Le taux d’élucidation ne mesure pas l’efficacité de la police

Par Sebastian Roché | Directeur de recherche au CNRS |Source Rue 89

Le gouvernement a fait de la « culture du résultat » son credo. La police serait plus efficace contre la délinquance et cette efficacité serait mesurée par le taux d’élucidationd’une part, et la baisse de la délinquance d’autre part [il y a peu, Brice Hortefeux se félicitait par exemple d’une hausse « historique » de cette statistique, ndlr].

Le problème, c’est :

  • que ce taux d’élucidation n’a jamais été et ne sera jamais une mesure de la performance policière
  • que les évolutions de la délinquance ne sont pas déterminées par l’action de la police, mais par celle des industriels (par exemple la meilleure protection des biens)

Qu’est-ce que le taux d’élucidation ?

Pour comprendre le taux d’élucidation, il faut déjà définir un fait élucidé. Lorsque la police estime avoir suffisamment de charges pour envoyer une personne devant le procureur de la République, on dit que le délit est élucidé -la police « autodétermine » donc son taux d’élucidation.

Le taux d’élucidation est le résultat d’une division entre le nombre de faits élucidés et le nombre de délits connus, essentiellement par les plaintes. Ce chiffre s’accroît, certes, mais parce que le nombre de délits constatés diminue, et non pas parce qu’il y a plus de faits élucidés.

A la lecture de la progression de ce taux, on ne peut donc pas déduire qu’il y a plus d’activité de la police dans la réalité. Ces dernières années, c’est parce qu’il y a eu moins de délits que le taux d’élucidation a augmenté, et non pas parce que le taux d’élucidation a augmenté qu’il y a moins de délits.

L’exemple des vols de voiture et des violences contre les personnes

Comment en être sûr ? Il faut regarder des postes précis, ce qui permet devoir que le nombre absolu de faits élucidés baisse.

Prenons les vols de voitures, un des postes les plus importants de la délinquance : l’activité ou la « production » de la police était de 20 721 faits élucidés en 2002, et il y en a 15 680 en 2008.

Si la police était une entreprise et qu’elle affichait de tels chiffres d’activité (-20%), faisant donc moins avec plus de moyens, dirait-on qu’elle a progressé en efficacité ?

Si le taux d’élucication était une mesure de la performance policière, il faudrait alors se demander comment expliquer que les délits les moins bien élucidés par la police sont ceux dont le nombre diminuent le plus.

Exemple : les vols de voiture sont de moins en moins nombreux depuis 2002 (- 131 000) alors que ces délits sont peu élucidés (taux d’élucidation en 2008 : 11,96%).

Mais les violences contre les personnes (coups et blessures non mortels) sont de plus en plus nombreuses (+ 62 739 sur la même période) alors qu’ils sont bien mieux élucidés (taux d’élucidation en 2008 : 77 %).

Les taux d’élucidation ne sont pas, n’ont jamais été et ne seront jamais des mesures de l’efficacité policière, contrairement à ce qu’en disent les autorités. Ils sont pourtant présentés par ces dernières comme la mesure des résultats obtenus par la police. C’est un contresens que de les utiliser ainsi.

Au mieux, le taux moyen d’élucidation est un « taux de risque » pour le délinquant (une probabilité d’être pris par la police), au pire une valeur qui n’a pas de signification.

Que nous apprend la baisse du nombre de délits ?

Le nombre de délits constatés baisse (légèrement). Est-ce la conséquence des orientations policières spécifiquement françaises ? Impossible. Pourquoi ? On observe une baisse des délits constatés dans tous les pays européens, et ce quelles que soient les politiques mises en place.

S’il y avait une « plus-value » de la politique en France, on devrait faire mieux que les autres pays. Ce n’est pas le cas. En dépit des discours de fermeté et des lois adoptées, la France suit la même tendance que les autres pays européens.

Cela revient à reconnaître une banalité pour les universitaires : la délinquance évolue essentiellement en fonction de facteurs extérieurs aux politiques policières.

Le changement dans les volumes de délinquance contre les biens s’explique essentiellement par le fait que les industriels protègent mieux les produits qu’ils vendent, avec des systèmes d’alarmes, de surveillance, d’immobilisation ou de neutralisation (voitures, téléphones mobiles, cartes de crédit).

