le 11 Mai à 21h au Théâtre Berthelot de Montreuil représentation de«Niki de Saint Phalle ou la femme aux mille questions» de Juliette Thiérrée, auteur, metteur en scène, comédienne, ou comment une pièce de théâtre peut nous faire revivre, l’émotion fulgurante et drolatique que nous ont apporté les peintures et sculptures d’une immense artiste. Le propos est ahurissant, joyeux et tragique. Eblouissement et plaisir intense garantis. La joie, la simplicité et la beauté d’un spectacle total se partagent sans problème. Venez nombreux.
François Bernheim
Interview de Juliette Thiérrée
Pour commencer trois mots: nécessité, sens, chemin, lequel émerge en premier ?
Juliette :
Sens, parce que pour moi la grande affaire de Niki de Saint Phalle était de donner un autre sens au traumatisme. Elle dit qu’elle aurait pu être une terroriste si elle n’avait pas été une artiste. Elle a donné du sens, mis sa rage dans son œuvre. J’aime bien aussi le mot chemin. Niki est une femme qui a tracé son chemin à travers la psychiatrie, ses premiers dessins, ses rencontres. Elle essaie d’aller bien tout en se posant plein de questions. La dernière grande exposition qui lui a été consacrée au Grand Palais à Paris met d’abord en avant le côté sombre de son œuvre « les tirs » dans années 6O, puis il y a la rencontre avec Tinguely et les Nanas. Son oeuvre devient alors lumineuse. Dans un premier temps, elle crée en partant de ses obsessions : le sort réservé aux femmes, femmes mariées, prostituées. Ne pas oublier qu’elle a été violée par son père à l’âge de 11 ans. Son œuvre est un combat pour dépasser ce traumatisme. Le compte à régler avec son père est un moteur très puissant. Elle arrive dans un second temps à exprimer quelque chose de très joyeux avec ces femmes énormes, pleines de vie et très sensuelles. Ces femmes ne subissent plus, elles sont libres. Alors qu’elle a vécu une enfance avec une mère très dominatrice et un père qui pour échapper à « à la prison maternelle » c’est elle qui l’écrit, commet l’inceste. A la mort de son père, elle crée une oeuvre où l’on voit sa mère dévorer son père.Niki a symboliquement flingué son père. Dans les dernière années, elle s’est consacrée à la création du Jardin des tarots en Toscane, œuvre lumineuse immense, le pendant du Cyclope de Tinguely. Elle veut montrer à l’homme dont elle est follement amoureuse et également à son père, que la femme est aussi puissante que l’homme.
Nécessité ?
Oui, elle était dans la nécessité de travailler tout le temps, même malade, elle devait travailler et encore travailler pour éviter de penser, de souffrir, car elle était très angoissée.
Funambule, poésie, éblouissement ?
Juliette : éblouissement. A l’époque où elle était mariée avec Henry Mattews, deux œuvres majeures lui ont permis de trouver sa voie. D’abord le travail de Gaudi et ensuite le palais du Facteur Cheval. Deux éblouissements.
Distraction, folie, art ?
Niki dit et répète qu’elle n’a pas de distraction. Si elle se distrait elle devient folle. Elle mène une vie quasi monacale, travaille tout le temps. L’art pour ne pas devenir folle. Mais elle n’a pu échapper à une folie qui l’épuise et qui, elle en est consciente, épuise aussi les autres. Au final, beaucoup de solitude.
Enfance, complexité, intensité ?
Son enfance a été très complexe, très intense. Complexe parce qu’elle est franco- américaine. Elle vit à New York et passe toutes ses vacances en France, dans la Nièvre. D’un côté avec son père, l’aristocratie française, de l’autre la folie des grandeurs avec une mère américaine. Le Jardin des tarots lui a demandé vingt ans de travail. Sa vie a été intense artistiquement, sentimentalement. Elle a aussi eu une grande histoire d’amour avec une femme. C’était quelqu’un de très sexuel.
De Juliette à Niki ?
Avant elle, je voulais déjà faire un spectacle où une femme aurait été seule en scène. Et je suis tombée presque par hasard sur une lettre que Niki avait écrit à sa mère, après la mort de cette dernière. Je ne la connaissais pas plus que cela. Elle éprouvait un grand amour pour sa mère et aussi beaucoup de haine. Elle la remerciait de ne pas l’avoir encouragée dans son art. Ainsi s’est forgée sa liberté.
