Mykonos, la Sicile, Formentera. Trois îles de Méditerranée au dessus desquelles le soleil se déplace en ligne droite. « Le rayon de soleil qui frappe Mykonos au lever du jour se déplace le long de cette ligne à mesure de la rotation du globe. Il touchera Palerme cinquante minutes plus tard. Cinquante minutes de plus et il atteindra Formentera. » Pourtant la ligne droite n’est sûrement pas le parcours choisi par Jean-Hubert Gailliot pour son roman Le Soleil. Détours, retours sur le passé, glissements de la réalité aux rêves et aux mythes, illusions et mises en abîme dans « un scénario paranoïaque » sont les jalons incertains de cette histoire.
Commençons par le commencement. Un écrivain, Alexandre Varlop, le narrateur qu’on va découvrir en homme blessé, est envoyé par son éditrice dans une maison de Mykonos pour s’y livrer à une enquête littéraire. Qu’est-il arrivé au Soleil ? « Le Soleil », un mystérieux carnet manuscrit qui fut entre les mains de Man Ray avant de passer dans celles d’Ezra Pound et dont la trace se perd justement à Mykonos en 1961 en possession de Cy Twombly. Un artiste aux avant-gardes de l’art du XXe siècle là où il s’inventait, un poète fulgurant à l’esprit désaccordé qui « cristallise l’expérience humaine dans un idiome à l’intensité unique », un peintre qui par des griffonnages aux connotations manifestement sexuelles, « des seins, des phallus rudimentaires, affectant la gaucherie des inscriptions de latrines et des dessins d’enfants », a acquis une notoriété mondiale.
L’enquête d’Alexandre Varlop devra établir le lien entre ces 3 artistes et ses déductions devront le mener au manuscrit mythique, qui détenait selon Man Ray, « la possibilité d’un érotisme nouveau » et dont on a tout lieu de soupçonner qu’il existe encore. Mais dans quelles mains est-il tombé ? Sa valeur est inestimable, il s’agit probablement d’une de ces bombes littéraires qui peuvent faire le bonheur d’un collectionneur ou la fortune d’un éditeur. A Mykonos, Alexandre Varlop va rencontrer la trop belle Suzanne et un couple d’Anglais dignes de figurer dans un film d’Hitchkock, et parmi les autochtones, un tailleur, un coiffeur, le directeur d’une école d’art qui figurent enfants sur une photo des années 60 en compagnie des deux frères Fillippopoulou, désormais évaporés dans la nature. Quant aux Saatchi, collectionneurs notoires et très attendus, on ne verra jamais leur yacht débarquer. Fausse piste. Tandis que les bizarreries s’accumulent. Alexandre Varlop n’a pas d’ombre. Il sort sec de la mer. Au cours d’une excursion illicite à Délos, il rencontre les mythes grecs chers à Pound. Il est envahi par ses rêves. Surréaliste.
Puis sa quête l’entraîne à Palerme, où se sont établis les frères Fillippopoulou, devenus de Filippis, patrons de cabaret et montreurs de monstre. Il les retrouve grâce aux étranges Parisiennes de la via Aragona (aussi moqueuses que les Aragonaises du Manuscrit trouvé à Saragosse). Il faudra en passer par un chapitre au kitsch appuyé par la couleur rose des pages, où la scène décrite n’aurait d’équivalent que dans un film de David Lynch, pour que l’écrivain arrive enfin à son but. C’est à Formentera son île ultime, qu’il retrouve la traîtresse Suzanne et découvre la « Solucion » qu’il recherchait, le carnet scandaleux et son auteur, une princesse russe d’avant la Révolution d’Octobre, baba yaga de 15 ans, poète et érotomane.
Mais dans cette histoire, la princesse, qui « avait écrit un poème, peut-être des dizaines, peut-être des centaines de poèmes, où elle franchissait les bornes à chaque ligne et ridiculisait par avance la quasi-totalité de ce qui s’écrirait ensuite, dans un siècle pourtant peu avare de transgressions » est la métaphore de l’art du XXe siècle. Celui qui commence avec Man Ray, se poursuit avec Pound puis Twombly.
Et dans une atmosphère crépusculaire, Alexandre Varlop se consacre désormais à la construction d’automates, imitation de la vie.
Marie Hélène Massé
Le Soleil
Jeaan-Hubert Gailliot
Editions de l’Olivier.