Drogue et violences physiques : aussitôt constaté, aussitôt élucidé

Il faut savoir que plus il y a d’infractions liées à la drogue, plus il y a de violences physiques contre les personnes, plus la police paraît… efficace.

Paradoxal ? Une infraction à la législation sur les stupéfiants constatée égale un fait élucidé. Une violence physique est plus souvent élucidée parce que la victime a vu l’auteur (au contraire du vol).

Plus de drogue et plus de violence dans la délinquance font donc mécaniquement monter le taux d’élucidation.

Et oui, si l’on confond le taux d’élucidation avec un taux d’efficacité policière, le pire peut apparaître comme un mieux.

POLICE DE GARDE A VUESerge Portelli ( exrtrait de Ruptures chap 11 )

« Je demande aux policiers non plus de faire de l’ordre public mais d’interpeller. »

« C’est une police d’interpellation, la police n’a pas à conduire une action sociale, la police a à conduire une action de répression pour que les citoyens puissent vivre en toute tranquillité. » (RMC 26 février 2007).

« Je suis un homme républicain, et depuis quatre ans et demi que je suis ministre de l’intérieur, à aucun moment et d’aucune façon, il n’y a jamais eu de bavure. Certains le regrettent » (RTL 22 septembre 2006)

Feue la présomption d’innocence

Il est évidemment indispensable que les policiers arrêtent les personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions et qu’ils les placent en garde à vue, s’il le faut. Mais ils ne doivent pas aller au-delà de la rigueur nécessaire, sinon ils devraient être “sévèrement réprimés”. Qui oserait une telle provocation aujourd’hui ?

1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». L’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme était-il si provocateur ? Si Sieyès, Condorcet, La Fayette, Mounier et Mirabeau devaient se réunir à nouveau aujourd’hui pour actualiser ce texte, qu’écriraient-ils ?

2007 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré publiquement coupable au terme d’un procès équitable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, de le garder à vue ou de le placer en détention provisoire, ses droits devront être scrupuleusement respectés sous peine d’engager la responsabilité personnelle des enquêteurs et des magistrats qui les auraient violés. »

Personne n’a jamais dit clairement que le principe de la présomption d’innocence s’appliquait également à la garde à vue et pas simplement à la détention provisoire. Il est plus que jamais temps de le proclamer haut et fort ! Elle concerne tous les types de contrainte policière ou judiciaire. La loi dit que la détention provisoire est l’exception et la liberté la règle, il serait bon qu’un jour elle le dise rapidement à propos de la garde à vue. Où est la présomption d’innocence quand la police est sans cesse exhortée à interpeller le plus possible et à multiplier les gardes à vue ?

L’explosion des gardes à vue

Depuis 2002 très exactement, le nombre des interpellations et des gardes à vue a explosé. Cette dérive n’est pas vraiment connue. Plus d’un demi-million de gardes à vue. Tel est le bulletin de victoire du ministre de l’intérieur, alors que, paraît-il, la délinquance baisse. Depuis 2001, le nombre de gardes à vue est passé de 336718 à 530994, soit + 194276 (+57%). Près de 40.000 gardes à vue de plus par an en moyenne.

Tableau de la progression des interpellations et gardes à vue

Année 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
Total GAV 426 851 364 535 336 718 381 342 426 671 472 064 498 555 530 994
Augmentation -62313 -27817 +44626 +45329 +45393 +26491 +32439

Cette politique paraît difficilement compatible avec les principes élémentaires du droit. Car à l’autre bout de la chaîne, à la base, face au policier dont la carrière se joue sur le nombre d’interpellations, il y a le citoyen !

La presse se fait heureusement de plus en plus l’écho de ces dérives. Prenons quelques exemples.

Le premier rapporté par le journal Sud Ouest. Nous sommes à Toulouse où a été déplacée la CRS 17 de Bergerac. Voici les consignes du commandant de police en date du 6 janvier 2007.

Objet : Objectifs de mission pour le déplacement Références : instructions nationales et zonales

Les objectifs fixés à la compagnie pour le déplacement de lutte contre les violences urbaines de Toulouse jusqu’au 18 janvier 2007 sont de lutter contre l’insécurité et la délinquance de voie publique dans les secteurs assignés d’une part, d’autre part de se maintenir au dessus de la moyenne de 5,08 mises à disposition quotidiennes avec une part routière inférieure à 40%.

