La loi punit le crime, comme la non assistance à personne en danger. L’enfermement de millions de personnes, la négation de leur existence est normale. La réalité reconstruite par des torrents de discours devient une réalité qui s’impose à tous. Ceux qui subissent deviennent des fainéants, délinquants ou des faibles d’esprit.Qui peut s’étonner que le désespoir social se perde dans l’extrème ?
Est-ce scandaleux d’aborder la réalité sous un angle, qui vous convienne ?
Bien sûr que non. Sauf quand la grille de lecture choisie se présente comme neutre. Non comme une approche mais comme la réalité. Elle n’est pas une vision du monde, elle n’est pas idéologique. …
« nos marges de manœuvre sont faibles…..Droite et gauche doivent s’allier pour réformer la société française, etc, etc
Réformer pourrait avoir une signification ouverte: par exemple mettre la société française en mouvement afin de corriger les inégalités qui la paralysent.
Erreur. Le mot réformer à travers les médias et les discours des hommes de droite et des hommes de gauche de droite a pris un tout autre sens. Il s’agit de supprimer toute entrave au libéralisme dominant. Les protections sociales sont jugées archaïques, les syndicats non réformistes idem. Il faut réformer, libérer l’initiative l’économique de tous les carcans qui la briment, etc
Il existe aussi une grille de lecture institutionnelle starifiant les leaders politiques et leurs appareils qui pourtant ne font vibrer personne. Bien entendu les affaires à ce niveau deviennent une aubaine : on peut légitiment parler politique sans soulever le moindre débat de fond. Cette approche se nourrit volontiers d’un zeste de science politique ou d’expertise électorale.
A l’évidence il serait trop simple ou trop révélateur de lister par ordre d’importance les sujets qui sont les nôtres et d’en débattre afin d’apporter des solutions convenant à la majorité de la population. par exemple :
-réduction des inégalités qui ravagent notre société
– Non représentation de la majorité de la population dans les instances politiques
– Conditions sociales encourageant l’innovation
– rôle de l’état et des services qu’il propose
– Place du travail dans la vie individuelle et collective
– absence de propositions culturelles visant à nourrir un imaginaire populaire et à éduquer des citoyens. etc,etc
….
A partir d’un problème donné et explicité il peut être judicieux d’utiliser plusieurs grilles de lectures ouvertement affichées et d’examiner leur compatibilité. Mais l’occultation actuelle du social et du politique au profit d’un ralliement à l’identitaire n’est pas le fruit du hasard mais la conséquence d’un travail de longue haleine mené par la plupart des formations politiques et orchestré par les médias. Les sommes énormes consacrées à cette option visent à nous persuader que ce qui n’est qu’un choix, disposant certes des moyens de l’imposer, est notre réalité indépassable, un destin auquel devraient adhérer tous les gens raisonnables. Ce choix est assez néfaste pour transformer une partie de la population en légumes, l’autre partie n’ayant pour issue que de conforter les options d’extrême droite les plus rétrogrades.
Il importe déjà de prendre conscience de la profondeur du mal. Il n’est en rien métaphysique mais à la hauteur des tonnes et des tonnes de papier, images, discours visant de toutes les façons possibles à déconsidérer le peuple, ses pensées, ses actes. Dire que cette réalité construite de toutes pièces est une escroquerie témoignant d’un mépris inconsidéré pour ceux que l’on opprime est faible. La réalité reconstruite au profit d’une minorité est devenue la réalité imposée à tous. C’est à dire que la blessure, la souffrance, lot commun des classes populaires est pratiquement devenue irréelle. Contrairement aux clichés en vogue, les mots tuent plus sûrement que les armes à feu.Ils éliminent, assassinent ceux qui n’ont pas le droit d’exister. Face à un tel monstre déguisé en évidence, la déconstruction est une tâche immense mais non désespérée. Le pire du pire serait de renoncer, d’oublier qu’en étant au fond du trou on n’a pas d’autre solution que de se battre pour refaire surface, pour recréer pied à pied un peu de beauté humaine, de dignité. La gauche à venir a du travail.
François Bernheim