir. Il commence à écrire un roman, un scénario. Il a  dans le cœur une femme qu’il a connu avant de se faire emprisonner. L’alternative lui apparaît clairement, soit il devient un véritable tueur, soit il se fait tuer, soit il crée un foyer avec une  famille. Sa future femme ne cherche pas à le changer. Grâce à elle, à une assistante sociale et à un juge d’application des peines qui  lui octroie  des permissions de sortie au bout de 18 mois, il va se sentir assez fort pour affronter la vie au quotidien. Une fois libre il  écrira sa propre histoire. Cette confrontation avec sa réalité, sera  un  électrochoc.   Contrairement à son père  Il réussit à raconter ce qu’il a vécu.

A travers l’écriture Il  fait sa propre thérapie. Les gens qu’il sollicite pour placer son scénario trouvent qu’il a du talent. Il suit des séminaires d’Ennéagramme pour mieux comprendre son mode de fonctionnement.

Un autre homme vient de naître. Avec beaucoup d’élégance il tient à dire ce qu’il doit aux autres. Aujourd’hui il a une vie à lui, avec une femme, et  deux enfants, il n’hésite pas à les prendre dans ses bras, à leur parler tendrement.  La chape de plomb qu’il y a entre son père  et lui est insupportable. Il finira par lui dire tout se qu’il a dans le cœur, toute sa souffrance. Le père  encaisse douloureusement cette première et sans doute dernière conversation. Il ne voulait pas que cela se passe comme cela, il voulait que son fils devienne quelqu’un. Pour la première fois de sa vie il  le prend  dans ses bras, fond en larmes. Il lui a dit  « excuses moi mon fils »

La haine et les boules au ventre sont parties. Il n’y a pas d’âge pour naître.  Papyra a refusé d’avoir des excuses, d’être une victime. Il a choisi sa vie et aimerait que d’autres  profitent de son expérience.  Aujourd’hui il est proche de l’homme qu’il est devenu. Papyra n’a plus peur de Papyra.

Texte : François Bernheim – Photo : Arielle Bernheim

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