Traduction : les hommes de la CRS 17 doivent impérativement procéder à 5 gardes à vue chaque jour ! Les consignes sont mêmes plus détaillées. Suffisamment de gardes à vue, oui, mais à condition de remplir les bonnes rubriques. Un peu d’infractions à la circulation routière, mais pas trop : pas plus de 40% ! C’est un policier qui concluait, interviewé dans le journal Sud Ouest : “la rupture entre les citoyens et les policiers est exacerbée par cette culture du chiffre. La pression devient insupportable et amène parfois certains collègues à commettre des excès”. Se dire qu’à Toulouse, le 6ème suspect du jour va y gagner n’est pas très rassurant pour la sécurité publique. Mais tout aussi inquiétant est le citoyen qui aura le malheur de tomber un jour “sans”, un jour statistiquement triste, où la colonne ne se remplit pas spontanément. Pour quel motif va-t-on l’arrêter celui-là ? Infraction aux règles du quota ?

N’accablons surtout pas le commandant de la CRS 17 de Bergerac, car le plus important dans sa note de service est le visa des références : “instructions nationales et zonales”. Ce type d’instruction est la simple traduction d’une politique définie au plus haut niveau et répercuté sans état d’âme jusqu’en bas de la hiérarchie.

Autre exemple, cité par Le Monde dans son édition du 16 mars 2007. Le Directeur départemental de Tours donne, lui aussi, comme son ministre, en début d’année les consignes précises à ses troupes pour 2007 : il faudra 1441 faits constatés par mois, dont 675 faits de voie publique et 150 de violences ! Le commissaire, chef du service de sécurité de proximité, a fixé, lui, les quotas d’interpellations de la brigade anti-criminalité de jour : 20/22 arrestations par mois. Un policier donne son avis : « on ne nous demande plus d’avoir un comportement de policier, mais un comportement de commerciaux, à savoir que l’on nous demande d’interpeller tout et n’importe quoi. »

Des dérives croissantes

Les excès “inévitables” sous une telle férule, chacun peut en mesurer les conséquences. Il suffit de lire régulièrement les rapports de la Commission Nationale de Déontologie de Sécurité (CNDS, www.cnds.fr ) , autorité administrative indépendante créée par une loi du 6 juin 2000. Dans son rapport de 2005 elle “attire l’attention sur les incidents ou violences lors de certaines gardes vue”. Elle rappelle que les fonctionnaires de police sont “confrontés à des situations périlleuses” mais souligne aussi “la forte pression subie par les fonctionnaires de police induite par les obligations de résultats ordonnées par leur hiérarchie”. On ne peut être plus clair. Dans son bilan d’activité sur cinq ans, rendu public fin 2006, elle constate que de nombreux abus ont été relevés qui sont essentiellement imputables à la police. Parmi ces abus, les dérives de la garde à vue figurent évidemment en première place : “conduite au commissariat sans procédure ultérieure, placement en garde à vue injustifié, parfois en l’absence évidente d’une infraction, durée de garde à vue excessive”. Là encore, même si des sanctions peuvent être prises contre les fonctionnaires en question, ne les accablons pas trop. Certes le ministre de l’intérieur prend le 11 mars 2003 une circulaire où il rappelle les règles nécessaires au respect de la dignité des personnes gardées à vue, notamment en matière de fouille de sécurité, de menottage, d’alimentation, d’hygiène ou de droits de la défense. Mais cette circulaire n’est pas appliquée. La visite, en décembre 2004, à la Réunion, du Comité européen contre la torture (organe de contrôle créé par le convention européenne contre la torture) a montré que ces instructions “demandent encore à être mises en oeuvre”.

Il reste que ces dérives, ces dysfonctionnements sont en hausse. Ce constat n’est pas seulement dressé par la CNDS. Les organisations non gouvernementales, elles aussi, relèvent régulièrement des abus. Un rapport accablant d’Amnesty International rendu public en avril 2005 s’intitule : “France, pour mettre fin à l’impunité de fait des agents de la force publique, dans les cas de coups de feu, de morts en garde à vue, de torture et autres mauvais traitements” (efai.amnesty.org).