J’avais trouvé cela fantastique. C’est là où son histoire rencontre la mienne. J’avais envie de raconter comment on peut se construire envers et contre tous. Contre une famille mortifère, qui peut devenir la source de votre propre liberté. Là était le lien extraordinaire autorisant à parler de tout. Elle a été pour moi un exemple, une rencontre que je n’attendais pas. C’était une pure autodidacte qui avait tout appris à l’école de la vie. La création est quelque chose de simple. La technique vient après. Je me sens en affinité avec cette démarche.
Quand j’ai lu cette lettre je ne connaissais que La mariée exposée à Beaubourg et la fontaine Stravinsky. Je savais vaguement qu’elle avait subi un viol. Puis il y a eu toutes une série de circonstances. D’abord Arielle Bernheim qui m’a dit après avoir vu l’exposition du Grand Palais, « c’est fou comme tu as des faux airs de Niki de Saint Phalle»! Moi, non sans narcissisme je suis partie voir l’expo. Là j’ai comme une espèce de révélation. Ensuite j’ai acheté ses trois livres, «Traces» sur son enfance, «Harry et moi » et «Mon secret». Elle vivait dans l’opulence mais était très sensible à la pauvreté. J’ai pris conscience de ma ressemblance avec elle comme si j’avais tout à coup une grande sœur. Pour moi, cela devenait une nécessité absolue de m’emparer d’elle, de sa vie.
J’ai écrit la pièce très vite et dans la foulée, le scénario. Par ailleurs, j’avais lu dans Paris Match une interview de Bloum sa petite fille qui avait une relation très étroite avec sa grand-mère, c’est elle qui devait être son exécuteur testamentaire. Je venais de perdre ma grand-mère et la relation de Bloum avec Niki m’a beaucoup touchée. Tout cela a créé chez moi une nécessité de transmission.
Quelle relation entre les écrits antérieurs de Juliette Thiérrée et la pièce ?
Il y a des passerelles. J’étais comédienne, j’ai fait des mises en scène. Niki a été mannequin, comédienne, elle a pris des cours de théâtre. Elle était sans doute trop américaine pour le système français. Elle a voulu être metteur en scène à la tête d’une petite troupe. Moi j’ai ressenti très vite mes limites en étant seulement comédienne. J’ai écrit un scénario, réalisé par le père de mes enfants sur la vie de Van Gogh et de nombreuses chansons pour moi et d’autres interprètes. Mes textes sont à la fois drôles et sulfureux, assez portés sur la provocation. Je me retrouve en Niki qui était à la fois très joyeuse et tourmentée. Il y a énormément d’humour dans les Nanas. J’ai écrit un spectacle de chansons où je racontais des choses tragiques sur un mode assez burlesque. J’ai toujours écrit. «Voyage en mère avec ma fille » est un projet de documentaire sur ma mère décédée en 1993. On n’a alors plus jamais parlé d’elle pendant vingt ans jusqu’à la mort de ma grand-mère. J’ai alors récupéré un énorme carton de photos de ma mère qui m’étaient inconnues. Deuxième événement, l’année dernière, je me suis retrouvée place Saint Sulpice, où se tenait le marché de la poésie. J’ai revu Jean-Michel Place qui était à la tête de cette manifestation. J’ai revu les éditeurs de ma mère. Je me suis alors rendu compte que je ne connaissais pas ma mère, j’avais alors 25 ans. Le lien de la transmission avait été rompu. Je voulais donc faire ce documentaire avec ma fille en interviewant des gens qui ont connu ma mère. Niki parle aussi énormément de sa mère.
«Niki de St Phalle ou la femme aux mille questions»
Pour tous les illuminés et innocents qui aiment l’art, la poésie, la vie portée à son plus haut point d’incandescence, joyeuse et sublime.
Théâtre Berthelot, 6 rue Marcellin Berthelot, Montreuil.
Mercredi 11 mai à 21h00.
Réservation : 0141721035
Métro : Croix de Chavaux, ligne 9.
La pièce a été créé en Février 2016 à Gentilly sur la scène du Plateau 31.
Photos Arielle Bernheim
Merci pour ton invitation Juliette, je viendrai te voir Je me réjouis de te voir jouer . . .
Nous en parlerons après puisque tu n’as pas pu venir à l’atelier de FIL avant
Bises
Jean M