La Sociologue et l’Ourson est un documentaire de création de 77mn réalisé par Etienne Chaillou et Mathias Théry en 2015. Ce dernier est le fils de la sociologue Irène Théry, spécialiste du droit de la famille et très impliquée dans le processus d’élaboration de la loi du Mariage pour tous. De Septembre 2012 à Mai 2013, temps du débat législatif, la mère sociologue et son fils échangeront régulièrement sur les questions en débat. La mère expliquant à son fils à quelles évolutions de société, à quels enjeux correspondent les propositions de loi, sans oublier les controverses autour de la PMA et la GPA.
Le film d’Etienne Chaillou et Mathias Théry est un document réjouissant à plusieurs titres. D’abord parce qu’il l donne la priorité à la mise en avant de la complexité humaine plutôt qu’à l’affrontement. Hors à l’époque les médias ont plus facilement mis en scène l’opposition tranchée entre deux camps que tenté de jouer un rôle pédagogique. Est-ce à dire que la nouvelle loi a servi de marqueur idéologique à une gauche de gouvernement en panne de réformisme ? Sans doute la violence des affrontements n’avait pas été prévue, sans doute l’émergence organisée d’une droite extrême catholique n’avait pas été voulue, mais « La sociologue et l’Ourson » et c’est déjà son premier mérite, s’intéresse exclusivement à l’évolution de société qui a autorisé le changement et non à ses épiphénomènes politiciens. Le débat ainsi recentré sur ses enjeux prioritaires est d’autant plus passionnant qu’il tord le cou à de fausses évidences, à savoir :
-l’impossibilité d’un dialogue mère/fils distancié
– l’impossibilité de mettre en images la complexité sociologique du réel et de la communiquer à un public de non spécialistes
– L’impossibilité pour « l’autre » (réalisateur ) de se mettre entre l’arbre et l’écorce.
Ainsi face à l’évolution de la structure familiale et à ses implications sociétales, la famille Théry/ Chaillou certes portée par les liens du sang mais également par un choix d’affinité, offre une réponse esthétique et pédagogique inédite. Cette réussite au delà de l’objet artistique est rendue possible par :
L’honnêteté et la rigueur intellectuelle des trois protagonistes. Leur désir est d’abord de comprendre ce qui est en jeu. Ils écoutent moins pour fortifier une position déjà acquise que pour construire leur propre point de vue. Le changement ce n’est pas maintenant mais à tout moment. Irène Théry impliquée dans l’évolution de la famille depuis plus de trente ans a vu vivre des familles homoparentales, et elle a, elle aussi, évolué.
Le pire aurait été de vouloir incarner la seule et vraie position possible. Ce faisant on interdit à l’autre d’avoir un point de vue différent et donc de s’exprimer et pire de changer de position.
Par ailleurs, la situation d’intimité Mère/fils facilite d’autant plus un échange sans fioriture que la présence d’un deuxième réalisateur extérieur à la famille est requise comme celle d’un garde fou, antidote nécessaire à toute velléité de privilégier l’entre soi.
La solidité de ce triangle, la fluidité des échanges permet d’incarner dans des relations de personne à personne, ce qui aurait pu rester au stade de l’abstraction sociologique. Enfin, le parti pris de mise en scène joue un rôle majeur. Les évènements réels sont filmés en plans séquence, Les dialogues réflexions mettent en avant des marionnettes en peluche. Comment une marionnette incarnant une sociologue pourrait-elle avoir un langage pontifiant ?
La peluche, certes, apporte de la douceur mais facilite également une réflexion assez fondamentale : la dramatisation de l’événement a occulté sa portée profonde. Le film en se situant sur un terrain étranger à la violence est une invitation à la confrontation non exacerbée des positions des uns et des autres. Ici on comprend que vouloir le changement c’est aussi s’interroger sur les conditions favorables à la création d’un consensus aussi large que possible. Méfions nous des hétérosexuels et des homosexuels qui pleurent misère parce qu’ils sont cernés par des cons. L’intelligence du trio Chaillou/Théry tient aussi à une certaine forme d’empathie avec la société dans laquelle ils vivent. Voilà qui est tout à fait réjouissant. Le film sort le 6 avril, les salles qui vont l’accueillir ne seront pas nombreuses. Précipitez vous pour le voir. Seuls de bons chiffres de fréquentation empêcheront les équarrisseurs d’accomplir leur sombre besogne.
Merci. Vous allez vous régaler.
François Bernheim
Bande annonce : https://vimeo.com/131480576