Clichy sous Bois : “pas de polémique

“Il n’y a jamais eu de bavure”, affirme pourtant le ministre ! Il faut dire que ses conclusions précèdent souvent le début des enquêtes. Dans la triste affaire de Clichy sous Bois, qui avait contribué à déclencher les émeutes de banlieue en novembre 2005, sa conviction s’est forgée en 24 heures. Le lendemain du drame, le 28 octobre : “lors d’une tentative de cambriolage, lorsque la police est arrivée, un certain nombre de jeunes sont partis en courant. Trois d’entre eux qui n’étaient pas poursuivis par la police, sont allés se cacher en escaladant un mur d’enceinte de trois mètres de haut qui abritait un transformateur”, version immédiatement relayée par l’agence France Presse et les médias. En fin d’après midi du même 28 octobre Nicolas Sarkozy reçoit le maire de Clichy et l’assure que “tout la vérité sera faite”, mais il ajoute aussitôt à l’adresse des journalistes : “aucun policier ne poursuivait ces jeunes au moment des faits. Il n’y a aucune polémique à entretenir”. Même version deux jours plus tard : “en l’état actuel des éléments qui sont à ma disposition, les policiers ne poursuivaient pas ces jeunes” (TF1, 30 octobre 2005). Les policiers “ont rétabli l’ordre et nous n’avons pas eu, depuis ce drame de Clichy, où ces deux jeunes ont trouvé la mort pour rien, alors même qu’ils n’étaient pas poursuivis, qui sont allés mourir à 15 et 17 ce qui est un drame” (Europe 1, 2 novembre 2005). Etc…

Rappelons que dans cette affaire deux jeunes Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, avaient trouvé la mort le 27 octobre 2005 et qu’un troisième avait été sérieusement blessé. Il n’y a eu aucun cambriolage. La version du survivant et des jeunes qui les accompagnaient était que des policiers les avaient poursuivis jusqu’au transformateur EDF et n’avaient rien fait alors qu’il y avait danger de mort. Une enquête avait été confiée à l’IGS qui concluait qu’il y avait bien eu course-poursuite et que le comportement de certains policiers était “d’une légèreté et d’une distraction surprenantes”. L’IGS précisait : “l’étude de la chronologie des faits met en évidence que, si EDF avait été avisée au moment où le gardien de la paix constatait que les deux jeunes étaient susceptibles d’entrer dans la centrale, les agents EDF seraient intervenus un quart d’heure avant que ne se produise l’accident”. Deux policiers ont finalement été mis en examen par le juge d’instruction début 2007 pour “non assistance à personne en danger”. Quelle que soit la suite réservée à cette affaire, il apparaît qu’une fois de plus le zèle mis par le ministre de l’intérieur à couvrir les policiers était déplacé. Pourquoi vouloir à tout prix présenter comme “la” vérité ce qui, de toute évidente devra faire l’objet d’une enquête minutieuse ? Pourquoi parler de “polémique” dès qu’une vérité peut déranger ? Pourquoi tenter de passer en force quand toute une population attend légitimement de vraies explications.

Une dégradation des relations entre la police et la population

En 2007, il faudrait être aveugle pour ne pas voir le fossé qui s’est créé entre la population et la police et pas seulement dans les quartiers difficiles. Comment peut-on imaginer un instant que la violence qui s’étend actuellement en France sera réglé par une simple présence policière accrue ? Qui oserait imaginer qu’il suffira d’interpeller davantage pour dissuader les délinquants ? Les émeutes de fin 2005 sont le signe éclatant de l’échec de cette politique purement répressive. Voici ce qu’écrivent des sénateurs de droite et de gauche dans un rapport intitulé “un nouveau pacte de solidarité pour les quartiers” déposé le 30 octobre 2006.

“Le changement des modes d’intervention de la police s’est traduit par une dégradation des relations entre la police et la population, unanimement constatée par les personnes entendues par la mission… Cette dégradation affecte particulièrement les relations entre les jeunes et la police, notamment en région parisienne. Il est d’ailleurs significatif que la plupart des violences urbaines éclatent à la suite d’altercations entre jeunes et la police. La multiplication des contrôles d’identité, parfois plusieurs par jour, est perçue comme des contrôles au faciès et une humiliation… Le symptôme le plus visible de cette impasse est l’augmentation constante des procédures pour outrages, rébellion ou violences à agent de la force publique, en général dressées non à l’occasion d’interpellations pour des faits de délinquance graves, mais à l’occasion d’opérations de police de routine sur la voie publique. La propension croissante des policiers à se constituer partie civile montre une personnalisation des conflits. Une logique de harcèlement réciproque semble s’être instaurée et a joué un rôle certain dans l’extension des émeutes, apparue comme un moyen de régler ses comptes avec la police”.

