Lola Bensky a-t-elle accouché de Lily Brett ? A regarder la couverture du dernier roman de Lily Brett, on peut se poser la question. Au delà du jeu typographique, il est stimulant d’imaginer qu’un personnage de roman (en fait le double de l’auteure) contribue à la construction de celle qui lui a donné vie. Ainsi la barrière entre la fiction et la vie s’évanouit. Lily n’est pas la fille de Lola, mais elle le pourrait.
Les géniteurs de Lola sont deux juifs polonais déportés à Auschwitz qui en ont, heureusement, réchappé. Ils ont émigré ensuite en Australie où leur fille est née. A 19 ans cette dernière qui ne connaît rien ni au journalisme ni à la musique devient donc critique musical pour le compte du magazine australien Rock out. Elle sait écouter et va, sans le moindre problème, rencontrer tous les dieux et déesses de la pop qui l’intéressent; des personnages qu’elle sait saisir dans leur authentique simplicité. Ils sont aussi talentueux que fragiles et à part des rocs comme Mike Jaegaer, ils succomberont presque tous, incapables de supporter une société qui laisse s’exprimer une avant garde le temps qu’il faut à anesthésier l’ensemble de la société. Lola est grosse obsédée par son poids, comme si elle avait à payer un tribut à ceux que les nazis ont réduit à l’état de squelette. Ses interlocuteurs musiciens savent décrypter au delà des apparences, la souffrance d’une jeune femme enfantée par des rescapés. Ils respectent et apprécient Lola plus qu’elle ne s’apprécie elle même. Encore une fois ceux qui sont questionnés sur leur propre parcours, apportent des réponses qui nourrissent celle qui les questionne. Après la mort de sa mère, Lola transplantée à New York deviendra une auteure à succès, et son père à 85 ans acceptera de retourner en Allemagne, de parler allemand et somme toute d’accepter tout ce que la vie peut lui apporter de positif.
Eros va-t-il triompher de Thanatos ? La réponse n’est pas évidente. Dans un livre
bouleversant ( le jour où mon père s’est tu) Virginie Linhart pose cette même question. La génération des acteurs de 1968 s’est crue autorisée à vivre, à prendre du plaisir, il était « interdit d’interdire » Et puis le passé est revenu en boomerang fracasser les apprentis sorcier. Il ne s’agit aucunement de désespérer, mais d’affronter en toute lucidité tout ce qui emprisonne nos existences. « Lola Bensky » est le premier roman de Lily Brett traduit en Français. C’est le très talentueux Bernard Cohen qui s’est attelé à la tache. Son humour comme sa connaissance de la musique (voir Qué viva la musica d’Andrès Caicedo) ont fait merveille. Interrogé par mail le traducteur nous a répondu : « Oui, cette thématique rescapés des camps de la mort/génération rebelle et donc guettée par la mort est très puissante. Il y a cette liste des “pertes” sur le champ de bataille du rock-and-roll que dresse Lola à un moment du livre qui est très impressionnante. Plus une approche toute en finesse du clash des sexes dans le petit monde de la pop, et des minorités raciales (toutes les apparitions de Jimi Hendrix sont d’une subtilité exquise). En fait, c’est presque comme si les artistes, notamment aux USA, étaient une minorité haie par la majorité silencieuse, la police, les impôts….Et c’est le cas, repensons au sort tragique de toute la génération du bebop, de Billie Holliday à Charlie Parker. »
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Lola Bensky de Lily Brett
éditions La Grande Ourse