Les liens entre la police et la population doivent impérativement être redéfinis. Quel que soit le nom que l’on donne à l’institution – police de proximité, police de tranquillité, police de quartier…- il est urgent de redéployer autrement les forces de l’ordre, d’en terminer avec cette stratégie de pure répression qui est inefficace que Nicolas Sarkozy a inlassablement mis en oeuvre depuis 2002.

Les CRS, héros de la police de proximité

Lors de sa visite à Toulouse, le 3 février 2003 Nicolas Sarkozy avait fustigé le préfet et le directeur départemental de la sécurité publique adepte de la police de proximité : “si je suis venu aujourd’hui à Toulouse, c’est parce que les choses ne vont pas bien. Cette situation, je n’ai pas l’intention de l’accepter. Il faut réagir, et c’est moi qui vais mener la réaction…La police de proximité est là pour prévenir mais si elle est faite au détriment du travail d’investigation et d’interpellation, elle ne sert à rien… La police, ce n’est pas du social. Vous êtes là pour arrêter des voyous, pas pour organiser des matchs de foot”. La police de proximité avait été symboliquement enterrée ce jour-là. Le directeur départemental avait d’ailleurs été déplacé peu après. Les effectifs des policiers de police de proximité avaient été affectés dans les brigades anti-criminalité.

Nicolas Sarkozy ne dédaigne d’ailleurs pas le mot, mais “police de proximité” signifie pour lui déploiement de compagnie de CRS. En novembre 2005, 21 des 61 unités de CRS ont été redéployés dans des zones sensibles des 19 départements les plus touchés et 7 escadrons de gendarmerie mobile ont également été redéployés. On aurait tort de croire qu’il s’agit d’une mesure ponctuelle liée à une période de troubles. Nous sommes au coeur de la politique de sécurité du ministre-candidat qui la développe d’ailleurs avec une franchise désarmante : “en affectant les compagnies républicaines de sécurité dans les banlieues sensibles et en adaptant leurs modes d’intervention à cet environnement spécifique, je fais de la police de proximité” (La Gazette des Communes, 21 novembre 2005). Quand on constate l’immense difficulté de la police de sécurité publique à maintenir l’ordre et la paix publique, comment peut-on imaginer que l’intervention des compagnie républicaines de sécurité puisse, même sur le moyen terme, apporter autre chose, qu’une exacerbation extrêmement dangereuse des tensions ? Même les préfets, quand ils ont un peu de courage, le disent. Chacun a lu cette lettre du Préfet de Seine Saint Denis en date du 3 juin 2006 qui avait a été diffusée dans la presse en son temps : “leurs modalités d’intervention (en parlant des CRS), axées sur les contrôles d’identité essentiellement, si elles s’avèrent fort utiles en certaines circonstances, ne permettent pas toujours une sécurisation réactive dans les quartiers sensibles dans le cadre de la prévention des violences urbaines. Par ailleurs est clairement perceptible la difficulté de fonctionnement conjoint sécurité publique et CRS, chacun tentant de reporter sur l’autre l’inefficacité des mesures de sécurité”.

L’urgence : rétablir l’image de la police, redéfinir ses missions, son cadre législatif et sa formation

La police est aujourd’hui l’institution qui nécessite la réforme la plus urgente si l’on souhaite vraiment commencer à stopper l’accroissement dramatique de la violence. Il est indispensable d’en redresser l’image, d’en redéfinir les missions et d’en redéployer les moyens pour en faire un corps réellement efficace et respecté d’une population qui comprendrait son action et adhérerait à ses interventions.

Réunifier les missions de la police. L’action répressive de la police doit plus que jamais être maintenue mais elle doit s’exercer en direction de la vraie délinquance et non pas s’épuiser en une myriade d’actions ponctuelles destinées à remplir des colonnes statistiques ou en interventions habilement médiatisées et dramatiquement inefficaces. S’attaquer à l’économie souterraine du crime, à une délinquance de plus en plus structurée qu’alimentent des trafics de toute sorte, exige des actions patientes et de longue haleine et qui ne peuvent prospérer dans un climat de défiance ou d’hostilité de la population et de harcèlement statistique des force de l’ordre. Tous ces quartiers où se développe une délinquance apparemment inaccessible doivent être reconquis un à un en liaison étroite avec la population. C’est pourquoi il est inconséquent et dangereux d’opposer ces deux faces indissociables de l’action policière que sont la police judiciaire et la police de proximité et de faire de la répression l’axe unique d’une politique de sécurité. L’efficacité d’une police ne se mesure pas au nombre d’interpellations, ni même au taux d’élucidation des affaires. Rien de plus trompeur que ces gardes à vue massives et ces taux d’élucidation où la police apprécie elle-même la réussite de ses opérations.

Comme le soulignait pertinemment les sénateurs après une longue étude sur le terrain et nombre d’auditions, “la lutte contre la délinquance ne peut se faire sans les habitants”. Ce qui suppose une réelle politique de prévention mais aussi la création d’une véritable police proche des citoyens. Pour lutter contre l’insécurité au quotidien il faut rendre visible mais rassurante la présence des forces de l’ordre. La mission sénatoriale a d’ailleurs demandé aux maires par questionnaire ce qu’ils pensaient de la police de proximité : elle a été plébiscitée par eux. Les solutions sont simples. La première mesure proposée dans ce rapport pour assurer la sécurité dans les quartiers en difficulté est “réactiver une véritable police de proximité”. Il ne s’agit pas de demander aux policiers de faire du travail social ; il existe pour cela d’autres structures dont c’est le rôle, collectivités territoriales, associations… La police de proximité, comme son nom l’indique, doit pouvoir s’implanter dans des lieux facilement accessibles mais qui doivent être définis en liaison avec les communes concernées et s’exercer à des heures adaptées aux problèmes de terrain. Le recueil des plaintes, la multiplication des patrouilles sont parmi les tâches essentielles de cette police-là. Mais il convient aussi, de donner à ces policiers, souvent très jeunes, une formation initiale et continue de très grande qualité et de les faire bénéficier d’un encadrement expérimenté.

Un contrôle renforcé. Tout comme pour la magistrature un renforcement du contrôle de la police est nécessaire. Les différentes inspections qui sont sous l’autorité directe du ministre ne suffisent pas à assurer ce contrôle. Le rôle de la CNDS doit être renforcé : elle doit pouvoir être saisie par les citoyens. Le Comité contre la Torture (organisme international créé par une convention internationale ratifiée par la France) a recommandé à notre pays le 24 novembre 2005 de permettre à toute personne se plaignant de torture ou d’un traitement cruel, inhumain ou dégradant de pouvoir saisir cette commission. Nous ne sommes évidemment pas dans une hypothèse d’école puisque la France a déjà été condamné à trois reprises par la cour européenne des droits de l’homme dans les quinze dernières années pour torture pour des violences commises pendant une garde à vue.

Un changement radical du régime de garde à vue. Nicolas Sarkozy affirme à loisir qu’il veut faire passer la police de la culture de l’aveu à celui de la preuve. Il soutient même que nous sommes déjà dans cette culture. Il suffit d’écouter ne serait-ce que les acquittés d’Outreau racontant la façon dont se sont déroulées leurs gardes à vue pour comprendre que le ministre n’est pas vraiment informé de ce qui se passe dans les commissariats. La commission parlementaire d’Outreau a d’ailleurs, parmi ses recommandations, fait figurer en bonne place la présence de l’avocat et l’assistance aux interrogatoire de police. Cette mesure se heurte à l’hostilité de la plupart des syndicats de policiers et surtout à celle du ministre de l’intérieur. Or seule la présence effective de l’avocat est à même d’assurer un contrôle sérieux de cette mesure qui relève encore du Moyen Âge. La plupart des pays démocratiques l’ont accepté car il est de l’intérêt de tous, y compris des enquêteurs, que leurs investigations soient indiscutables et que les déclarations obtenues en garde à vue constituent enfin une preuve fiable.

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